On l'a compris depuis un certain temps déjà, la guerre éclair voulue par la Russie en Ukraine a échoué. Le général Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, avance même le pronostic suivant: la guerre ne se terminera en aucun cas en 2022. L'année prochaine, on se dirigera au contraire vers une «nouvelle phase de confrontation», dont il est bien compliqué de voir le terme.
«Il s'agira d'un conflit de longue durée, avec des pertes humaines et des coûts massifs, sans pouvoir prévoir un résultat final pour autant», a déclaré l'homme de 49 ans. Invité par l'agence de presse publique ukrainienne Ukrinform, Valeri Zaloujny a donc fait part de ses doutes sur les avancées des Russes. Mais il a aussi présenté des perspectives sombres pour l'armée ukrainienne.
Quels sont les objectifs de la Russie dans cette guerre?
Le commandant estime qu'en rejoignant la frontière administrative du Donbass, les troupes russes atteindraient leur objectif final. Mais il reconnaît qu'«une avancée en direction de Zaporijia semble de plus en plus attrayante pour l'ennemi». Cela permettrait une nouvelle percée depuis le sud vers le nord - et donc la prise de certaines villes comme Dnipro. L'armée ukrainienne perdrait ainsi beaucoup de terrain.
Outre les avantages purement militaires, une telle approche stratégique dans l'est et le sud de l'Ukraine pourrait apporter à la Russie des avantages politiques et économiques supplémentaires, selon Valeri Zaloujny. Parmi ceux-ci, la garantie de la sécurité des «républiques» autoproclamées de Lougansk et de Donetsk. Cela serait ainsi la «conclusion logique, bien que retardée» de la soi-disant «opération spéciale» menée par les Russes. Privée d'accès la mer Noire et privée de la centrale de Zaporijia, la principale source énergétique du pays, l'Ukraine se retrouverait dans une position plus que défavorable.
Et ce n'est pas tout: dans les mois à venir, la Russie pourrait même planifier de nouvelles attaques contre Kiev. En outre, la Biélorussie pourrait également intervenir dans le conflit. En bref, le commandant estime que les choses se présentent mal pour l'Ukraine.
Qu'en est-il de l'armée ukrainienne?
Sur le front, la situation pour l'armée ukrainienne est «extrêmement défavorable» en direction d'Izyum et de Bakhmut, révèle le chef militaire. Les efforts de l'armée russe rendent presque impossible l'action de l'Ukraine. «Nous devons doubler nos forces pour inverser la tendance», affirme Valeri Zaloujny.
Ce dernier ne voit qu'une seule façon de sortir l'Ukraine de ce bourbier. «Il faudrait que l'armée ukrainienne lance plusieurs contre-attaques successives et idéalement simultanées au cours de l'année 2023», estime-t-il.
La préparation d'une campagne offensive nécessiterait toutefois que l'Ukraine mette sur pied un ou plusieurs groupements de troupes, composés de dix à vingt brigades chacune: «Dans la situation actuelle, cela pourrait se faire exclusivement en remplaçant les principaux types d'armement dont disposent les brigades déjà existantes par des équipements modernes fournis par nos partenaires.»
Indépendamment de cela, il convient de souligner la nécessité d'acquérir davantage de missiles et de munitions, de systèmes d'artillerie et de lance-roquettes, souligne le général. «Tout cela nécessitera des efforts conjoints de la part de tous les pays partenaires et prendra une part considérable de temps et de ressources financières», prévient-il.
Si la situation prête plutôt à l'espoir concernant les effectifs de l'armée ukrainienne, il n'en va pas de même pour les armes lourdes et les munitions, explique Valeri Zaloujny: «Si une volonté politique apparaît, conjointement à une planification réfléchie, à l'utilisation de la base industrielle et des réserves des principales puissances mondiales, alors il sera plus réaliste d'envisager une amélioration de nos unités lourdement armées.»
De quoi l'Ukraine a-t-elle besoin de la part de ses partenaires?
Une chose est certaine: la Russie est militairement supérieure à l'Ukraine. Valeri Zaloujny en est également conscient. «Il est bien sûr impossible de priver immédiatement l'ennemi d'un avantage aussi important, note-t-il. Vu l'ampleur des ressources dont dispose l'armée russe, la possibilité de la neutraliser complètement est quasiment nulle. Toutefois, il serait tout à fait possible de contrer la Russie si nous nous donnons les moyens d'avoir des capacités similaires.»
Pour cela, il faudrait que les partenaires occidentaux fournissent à l'Ukraine les systèmes d'armement et les munitions adéquates. Il s'agit surtout de certains modèles comme les missiles américains Atacms. «Si l'Ukraine parvient à obtenir le matériel nécessaire, les perspectives opérationnelles et stratégiques pour 2023 seront totalement différentes», anticipe le commandant.
La Crimée joue un rôle clé dans la guerre
La péninsule ukrainienne de Crimée, annexée par la Russie en 2014, continue de jouer un grand rôle dans le conflit actuel. D'après Valeri Zaloujny, c'est grâce à elle que le ravitaillement des troupes russes est garanti. Enfin, la Crimée abrite la principale base navale de la flotte russe sur la mer Noire. Elle héberge aussi un réseau d'aérodromes à partir desquels presque toute l'Ukraine pourrait être attaquée.
Malgré toutes ces difficultés, l'Ukraine peut également se targuer de succès, en Crimée également. Kiev a revendiqué des attaques menée il y a un mois contre plusieurs bases aériennes sur la péninsule annexée par la Russie. «Il s'agissait d'une série de frappes de missiles réussies sur les bases aériennes de Crimée, notamment sur la base aérienne de Saki», a confirmé Valeri Zaloujny.
Celui-ci n'a pas précisé le type de missile utilisé. L'objectif de ce genre d'attaques est de faire comprendre aux Russes, même dans des régions éloignées, que la guerre est une réalité qui peut procurer de nombreuses pertes au sein des troupes du Kremlin également.
(Adaptation par Thibault Gilgen)