Emmanuel Macron a fait un rêve: l’hiver 2022 était glacial. Les Européens, privés de gaz russe, rationnent leur consommation énergétique. En Ukraine, l’armée russe patine et les forces de Kiev sont incapables de reprendre les villes annexées.
Aux Etats-Unis, le statu quo politique entre Joe Biden et Donald Trump coupe le pays en deux et ligote Washington. Survient le miracle: au téléphone, Vladimir Poutine convie le président français à se rendre au Kremlin pour discuter sérieusement d’une sortie au conflit qu’il a lui-même déclenché le 24 février. L’Elysée devient le QG diplomatique mondial. Le retour de la paix s’y négocie enfin.
Ne pas laisser la Turquie seule face à la Russie
Ce rêve, le Chef de l’Etat Français est, pour l’heure, condamné à le répéter sans parvenir à convaincre qu’il peut, un jour, se matérialiser. Mais il tient bon. Jeudi 1er septembre, devant le corps diplomatique, Emmanuel Macron a jugé indispensable la poursuite de ses échanges téléphoniques avec Vladimir Poutine.
«Qui a envie que la Turquie soit la seule puissance du monde qui continue à parler à la Russie?, a-t-il interrogé. Il ne faut céder à aucune forme de fausse morale qui nous impuissanterait.» On appréciera l’utilisation de ce verbe très inhabituel. La bonne formule serait plutôt: «Cette fausse morale qui nous rend impuissants.» Mais le locataire de l’Elysée veut marquer les esprits. Il continue, de facto, de considérer Poutine comme un partenaire avec lequel on peut discuter. Même si la Russie est «dans une logique impérialiste».
Parler avec le maître du Kremlin? Mais pour lui dire quoi? Et pour tirer quelles conclusions de ses éventuelles promesses? Sur le fond, l’argument d’Emmanuel Macron est celui du bon sens face à une puissance nucléaire agressive, capable du pire: «Il faut assumer de pouvoir toujours continuer à parler à tout le monde […] surtout ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord» a-t-il poursuivi.
La question est, il est vrai, assez simple: pourquoi accepterait-on, au nom de la paix, de dialoguer avec des groupes armés parfois féroces, comme le font de nombreux Etats, les agences des Nations unies ou des organisations spécialisées basées en Suisse telles que le Centre pour le dialogue humanitaire ou l’Appel de Genève?
Boycotter la Russie?
Pourquoi, à l’inverse, devrait-on boycotter la Russie qui reste, quelle que soit l’horreur de la guerre en Ukraine, une puissance incontournable? C’est, après tout, notre avenir qui est en jeu.
«Il semble que tout à coup, l’Occident s’est créé une conscience qui fonctionne de manière très sélective et à géométrie variable» dénonce l’expert suisse Jacques Baud dans son dernier livre coup de poing «Opération Z» (éditions Max Milo). Exonérer ainsi la Russie de son écrasante responsabilité est très contestable. La question n’en est pas moins posée.
Le problème est qu’Emmanuel Macron, dans son discours d’une heure trente, n’a pas apporté la moindre réponse, à part un début d’autocritique: «Parfois, nous avons pu, l’Occident a pu introduire le doute sur ces sujets au nom même de nos valeurs. Parfois, avons-nous nous-mêmes, par nos actions, documenté le procès que d’autres nous faisaient à̀ cet égard. Je veux ici que ce soit clair: c’est pour moi un invariant. On ne bouge pas le destin des peuples en se substituant à eux.»
Pas de sortie du tunnel
Et après? Rien. Aucune évocation d’un possible «donnant-donnant» qui pourrait constituer une sortie du tunnel. «Nous continuerons de parler à tout le monde avec une grammaire simple. Nous avons des coalitions, nous avons des alliés, nous défendons la cohérence avec nos alliés. C’est pour ça que, étant allié de l’OTAN, nous avons décidé avec les autres membres de sanctions. Nous avons des alliances, des coalitions d’actions. Nous sommes cohérents, mais nous devons défendre une liberté d’action, de dialogue pour avoir une action utile.»
Rien de concret. Rien d’autre qu’une sonnerie de téléphone dans un lointain bureau russe et l’espoir que, là-bas, quelqu’un va décrocher…
La France, ce pays «inamical»
Les deux dernières conversations téléphoniques entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine remontent au 19 août et au 28 mai. En août, ironie des circonstances, le président français était en vacances au Fort de Brégançon, ce piton rocheux où il avait convié son homologue russe… le 19 août 2019.
Au centre de la conversation? La centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia, aux mains de l’armée russe, où une mission d’inspection internationale est enfin arrivée le 1er septembre. L’appel a donc peut-être joué un rôle.
Le 28 mai en revanche, l’échec avait été total. Vladimir Poutine avait ensuite qualifié la France de «pays inamical». Quant aux nombreuses conversations entre les deux hommes avant le conflit, toutes ont échoué à empêcher la guerre. Dans une grande enquête, le «Washington Post» affirme même que le président russe avait promis à son homologue français une nouvelle rencontre avec Joe Biden. Pour aussitôt l’oublier et lancer ses chars d’assaut contre l’Ukraine.
Volontarisme diplomatique
Parler avec Vladimir Poutine, pour dire quoi? Simplement… pour parler, affirmait en avril l’universitaire Français Pierre Grosser dans «La Croix»: «On l’a vu à l’époque de la guerre froide, où il fallait absolument garder un canal ouvert pour ne pas risquer l’escalade nucléaire. Lors de la guerre de Corée, durant la période stalinienne la plus dure, on a poursuivi les échanges avec le Kremlin. Parler ne veut pas dire négocier, et négocier ne veut pas dire 'signer un accord'. Il faut pouvoir continuer à faire passer des messages. C’est l’une des grandes leçons de la crise de Cuba en 1962: à l’ère du nucléaire, il faut absolument maintenir un canal direct ouvert. C’est pourquoi on a mis en place le dispositif du téléphone rouge».
Alors que la Russie s’apprête à enterrer samedi 3 septembre son ancien président Mikhaïl Gorbatchev dans l’indifférence générale (Vladimir Poutine n’ira pas aux obsèques), l’histoire serait donc du côté du volontarisme diplomatique d’Emmanuel Macron. Il fallait jadis parler avec l’ex-URSS qui annexa la moitié de l’Europe après la seconde guerre mondiale. «Le maintien du dialogue permet aussi de mieux juger l’ennemi, terme que j’emploie volontairement poursuivait l’universitaire. On ne peut pas rompre les relations diplomatiques et laisser Vladimir Poutine dans un isolement complet.»
Problème: parler permet aussi aux Russes de gagner du temps. Un temps de guerre supplémentaire que les Ukrainiens paient au prix de leur vie et du dépeçage de leur territoire.