Les reproches adressés à Recep Tayyip Erdogan après les tremblements de terre dévastateurs en Turquie et en Syrie sont violents. Le président turc aurait ignoré les avertissements des géologues et déclenché beaucoup trop tard l'aide en cas de catastrophe.
Il est en outre reproché à son gouvernement d'avoir utilisé une partie de l'impôt dédié aux tremblements de terre, qui s'élèverait à plusieurs dizaines de milliards de dollars, non pas pour la sécurisation des bâtiments mais pour la réduction de la dette, les routes, les chemins de fer, l'aviation, l'agriculture et la santé.
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Recep Tayyip Erdogan fait la sourde oreille à toutes les critiques. Il n'est pas possible d'être préparé à un tel désastre, a-t-il déclaré lors d'une visite à Kahramanmaras. «Nous avons mobilisé toutes nos ressources. Nos citoyens ne devraient pas s'inquiéter.»
L'opposition critique Erdogan
Face à ces graves accusations, l'opposition flaire sa chance. Notamment pour les prochaines élections présidentielles et législatives prévues le 14 mai – si elles ne sont pas reportées à cause du tremblement de terre. Kemal Kilicdaroglu, président du CHP, parti social-démocrate kémaliste, s'est lui aussi rendu dans une zone sinistrée, à savoir la province de Hatay.
Il a attaqué Erdogan de front. «Où est cet argent?», a harangué le social-démocrate. Les Turcs, qui ont payé des impôts à l'État toute leur vie, ne voient rien de cet État dont ils ont désormais besoin. «Nous en sommes là à cause de la politique d'Erdogan», juge Kemal Kilicdaroglu.
Erdogan devrait en profiter
L'opposition risque toutefois de se réjouir en vain. C'est en tout cas l'avis de Maurus Reinkowski, professeur d'études sur le Proche-Orient à l'université de Bâle. «Au vu de la situation actuelle, on peut plutôt supposer que le tremblement de terre apportera même des avantages politiques à Erdogan», analyse-t-il pour Blick.
Selon lui, l'opposition a toujours été très faible lorsqu'il s'agit de questions d'intérêt national. «Dans une période d'urgence vraiment dramatique, il sera très difficile pour elle de faire valoir, dans une opinion publique contrôlée par le gouvernement, la distinction en soi tout à fait justifiée entre sécurité nationale et critique légitime du gouvernement», détaille l'universitaire.
À cela s'ajoute le fait que l'opposition manque actuellement d'un candidat ou d'une candidate forte. L'alliance de l'opposition «Alliance de la nation», qui se compose de six partis, devait initialement annoncer lundi prochain qui elle souhaitait envoyer dans la course. L'annonce a désormais été reportée en raison des violentes luttes de pouvoir qui règnent au sein de l'alliance.
Interdiction pour les opposants
Ce qui est sûr, c'est que le candidat sera un membre du principal parti d'opposition, le CHP. Le favori serait le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu. «Il jouit certes de beaucoup de sympathie, mais il a un sérieux désavantage en raison de la procédure d'interdiction encore pendante», pointe Maurus Reinkowski.
Ekrem Imamoglu avait été condamné en décembre 2022 à deux ans de prison et à une interdiction de faire de la politique pour avoir insulté la commission électorale. Pour l'opposition, il s'agit clairement d'une manœuvre d'Erdogan pour se débarrasser d'un adversaire dangereux.
Le chef du CHP Kemal Kilicdaroglu, qui travaille depuis longtemps à une candidature, et le maire d'Ankara Mansur Yavas ont également de bonnes chances. Une femme est aussi en lice: Meral Aksener du parti de droite Iyi Parti (Bon parti).
Un nouvel éloignement de l'Occident
Maurus Reinkowski part du principe que, même si les accusations portées contre Erdogan s'avéraient fondées, celui-ci ne pourrait pas être poursuivi. «Erdogan est un grand maître de la tactique politique. Il trouvera toujours des boucs émissaires», estime le spécialiste de la région. Erdogan ne serait traduit en justice que s'il avait auparavant perdu le pouvoir. «D'ici là, cela peut encore durer.»
Après une élection gagnée, Erdogan sera d'autant plus solidement en selle et fera sentir son pouvoir à l'Occident, estime l'expert. Par exemple, lorsqu'il s'agira de l'adhésion de la Suède à l'OTAN. «On s'attend à ce que la Turquie dise oui au plus tôt après les élections - et même cela n'est pas sûr.»
Le rapprochement d'Erdogan avec l'Occident après le tremblement de terre ne se fera donc probablement pas. La Turquie n'a déjà plus qu'un seul pied dans l'OTAN. «Et ce n'est pas seulement une conjoncture politique à court terme», conclut Maurus Reinkowski.