Rendez-vous le 26 novembre. C’est-ce jour là, à la veille de la fête américaine de Thanksgiving, que seront publiés les mémoires d’Angela Merkel. Que contient son livre sur Donald Trump, ce président qui ne s’est jamais privé de la snober et de signifier son mécontentement à son égard lors des sommets internationaux? L’ex-Chancelière allemande, si prudente dans l’exercice de ses fonctions entre 2005 et 2021, va-t-elle révéler les dessous cachés de ses relations houleuses avec l’ex-locataire de la Maison-Blanche, qui sera bientôt de retour aux commandes de la première puissance mondiale?
Une plongée dans le livre de «Mutti Merkel» (Maman Merkel, le surnom que lui ont donné les Allemands) sera en tout cas indispensable. Car en matière de choc diplomatique, géopolitique, culturel et personnel, son successeur Olaf Scholz peut se préparer au pire dès que Donald Trump reviendra aux affaires, après l’investiture du 20 janvier 2025. Une confrontation rendue plus périlleuse encore par le calendrier politique de la République fédérale, où les élections législatives anticipées se tiendront le 23 février, suite à la dislocation de la coalition au pouvoir. Le rouleau compresseur Trump, maître dans l’art d’exploiter les fragilités de ses partenaires, ne va pas se priver de mettre la pression maximale sur Berlin…
Le maillon faible
L’Allemagne, maillon faible européen face à l’Amérique de Trump? Aucun doute pour Jacob Funk Kirkegaard, chercheur à l’Institut d’études économiques Bruegel à Bruxelles. «Si les États-Unis deviennent encore plus protectionnistes, les sources de croissance à court terme pour l’Allemagne seront très limitées», a-t-il expliqué à l’agence Reuters. Or l’on sait que l’ex-promoteur new-yorkais est de longue date obsédé par les voitures allemandes importées aux États-Unis. Durant sa campagne victorieuse, l’intéressé a sans cesse répété la même phrase dans les Etats-clés de la «Rust Belt», la ceinture industrielle de la rouille où sa promesse de rendre à l’Amérique sa grandeur a fait mouche: «Je veux que les constructeurs automobiles allemands deviennent des constructeurs automobiles américains. Je veux qu’ils construisent leurs usines ici.» Prière, donc, de mettre l’appareil industriel «Made in Germany» au service de la résurrection du «Made in USA».
Règlement de comptes personnel
Le ressentiment économique de Trump et des siens envers Berlin se double d’un règlement de comptes personnel. Le «président élu» n’a jamais mis en avant les origines allemandes de sa famille, dont le premier patriarche Frederick Trump, originaire de Kallstadt dans l’actuelle Rhénanie-Palatinat, a débarqué aux États-Unis en 1885.
Le père de Donald, prénommé lui aussi Frédérick, s’est même fait passer pour suédois après la Seconde Guerre mondiale, afin de pouvoir mieux négocier ses premières acquisitions immobilières avec les milieux juifs de la grande métropole américaine. Pas question, ici, d’une quelconque nostalgie européenne. Lorsqu’il le peut, c’est vers l’Écosse où il possède un golf que Donald Trump préfère se tourner, la présentant comme son autre terre familiale.
S’ajoute à cela la personnalité du chancelier Olaf Scholz. Pour Donald Trump, le chef du gouvernement allemand, 66 ans, est la proie idéale. Politicien de Hambourg, la ville dont il a été le maire, Scholz a toujours été tourné vers les États-Unis. Social-démocrate, héritier du pacifisme de la gauche allemande, il a longtemps cru dans un possible partenariat fructueux entre son pays et la Russie de Vladimir Poutine.
Déferlante trumpiste
Fragilisé politiquement, le locataire de la Chancellerie n’a, en plus, pas de levier face à la déferlante trumpiste. «Trump ne comprenait pas Merkel. Il l’ignorait parce qu’elle l’intimidait en quelque sorte, estime, à Washington, un ancien diplomate américain. Scholz est en revanche un «nobody» (personne) pour Trump et son équipe. Tous leurs contacts sont établis avec la CDU, le parti chrétien-démocrate donné pour favori lors des prochaines législatives.» Pour faire simple: Scholz est perçu comme un perdant. Exactement ce que Trump le gagnant déteste.
S’y ajoute le dossier de l’Ukraine et l’appareil militaire allemand. Trump a pris en grippe l’État-Major de l’armée américaine dont il va devenir le «Commander in Chief». Rien ne pouvait sans doute plus effarer les généraux que son nominé pour le poste de secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, 44 ans, vétéran des guerres d’Irak et d’Afghanistan, major de réserve, couvert de tatouages et ancien animateur de Fox TV.
L’armée allemande visée
Or Hegseth a plusieurs fois évoqué sa détestation des officiers allemands, «qui ne font plus la guerre et se cachent derrière leur Constitution». L’armée allemande, engagée dans un profond programme de restructuration, avec des investissements à hauteur de 100 milliards d’euros alloués en urgence après le déclenchement de la guerre en Ukraine, est vue comme une cliente à qui il faut «remonter les bretelles». De quoi alarmer notre diplomate à Washington: «Il ne vous a pas échappé qu’en fin de campagne, la soi-disant admiration de Trump pour les généraux d’Hitler a été évoquée dans les médias. Voilà ce que ces gens pensent de l’Allemagne. Forte autrefois, faible et aux ordres de Washington aujourd’hui.»
Le très controversé coup de fil d’Olaf Scholz à Vladimir Poutine, le 15 novembre, est-il donc la première preuve du rapport de force entre la Maison-Blanche et la Chancellerie? Le Chancelier a-t-il, sous prétexte de repréciser les conditions d’une paix possible à laquelle l’Ukraine devra obligatoirement être associée, décroché son téléphone pour faire plaisir à Washington, voire sur ordre? Et quelles conséquences doivent en tirer les partenaires européens de l’Allemagne, alors que tous se préparent au choc frontal avec l’administration Trump II?
Une paix juste et équitable
«Nous devons mettre fin à cette guerre de manière juste et équitable», a réaffirmé ce mardi 19 novembre le président ukrainien lors d’un discours en visio devant le Parlement européen. Des termes qui contrastent sérieusement avec ce que l’on sait du plan de Trump. A savoir, selon le Wall Street Journal, «la promesse de Kiev de ne pas adhérer à l’OTAN pendant au moins 20 ans. Et une zone démilitarisée d’environ 1200 kilomètres qui figerait le front actuel.» Moscou aurait dès lors gagné. Une hypothèse que l’Allemagne, deuxième soutien militaire de l’Ukraine après les États-Unis, n’a jusque-là pas réfutée, tout en estimant que les Européens devront avoir une place dans les futurs pourparlers.