Assembler et démonter une kalachnikov, reconnaître des terroristes et prodiguer les premiers soins en cas de blessure par balle: voici ce qu’apprennent de nombreux jeunes écoliers russes. Ils font partie de la Iounarmia, une organisation sociale militaro-patriotique pour enfants et jeunes créée en 2016 par le Ministère de la Défense en collaboration avec le président russe, Vladimir Poutine. Selon son site Internet, le mouvement compte déjà 1,25 million de membres et jouit d’une popularité croissante.
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Ce sont surtout les jeunes Sibériens qui sont actifs au sein de l’organisation. Dans la région de Touva, très militarisée, la guerre est omniprésente. Cela se reflète également dans les écoles. Des élèves de première année écrivent des lettres à des soldats sur le front, d’autres préparent des boulettes de viande que les soldats en Ukraine pourront cuisiner.
Pour motiver les troupes, un concours particulier est organisé en mars: l’élection de Miss Iounarmia. Des jeunes filles âgées de 14 à 17 ans doivent s’affronter dans différentes catégories: assemblage et désassemblage d’une kalachnikov, condition physique, maniement d’une mitrailleuse en rampant sur le sol… «Elles se préparent à défendre leur pays», explique une mère interviewée par la chaîne d’information Radio Svoboda lors de l’élection.
La guerre comme un jeu
«J’espère qu’aucune d’entre elles n’ira à la guerre», glisse une institutrice de la Iounarmia. Réussir une carrière professionnelle sans enseignement militaire est presque impossible à Touva, explique-t-elle: «L’armée, le Ministère des situations d’urgence, les gardes-frontières – ce sont toutes des institutions pour lesquelles les élèves ont besoin d’une formation militaire de base.» Et il y a celles et ceux qui seront appelés au front. «On peut y échapper lorsque l’on a des parents riches, mais c’est rarement le cas ici», concède l’enseignante.
En Russie, la Iounarmia était vue comme les scouts en Suisse. Avant le 24 février 2022, elle était considérée comme inoffensive aux yeux des parents. Mais tout a changé lors de l’invasion russe de l’Ukraine. «Depuis l’année dernière, c’est devenu beaucoup plus intensif», explique Danil Ken, président du syndicat russe Alliance des enseignants. Selon lui, le plan de Vladimir Poutine est de s’assurer le soutien de la société grâce à une éducation militaire précoce. «Il ne suffit pas de convaincre les retraités qui regardent la télévision, estime-t-il. La propagande doit aussi atteindre les jeunes.»
Les enfants apprennent à mourir pour la patrie
L’entraînement militaire des jeunes Russes ne s’arrête pas à un concours de Miss. Dans la ville sibérienne de Borzia, des garçons sont entraînés à prodiguer les premiers soins médicaux et à reconnaître des terroristes sur la base de quelques indices. Les habitants ne trouvent pas cela inquiétant. «Les enfants rêvent de devenir parachutistes, mais quand cela n’était-il pas le cas? C’est inoffensif», avance l’un d’entre eux à Radio Svoboda.
Le philosophe et pédagogue russe Sergueï Tchernychev voit cela d’un tout autre œil. «On apprend aux enfants qu’il est normal de mourir pour sa patrie, critique-t-il. Dans l’enseignement scolaire, il n’y a plus de frontière entre le bien et le mal.»
D’anciens membres de la Iounarmia combattent en Ukraine. Rien que pour la Transbaïkalie, une autre région pauvre de Sibérie, six jeunes soldats sont déjà morts et deux sont portés disparus. Jusqu’à présent, les femmes n’ont pas encore été envoyées au front pour se battre, mais seulement en tant que médecins.