Les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats rivalisent actuellement de propositions sur la manière dont la Suisse pourrait venir en aide à l'Ukraine. Vendredi, la Commission de sécurité du Conseil des Etats a décidé d'assouplir les règles d'exportation d'armes. Le Parlement réagit à la pression de l'étranger, qui critiquait jusqu'à présent le fait que la transmission de matériel de guerre de fabrication suisse à l'Ukraine n'était pas autorisée.
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L'Allemagne a menacé de ne plus acheter de matériel militaire en Suisse si ce dernier ne peut pas être transmis à un pays tiers en cas d'urgence. Les entreprises d'armement du pays craignent donc de ne plus pouvoir exporter d'armes en vertu du droit en vigueur. A ce sujet, le président du Centre Gerhard Pfister défend une position claire. Le Zougois a reçu Blick au Palais fédéral.
Monsieur Pfister, la Commission de sécurité du Conseil des Etats veut limiter la validité des déclarations de non-réexportation à cinq ans. Mais cela ne devrait pas s'appliquer aux pays en conflit armé...
Les détails devront être clarifiés. Ce qui est certain, c'est que l'idée d'un échange d'armes circulaire n'est pas nouvelle. Un cas où la Suisse livre des armes à l'Allemagne et que cette dernière les transmets ensuite à l'Ukraine a toujours été l'objet de discussions. J'étais déjà d'avis en avril qu'il fallait aider l'Ukraine de cette manière. Seulement, ce que veut la commission du Conseil des Etats, contrairement à ce que demande celle du Conseil national, nécessite à mon avis une modification de la loi.
Et vous ne souhaitez pas de changement?
Il n'est pas toujours nécessaire de modifier la loi. En raison de l'article 184 de la Constitution, qui fait référence aux intérêts du pays, nous pouvons soutenir l'Ukraine sans avoir à y toucher. Il me semble aussi que la majorité de la commission du Conseil des Etats à d'autres objectifs en tête.
C'est-à-dire?
Aider l'industrie suisse de l'armement. Mais pour cela, il faut une modification de la loi. En revanche, notre proposition, la Lex Ukraine, ne veut pas contourner la loi ni la modifier. Je veux aider l'Ukraine. Cela passe par une ordonnance limitée dans le temps, comme nous le proposons. Selon les professeurs de droit, cela est compatible avec la neutralité.
Très bien, mais l'UDC et le PLR ne veulent pas en entendre parler...
La proposition du président du PLR Thierry Burkart, qui souhaite lever l'interdiction de réexportation pour certains Etats, ainsi que la limitation à cinq ans, visent à apporter des modifications pour l'avenir, pour l'industrie de l'armement. Cela n'est en rien utile à l'Ukraine! C'est pourtant par là que nous devons commencer. On pourra toujours vérifier plus tard si l'industrie de l'armement a besoin d'aide. Mais j'en doute...
La commission du Conseil des Etats a rejeté votre Lex Ukraine, car elle favorise un parti belligérant et n'est guère compatible avec notre neutralité. Comment réagissez-vous à cela?
La neutralité de la Suisse est une neutralité armée. Elle doit pouvoir se défendre de manière adéquate. La Suisse et ses valeurs sont désormais codéfendues en Ukraine. Il est donc dans l'intérêt de la Suisse de soutenir la défense de l'Ukraine. Je considère donc qu'il s'agit d'un cas de défense.
Pourtant, vous semblez vouloir redéfinir notre neutralité. Selon vous, peut-on encore dire que la Suisse est neutre?
Absolument! Car elle place le Conseil fédéral devant ses responsabilités. Ce dernier doit préserver les intérêts du pays, notamment en matière de politique étrangère. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a également axé sa politique de neutralité sur les menaces de l'époque. Actuellement, il est difficile d'estimer où la politique agressive de la Russie va encore nous mener. La Géorgie a été la première étape, la Crimée la deuxième, l'Ukraine doit être la troisième. Nous devrions soutenir les pays qui défendent l'Europe. Ne pas aider l'Ukraine aujourd'hui, c'est aider la Russie. Ce n'est pas une posture neutre.
Cela signifie-t-il que la Suisse est en guerre?
L'Europe est en guerre... et la Suisse est au cœur de l'Europe. Nous accueillons des réfugiés et nous avons adopté les sanctions contre la Russie. Dans les deux cas, nous sommes concernés par la guerre. Et le Conseil fédéral doit tout faire pour préserver les intérêts du pays.
