Chassée par les talibans
«J'aimerais retourner tout de suite en Afghanistan»

Lyla Schwartz a passé des années en Afghanistan à s'occuper d'enfants traumatisés par les atrocités commises par les talibans. Chassée du pays par les islamistes, elle a fui Kaboul et s'est réfugiée en Suisse. Elle raconte son évasion en exclusivité à Blick.
Publié: 23.08.2021 à 05:48 heures
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Dernière mise à jour: 23.08.2021 à 11:10 heures
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Lyla Schwartz travaillait comme psychologue en Afghanistan jusqu'il y a quelques jours.
Photo: STEFAN BOHRER
Sarah Frattaroli, Jocelyn Daloz (adaptation)

Lyla Schwartz était à Kaboul jusqu'à la semaine dernière. L'Américaine travaille en Afghanistan depuis plus de trois ans. Elle est psychologue et a fondé l'organisation «Peace of Mind» en Afghanistan.

Cette organisation s'occupe des enfants qui ont été traumatisés par les atrocités des talibans: des garçons recrutés comme enfants-soldats, ou de jeunes femmes emprisonnées pour «délits moraux», comme par exemple d'avoir eu des rapports sexuels avant le mariage. Face à leur avancée, elle a dû fuir, comme tant d'autres Occidentaux travaillant pour des ONG à Kaboul.

Assise dans un café bâlois, elle raconte à Blick comment elle s'est retrouvée en Suisse. «Je suis encore un peu désorientée», dit Lyla Schwartz. Ce n'est pas étonnant, son histoire ressemblant à la traversée d'une odyssée.

«Le dimanche matin, nous avons entendu dire que les talibans se rapprochaient. C'est là qu'on a su que nous devions nous en aller. C'était chaotique. D'abord, on nous a dit de venir à l'aéroport. Ensuite, qu'il valait mieux rester à la maison et s'y cloîtrer.»

Des personne font la queue devant un avion australien, dans l'espoir de fuir le pays.

350 personnes dans le ventre d'un avion

Pour finir, un hélicoptère emmène Lyla Schwartz dans la partie militaire de l'aéroport de Kaboul. Là, elle monte dans un avion de l'armée américaine.

Le soir, Lyla Schwartz monte à bord du jet de l'armée américaine à Kaboul. Quelques heures plus tard, le chaos éclate à l'aéroport. Les images de personnes s'accrochant désespérément à des avions en train de décoller font le tour du monde.

«Nous avons été emmenés sur un aérodrome militaire à Doha, au Qatar», se souvient-elle. «Il y avait 300, peut-être 350 personnes dans l'avion. Ils étaient même assis sur le sol, tant l'avion était plein.»

Le désespoir pousse des familles à donner leurs enfants aux GI américains.

Préoccupation pour le personnel local

De Doha, un autre avion les emmène à Munich. Là, elle monte dans un train et arrive en Suisse, où elle a souvent séjourné ces dernières années. Elle est consultante pour l'organisation suisse Asylex, qui s'occupe des personnes en cours de procédure d'asile. Parmi eux se trouvent de nombreux Afghans.

A son arrivée en Suisse, Lyla Schwartz retrouve Lea Hungerbühler, avocate et présidente d'Asylex. «C'est impressionnant de voir comment elle arrive à faire face à tout», déclare la jeune femme. «Son travail s'accompagne à présent d'un niveau de stress élevé. Elle travaille dur, jour et nuit, pour protéger son équipe resté en Afghanistan et les personnes qui bénéficient de ses programmes d'aide des talibans.»

Certains se retrouvent dans les bras de soldats.

Environ 25 personnes travaillent pour l'organisation «Peace of Mind» de Lyla Schwartz, toutes afghanes. En raison de leur travail pour les victimes des talibans, ils sont maintenant en danger aigu, prévient-elle: «Je suis très inquiète pour mon personnel.»

Se sentir coupable de s'en sortir

Pendant l'entretien, son téléphone portable vibre toutes les minutes. «Quand je me suis réveillé ce matin, j'avais 50 appels manqués», dit-elle. «Les gens ont très peur. Ils se sentent piégés. Physiquement et mentalement. Ils se demandent pourquoi je les ai laissé derrière moi.»

Lyla Schwartz baisse les yeux. La psychologue connaît le diagnostic clinique à ce qu'elle ressent: le syndrome du survivant, lorsqu'une personne se sent coupable d'avoir survécu. C'est une forme de stress post-traumatique. «Je n'ai même pas pu dire au revoir aux enfants.»

Un marine américain parle à des enfants évacués.

Elle s'efforce actuellement d'évacuer des personnes particulièrement vulnérables de Kaboul. «C'est difficile, la situation change de minute en minute.» Asylex a mis en place un chatbot qui dialogue avec des personnes sur le terrain et leur explique les options d'évacuation. Ceux qui ont travaillé pour une organisation internationale, par exemple, ou qui ont des membres de leur famille à l'étranger, ont des chances d'obtenir un visa humanitaire.

Elle a vu les atrocités commises par les talibans de ses propres yeux

Lyla Schwartz et Lea Hungerbühler estiment que la Suisse devrait accueillir 10'000 réfugiés afghans, chose que le Conseil fédéral a toutefois déjà rejeté.

Il ne s'agit pourtant pas d'évacuer la moitié de l'Afghanistan, assène Lyla Schwartz. Juste les gens que les talibans ciblent. «J'ai vu de mes propres yeux les atrocités des talibans. J'ai vu des enfants se faire torturer. J'ai vu des femmes brûlées à l'acide.»

Elle sait que lorsque les derniers soldats américains seront partis, certains membres de son personnel et des milliers d'autres personnes risquent de subir le même sort. «C'est une bombe à retardement.»

«Cela me brise le coeur»

Lyla Schwartz ne sait pas ce que l'avenir lui réserve. «Nous devons décider à présent si nous pouvons poursuivre nos projets sur le terrain.» Elle ne sait pas encore si elle retournera un jour en Afghanistan. «J'adorerais y retourner tout de suite.» Lea Hungerbühler intervient: «Pas question!» Les deux rient.

Puis le visage de Schwartz se rembrunit. «Dans ma tête, je suis toujours là-bas. Je me surprends encore à penser qu'il est bientôt l'heure du dîner pour les enfants. Ça me brise le cœur. Nous avons mis tellement de temps et d'énergie dans quelque chose en quoi on croyait. Quelque chose qui aidait les gens. Maintenant, tout est parti.»

Beaucoup craignent le retour des atrocités après le triomphe des talibans.
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