Ce que vous devez savoir en 7 questions-réponses
Des armes suisses en Ukraine, adieu la neutralité?

La Suisse se dispute sur la neutralité et les exportations d'armes en Ukraine. Blick fait le point avec les 7 questions les plus importantes.
Publié: 06.02.2023 à 06:23 heures
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Dernière mise à jour: 06.02.2023 à 06:32 heures
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De nombreux pays souhaitaient transférer de l'armement suisse, tel que des munitions de chars, vers l'Ukraine. La Suisse refuse à chaque fois en se référant à sa neutralité.
Photo: keystone-sda.ch
Tobias Bruggmann

Se cacher ne fonctionne plus. L'Allemagne, le Danemark ou l'Espagne avaient acheté du matériel militaire en Suisse. Ils aimeraient maintenant le transmettre à l'Ukraine. Mais le Conseil fédéral et le ministre de l'Economie Guy Parmelin ont dit non: la Suisse ne peut pas autoriser une telle démarche, en raison de sa neutralité.

Le débat chauffe au Parlement. Neutralité? Aide à l'Ukraine? Soutien aux entreprises d'armement? Mais qu'est-ce que cela signifie? Voici les principales questions et leurs réponses.

La neutralité, c'est quoi exactement?

La neutralité se compose du droit de la neutralité d'une part et de la politique de neutralité d'autre part.

Le droit de la neutralité interdit à la Suisse de soutenir militairement un pays en guerre. La Suisse peut certes exporter du matériel de guerre, mais elle doit traiter tous les belligérants sur un pied d'égalité. En contrepartie, le territoire suisse est inviolable. Si un pays est en guerre, il n'a pas le droit de faire passer des troupes par la Suisse. Tout cela est régi par le droit international: la Suisse a ratifié un traité et est liée par celui-ci vis-à-vis des autres pays.

En revanche, en matière de politique de neutralité, la Suisse est plus libre, elle peut s'adapter aux événements internationaux. Les sanctions économiques contre la Russie en sont un exemple. Elles n'étaient ni exigées ni interdites par le droit de la neutralité, écrit le Conseil fédéral dans un rapport.

Que demande le monde politique?

Lorsqu'une entreprise suisse livre des armes ou des munitions à un autre Etat, ce dernier doit signer une déclaration de non-réexportation. Il s'engage donc à ne pas les transmettre à d'autres pays.

Mais cela pourrait changer. Ces dernières semaines, diverses propositions ont été discutées, avec différentes conséquences pour la neutralité suisse. Evelyne Schmid, professeure de droit international à l'Université de Lausanne, en donne un aperçu et fait le point sur le droit international:

  • Les responsables de la politique de sécurité du Conseil national ont deux idées. D'abord, ils veulent que la Suisse renonce à la déclaration de non-réexportation si cette dernière a lieu dans le cadre de la guerre en Ukraine. La deuxième proposition est que le Conseil fédéral puisse autoriser, dans des cas exceptionnels, que des Etats transmettent du matériel de guerre à un autre pays que l'Ukraine. Condition préalable: le Conseil de sécurité de l'ONU ou deux tiers de l'Assemblée générale de l'ONU doivent constater que l'interdiction du recours à la force, inscrite dans le droit international, a été violée. Cela est le cas lorsqu'un pays tente d'en envahir un autre. L'Assemblée générale de l'ONU a condamné à une large majorité l'annexion de territoires ukrainiens par la Russie en octobre.

    • Compatibilité avec le droit international: la proposition de privilégier explicitement l'Ukraine n'est pas défendable du point de vue du droit de la neutralité. La Suisse doit traiter tous les belligérants de la même manière, explique Evelyne Schmid. La deuxième proposition serait préférable. En théorie, les deux pays pourraient en profiter. «Il faut être conscient que dans le cas d'application, c'est-à-dire si un pays veut aussi exporter vers la Russie, le Conseil fédéral aurait du fil à retorde», a-t-elle déclaré à la SRF.

  • Le président du Parti libéral-radical (PLR) Thierry Burkart propose une autre voie. Il veut renoncer complètement à la déclaration de non-réexportation pour certains pays. Ces pays devraient partager les mêmes valeurs et disposer d'un régime de contrôle des exportations similaire à celui de la Suisse. Il existe déjà une liste de pays dans cette situation, sur laquelle figurent de nombreux pays européens, mais aussi les États-Unis ou le Japon.

    • Compatibilité avec le droit international: La proposition du président du PLR donnerait beaucoup de pouvoir au Conseil fédéral. Il pourrait alors déterminer quel pays figurerait sur la liste des Etats autorisés à transmettre des armes et des munitions. «Il n'y a pas de règle claire sur ce qu'il faut faire pour qu'un pays figure sur cette liste», explique Evelyne Schmid à Blick. Des transferts indirects seraient alors possibles sans contrôle vers tous les pays: «Du matériel de guerre pourrait ainsi être envoyé à l'Arabie saoudite.» Du point de vue du droit de la neutralité, la proposition serait tout à fait valable. Mais «la règle doit être appliquée de manière égale à tous les belligérants», précise l'experte.

