Sans l’incroyable pari politique de Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, tout serait différent aujourd’hui. Ces mots, seuls les Européens qui ont connu l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) peuvent en mesurer la portée dans leurs souvenirs et dans leur chair.
Du tsunami politique de 1989 à l’Europe d’aujourd’hui
Sans ce fils de paysans originaire de Stavropol, pas très loin de la Crimée arrachée en 2014 à l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine, les générations nées après 1989 auraient grandi dans un tout autre continent. De Berne à Varsovie, de l’Ouest à l’Est du continent européen, le tsunami politique enclenché à Moscou par celui qui devint Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique le 11 mars 1985 est à l’origine de l’Europe telle que nous la connaissons en 2022. Avec son lot de formidables réalisations démocratiques et, du côté russe, son terrible héritage de rancœurs, de colères et de volonté de revanche.
Le défi impossible de Gorbatchev
Mikhaïl Gorbatchev osa un défi impossible: la transformation pacifique et désordonnée d’une puissance nucléaire soviétique sclérosée par sa déliquescence économique et minée par le mensonge à tous les étages depuis la révolution de 1917 qui installa le Parti communiste au pouvoir à Moscou. Une date, une seule, démontre combien il se trompa sur la possibilité de réussir un tel saut dans le vide géopolitique. Le 4 juin 1989 - soit un peu moins de six mois avant l’écroulement du mur de Berlin qui divisait l’Allemagne, le 9 novembre 1989 – son homologue chinois Deng Xiaoping fait massacrer des milliers d’étudiants sur la place Tian Anmen, en plein centre de Pékin.
Deng Xiaoping, l’autre modèle
Deng avait compris que le capitalisme était la solution pour sauver l’Empire du milieu de l’échec programmé. Mais il avait aussi compris que seule la force, et la férule du parti, pouvait le tenir ensemble et permettre à la victoire révolutionnaire de Mao Tse Toung en 1949 de ne pas sombrer dans le chaos. Cette analyse terrible et pragmatique ne fut pas celle de Gorbatchev. Croire à une possible main tendue des Occidentaux, et à la capacité d’un peuple à tenir ensemble lorsqu’un pays se disloque, fut son immense erreur.
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C’est à cette erreur, toutefois, que nous devons tout. Nous lui devons, par ricochet, les guerres meurtrières qui ont suivi, notamment celles des Balkans dans les années 90, après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Nous lui devons aussi, par héritage, le conflit qui ensanglante l’Ukraine, fruit de la volonté meurtrière de Vladimir Poutine de faire renaître la puissance impériale et coloniale russo-soviétique aux dépens de ses voisins. Mais nous lui devons surtout ce que personne, avant les secousses du milieu des années 80, ne pensait possible: une Allemagne réunifiée, une avancée des libertés démocratiques sans précédent, une transformation du continent européen en un immense espace de libre circulation, de libertés et de prospérité. Cette prospérité que, justement, le fantôme de l’ex-URSS et l’arrêt du ravitaillement en gaz russe menacent aujourd’hui de mettre à genoux.
Il était devenu un quasi-paria
Mikhaïl Gorbatchev a échoué à transformer son pays où il était d’ailleurs devenu un quasi-paria, haï par les ex-communistes et les nationalistes. Il fut à la fois le fossoyeur de l’Union Soviétique et de la puissance russe que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux – c’est-à-dire nous, les Européens – furent trop heureux de démanteler, avec l’aide d’oligarques kleptocrates accueillis à bras ouverts par nos banques, y compris en Suisse.
Mais Mikhaïl Gorbatchev fut aussi le père d’un rêve qui a transformé nos vies pour le meilleur parce que l’Union européenne, avec toutes ses imperfections et ses erreurs, est parvenue à combler le vide laissé par la disparition du rideau de fer sur le continent. La liberté s’est engouffrée là où des décennies de communisme version soviétique l’avaient broyée. L’envie d’entreprendre est revenue là où la dictature de l’État s’immisçait dans chaque famille. La créativité culturelle a partout fleuri sur les décombres de l’ex-URSS.
Larmes, pauvreté, rancunes… l’autre héritage de Gorbatchev
Les larmes d’hier, la pauvreté des Russes post-soviétiques, le dépeçage en règle de cet immense pays, les peurs et les rancunes qui sommeillent… Tout cela est aussi l’héritage de Gorbatchev. Mais pour les jeunes Européens aujourd’hui, de Berne à Varsovie, le premier mot à prononcer à l’évocation de son souvenir doit être celui-ci: merci!