Pour Christoph Blocher aussi, la Suisse est en guerre depuis que nous avons repris les sanctions. C'est pour éviter cela à l'avenir qu'il a lancé l'initiative sur la neutralité...
Le débat sur la neutralité doit être mené, et il l'est. Je ne partage pas la conception de la neutralité de Christoph Blocher, mais je salue le débat. Le Conseil fédéral doit toujours pouvoir adapter sa politique de neutralité à la situation de menace du moment. La conception de Monsieur Blocher est trop rigide à cet égard.
Depuis le début de la guerre, vous faites pourtant partie de ceux qui critiquent le plus durement le Conseil fédéral...
Le Conseil fédéral a peur de de prendre des décisions claires. Il se cache derrière des textes de loi et n'offre aucune orientation politique. Ce n'est que lorsque la pression de l'étranger s'accroît qu'il est prêt à bouger. Cela me dérange que les choses ne bougent que sous la pression, après avoir attendu des mois sans rien faire. Nous devons pourtant décider nous-mêmes de ce que nous voulons pour le pays!
Au printemps, vous avez introduit l'impôt sur les bénéfices de guerre dans le débat. Soutenez-vous une telle mesure?
La Grande-Bretagne, mais aussi d'autres pays de l'UE, ont annoncé un tel impôt et l'ont en partie introduit. J'ai posé la question de savoir quelle serait la position du Conseil fédéral si la communauté internationale décidait d'une telle chose.
Vous ne voulez donc pas d'un impôt sur les bénéfices de guerre?
Ma demande était que l'on se penche à temps sur la question. Lorsque la pression internationale en faveur de l'introduction d'un impôt sur les bénéfices de guerre se fera sentir, il sera trop tard.
Un impôt sur les bénéfices de guerre serait pourtant une bonne solution au vu des chiffres rouges de la Confédération... qu'en pensez-vous?
Il existe des idées plus raisonnables pour assainir les finances de l'Etat - si tant est qu'elles soient aussi menacées que le Conseil fédéral veut nous le faire croire à chaque fois qu'il est question de budget. La plupart du temps, les comptes annuels sont plutôt réjouissants.
Changeons un peu de sujet. Selon les sondages, le Centre devrait conserver sa part électorale d'environ 14% lors des élections de cet automne. Enêtes-vous satisfait?
Les défis actuels pour notre pays sont bien plus importants qu'il y a quatre ans. La polarisation s'est accrue. Il semble qu'un nombre croissant de citoyennes et de citoyens pensent qu'il faut un centre fort grâce auquel des solutions seront possibles. Mais les six semaines précédant les élections seront particulièrement importantes. C'est là que nos sympathisants se rendront aux urnes.
Vous allez attendre jusque-là?
Bien sûr que non. Je suis presque tous les soirs dans un parti local. Je constate alors qu'une secousse s'est produite au centre. Nous avons un afflux de jeunes comme je n'en ai jamais vu depuis mes débuts dans mon parti. Cet afflux nous transforme. Les jeunes font bouger le centre. Le fait que les jeunes sœurs Dittli aient été élues a bien sûr aussi déclenché quelque chose. Leur élection le montre: on peut rapidement prendre des responsabilités chez nous.
Quel est votre objectif personnel: voulez-vous revenir à 14 ou même 15% à l'automne 2023, ou préférez-vous devenir conseiller fédéral un an plus tard?
Lors des élections, notre objectif est clairement d'augmenter notre part d'électeurs. Mais c'est le peuple qui décidera de l'importance de ce pourcentage.
Et si vous perdez ce pourcentage? Votre siège vacillera-t-il?
Je me suis engagé pour donner un avenir à ce parti. Nous l'avons changé et avons déjà réalisé beaucoup de choses ensemble. Mais le travail n'est pas encore terminé. En 2024, une assemblée des délégués du centre aura lieu et il appartiendra aux délégués de décider s'ils veulent me confier à nouveau la direction du parti pendant quatre ans.
Vous n'avez pas répondu à la question détournée concernant le Conseil fédéral...
J'ai l'habitude de répondre à cette question lorsqu'elle se pose, par exemple en automne 2018. Aujourd'hui, la question ne se pose pas.