  • Le conseiller aux Etats UDC bernois Werner Salzmann veut assortir la proposition de Thierry Burkhart d'un délai. Un autre pays pourrait transmettre les armes au plus tôt cinq ans après l'achat. Pour cela, le Conseil fédéral devrait à nouveau avoir plus de pouvoir.

    • Compatibilité avec le droit international: Tout comme la proposition de Thierry Burkart, elle est en principe possible du point de vue du droit de la neutralité, affirme Evelyne Schmid. Il n'est toutefois pas clair si et comment la réglementation doit être appliquée rétroactivement. L'Ukraine pourrait ne pas en profiter du tout.

  • La conseillère nationale du PLR, Maja Riniker, veut remettre les chars Leopard, dont la Suisse n'a plus besoin, à des pays partenaires européens. Des Etats comme la Pologne veulent transmettre leurs chars à l'Ukraine. Selon elle, le ravitaillement de la Pologne devrait venir de Suisse, a-t-elle déclaré à la «NZZ». La condition est toutefois qu'aucun char suisse ne soit transmis à l'Ukraine.

    • Compatibilité avec le droit international: selon le droit de la neutralité, il est possible de transmettre des chars à des pays comme la Pologne ou la Finlande. «Il n'est pas nécessaire d'abroger la clause de non-réexportation ou de modifier la loi pour cela», explique Evelyne Schmid. Sur le plan politique par contre, on peut se demander dans quelle mesure la position suisse serait crédible vis-à-vis d'autres pays.

Quelles seraient les conséquences d'un non-respect du droit de la neutralité?

Si la Suisse favorisait directement ou indirectement l'Ukraine en matière de livraison d'armes, elle ne serait plus neutre. Mais il n'existe pas de «police mondiale». Les conséquences sont difficiles à évaluer. La Suisse ne serait toutefois plus protégée par son statut de neutralité en droit international, explique la spécialiste. Cela signifie qu'en cas de guerre, le territoire helvétique ne serait plus explicitement protégé.

Pourquoi les positions divergent tant?

Alors que certains souhaitent aider l'Ukraine, du moins indirectement, d'autres se préoccupent davantage de l'avenir de l'industrie suisse de l'armement. Cette dernière est nécessaire pour l'armement de l'armée suisse – la pandémie a démontré les inconvénients d'une dépendance aux importations.

Problème: si d'autres pays n'achètent plus d'armes chez nous, de peur de ne pas pouvoir les transmettre en cas d'urgence, les entreprises d'armement suisses pourraient partir à l'étranger. L'Allemagne, entre autres, s'est agacée des règles strictes fixées par la Suisse et menace de ne plus acheter de nouvelles munitions. D'autres pays pourraient suivre. C'est aussi pour cette raison que certains veulent donc assouplir les règles de réexportation.

Qu'en pense la population?

Selon un sondage de la «NZZ am Sonntag», une courte majorité de 55% souhaite que des pays étrangers puissent envoyer des armes suisses en Ukraine. 40% s'y opposent. C'est dans les rangs de l'UDC que le refus est le plus net.

Les choses bougent également au sein des partis. Le chef du PLR Thierry Burkart s'est distancié de la proposition de sa collègue de parti, Maja Riniker. Et le doyen de l'UDC Christoph Blocher s'oppose à la proposition de Werner Salzmann.

Que va-t-il se passer maintenant?

Vendredi 3 février, les responsables de la politique de sécurité du Conseil des Etats ont réfléchi au projet. La Commission de politique de sécurité a lancé sa propre initiative, qui s'inspire des propositions de Thierry Burkart et Werner Salzmann. Elle veut modifier la loi afin que la durée de validité des déclarations de non-réexportation ne soit que de cinq ans pour certains pays qui achètent du matériel de guerre suisse. Ces Etats devraient partager les mêmes valeurs et disposer d'un régime de contrôle des exportations similaire à celui de la Suisse. En même temps, ils devraient s'engager à ne pas transférer les armes vers des pays où les droits humains sont gravement violés ou dans lesquels le matériel de guerre en question risque d'être utilisé contre la population civile.

Les pays impliqués dans des conflits armés internes ou internationaux doivent également être exclus. Exception: ils font usage de leur droit d'autodéfense en vertu du droit international, comme c'est le cas actuellement en Ukraine.

Les projets seront probablement soumis au Parlement en mars, où le Conseil national et le Conseil des Etats prendront alors une décision définitive.

L'UDC a annoncé le lancement d'une initiative sur la neutralité. Que demande-t-elle exactement?

L'UDC critique notamment les sanctions prises par la Suisse à l'encontre de la Russie et a donc lancé l'initiative sur la neutralité. Elle veut inscrire explicitement dans la Constitution que la Suisse ne peut pas adhérer à une alliance militaire ou de défense ni prendre de sanctions économiques. Les obligations envers l'ONU resteraient exclues de l'interdiction.

L'initiative concernerait principalement la politique de neutralité, explique Evelyne Schmid: «Mais de nombreux thèmes ne sont pas réglés par le droit de la neutralité, comme par exemple le commerce.»

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