John Antonakis, professeur ordinaire de comportement organisationnel à la Faculté des HEC de l'Université de Lausanne (UNIL), est-il le Nostradamus des temps modernes? Son modèle de prédiction, basé sur le charisme des candidats et des données économiques, donnait le républicain Donald Trump vainqueur de l'élection présidentielle américaine là où quasi tous les sondages voyaient la démocrate Kamala Harris entrer à la Maison-Blanche.
Blick a attrapé celui qui a vu juste concernant le 47e président américain — à l'instar de sa chienne Joy — et lui a demandé de continuer d'envisager le futur en ce moment de grand bouleversement. Interview.
John Antonakis, vous aviez visé juste avec votre prédiction! Vous êtes content?
En tant que scientifique, je ne dois rien ressentir. Je suis comme un chercheur qui étudie la densité de CO2 dans l'atmosphère: si j'ai un modèle qui indique que cela va augmenter et que cela augmente, c'est seulement un fait.
Vous ne ressentez vraiment rien?
Si vous me le permettez, j'aimerais prendre de la distance avec ce que je ressens personnellement. Dans une certaine mesure, je suis content qu'un modèle statistique avec lequel nous travaillons fonctionne très bien. Pour mémoire, j'avais également prédit une victoire de Trump il y a quatre ans, mais notre modèle n'était pas bien calibré et nous nous étions trompés. Nous avons eu quatre ans pour rectifier le tir.
Que tirez-vous comme enseignement de cette élection?
J'ai remarqué que beaucoup de modèles de prévision qui se basent sur des sondages n'avaient pas du tout vu la victoire de Trump.
Comment l'expliquez-vous?
Parce qu'ils ne savent pas comment pondérer la proportion des gens qui vont voter soit pour Trump, soit pour Harris. Le fait qu'il ait gagné dans le Rust Belt ou encore le Sun Belt montre qu'on ne peut pas se baser sur des modèles qui utilisent des données issues des sondages dont nous parlons. Il est maintenant essentiel de sonder correctement.
C'est-à-dire?
Si je dois détecter une certaine protéine moléculaire dans le sang, je dois prendre un bon échantillon de sang. Si je prends du pus à la place du sang, je ne vais rien détecter ou détecter quelque chose qui ne correspond pas à la réalité. Je pense que tous ces modèles traditionnels, y compris celui du très sérieux «The Economist» qui s'est aussi trompé, sont à revoir.
De quelle manière?
Nous devons utiliser des modèles statistiques qui se basent sur des données actuelles et pas sur des échantillons potentiellement biaisés depuis le début. Par ailleurs, j'ai le sentiment que la presse en général ne voulait pas révéler le message que Trump allait probablement gagner. Quand nous avons fait notre communiqué de presse concernant notre prédiction il y a deux mois — merci au passage à Blick d'en avoir parlé, nous étions mentionnés dans plus de 200 ou 300 articles de presse.
C'est une couverture médiatique énorme! Où est le problème?
Les plus grands acteurs médiatiques, eux, n'en ont rien fait. Je pense que toute cette partie de la presse n'était pas très objective et penchait du côté démocrate — ce que je peux comprendre sur le fond — dans la manière d'interpréter certains faits. C'est dommage, car la presse idéologique crée du doute et de la méfiance au sein du public.
A vos yeux, qu’est-ce qui a été déterminant dans la victoire de Donald Trump?
Ce que notre modèle capte: l'inflation qui était haute donc pénalisante pour les sortants que sont les démocrates ainsi que la différence de charisme entre Donald Trump et Kamala Harris.
Et dans la défaite de Kamala Harris?
Kamala Harris n'était pas assez charismatique. Deuxièmement, c'est une femme. Malheureusement, de base, les Etats-Unis ne sont pas prêts à élire une femme à la présidence. Il y a encore et toujours des misogynes qui pensent qu'une femme ne peut pas bien incarner le pouvoir. Troisièmement, le racisme d'une partie de l'électorat a pu faire pencher beaucoup de votes vers Trump.
Pouvez-vous continuer de frotter votre boule de cristal et nous dire si vous êtes inquiet quand vous regardez le futur?
Non, pas du tout! Les Etats-Unis sont une démocratie forte, avec des institutions de très bon niveau. Rien de grave ne s'est passé quand Trump était président. Le seul vrai problème s'est produit à la fin de son mandat, avec l'assaut du Capitole.
Ce n'était pas rien…
Il n'y aura aucun général pour exécuter un éventuel ordre qui ne serait pas constitutionnel. Il y a beaucoup de garde-fous qui protégeront la démocratie. La seule mauvaise chose que Donald Trump pourrait faire, c'est élire des juges conservateurs qui resteront longtemps en place. Mais là encore, il n'y a pas de quoi réellement s'inquiéter: ceux nommés par Donald Trump dans le passé n'ont jamais pris de décision totalement anti-démocratique.
On a quand même l'exemple de la restriction du droit à l'avortement en tête.
Au moins, les juges ne l'ont pas interdit et ont laissé les Etats se déterminer. Je pense qu'il y aura certainement davantage de fédéralisme sous Donald Trump, mais je ne me fais pas de souci pour la démocratie en tant que telle.