Des gens meurent en Ukraine, et le monde assiste, plus ou moins impuissant, à des scènes de désolation. Le président russe Vladimir Poutine n’aura guère à répondre de ses actes. Et ce, bien que deux tribunaux mondiaux enquêtent sur l’attaque russe contre l’Ukraine.
La Cour internationale de justice (CIJ), pour ainsi dire le tribunal de l’ONU, enquête sur les événements: l’Ukraine y a déposé une plainte contre la Russie. Le tribunal cherche à constater que l’Ukraine n’a pas voulu commettre un génocide dans le Donbass. C’est en effet sur cette base que Vladimir Poutine avait justifié l’invasion de l’Ukraine. Inversement, l’Ukraine elle-même accuse la Russie de génocide.
Aucun des belligérants ne reconnaît le tribunal
Le fait que les deux parties s’accusent mutuellement de génocide peut surprendre, mais elles ont leurs raisons, explique Oliver Diggelmann, professeur de droit international public à l’université de Zurich. La Russie aurait utilisé cette accusation comme «façade» pour justifier juridiquement son agression. Mais ni la Russie ni l’Ukraine ne se sont soumises à la CIJ, elles ne reconnaissent pas la Cour. Toutefois, la convention sur le génocide peut constituer une exception: «L'Ukraine tente ainsi d’obtenir une compétence de la Cour en la matière».
De son côté Poutine lui-même n’a rien à craindre de la CIJ. Car les Etats peuvent porter plainte contre d'autres Etats uniquement, les personnes ne peuvent être ni accusées ni condamnées. Il en va autrement de la Cour pénale internationale de La Haye. Des individus peuvent y être jugés pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides et agressions.
La Cour pénale rassemble des preuves
Le procureur en chef britannique Karim Ahmad Khan a d'ailleurs ouvert des enquêtes préliminaires afin de documenter d’éventuels crimes de guerre en Ukraine. Selon Oliver Diggelmann, trouver des éléments à charge ne sera certainement pas compliqué. Le bombardement de la centrale nucléaire de Zaporijjia la semaine dernière serait un crime de guerre évident, tout comme l’utilisation de bombes à fragmentation.
Actuellement, une «mission de conservation des preuves» est en cours dans la zone de guerre: «Des personnes sur place essaient de répertorier ce qui se passe et recueillent des témoignages». On ne sait toutefois pas s’il en résultera une accusation, les ressources de la Cour pénale étant limitées. «De nombreuses procédures sont donc tombées à l’eau», ajoute Oliver Diggelmann. En outre, pour poursuivre Poutine personnellement, il faudrait prouver qu’il a lui-même donné des ordres pour l’utilisation de bombes à fragmentation ou des attaques de missiles sur des maisons d’habitation.
Difficile de poursuivre Poutine
Poutine ne bénéficie bien sûr pas d'une immunité. Mais en cas d'inculpation, le chef du Kremlin ne se soumettra pas à un procès. Tant qu’il est au pouvoir et qu’il ne quitte pas la Russie, cela restera compliqué: «Il est très difficile de s'assurer que de telles personnes soient jugées», confirme Oliver Diggelmann.
L’une des rares exceptions a été le criminel de guerre Slobodan Milosevic, qui a été extradé de Serbie vers La Haye après un bras de fer de plusieurs mois. «Avec Poutine, explique Oliver Diggelmann, c’est pour l’instant totalement impensable. Mais on ne sait bien sûr pas comment les événements évolueront».
Il n'est de toute manière pas encore certain que la Cour pénale puisse être compétente. La Russie ne l’a jamais reconnue et l’Ukraine n’a jamais ratifié le Statut de Rome non plus. Kiev a certes autorisé La Haye à mener des enquêtes sur son territoire. Mais selon les spécialistes du droit international, il n’est pas certain que cela suffise.
(Adaptation par Thibault Gilgen)