Adrien Quatennens était jusque-là un élu dont la gauche française et la classe politique hexagonale pouvaient être fières. A 32 ans, le député de La France Insoumise (LFI) de la première circonscription du Nord, réélu en juin pour un second mandat, incarne depuis plusieurs années le renouveau, aidé par des médias français jusque-là ravis de l’inviter sur leurs plateaux.
Logique: expert en «punchlines», reconnaissable à sa tignasse rousse et à sa chemise blanche qu’il porte toujours col ouvert, sniper en chef de son parti, cet élu repéré très tôt par le tribun Jean-Luc Mélenchon a tout du «bon client». Une posture d’autant plus intéressante, sur le plan médiatique, que sa terre électorale est aussi celle d’un aspirant au sommet de la République: l’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ex-maire de Tourcoing dans la banlieue de Lille, la capitale nordiste.
Tsunami médiatique
Vous me direz à ce stade que je n’ai toujours pas évoqué les raisons du tsunami médiatique qui déferle depuis deux jours sur Adrien Quatennens, au point de presque l’engloutir. J’y viens: le jeune député, devenu une vedette télévisuelle, est accusé de violences contre son épouse, dans le contexte d’un divorce difficile. L’histoire ne dit pas, à ce stade des informations publiées dans la presse, qui veut divorcer et pourquoi. L’élu LFI a en revanche reconnu avoir asséné une gifle à sa femme, à propos d’un téléphone portable.
Celle-ci, sans doute pour se protéger de violences ultérieures, a déposé une main courante auprès de la police. La justice, lundi 19 septembre, a estimé justifié d’ouvrir une enquête. Les faits, espérons-le, seront donc établis. S’il le mérite au regard de la loi, le mari violent sera poursuivi et peut-être condamné. En sachant qu’une première sanction politique est déjà tombée puisque Quatennens, sans démissionner de son poste de député, s’est mis en retrait de ses responsabilités dans son parti.
Règlements de compte au sein de La France insoumise
Or voilà que depuis deux jours, les médias français distillent, au fil des heures, les règlements de compte internes à «La France Insoumise» comme s’il s’agissait d’une affaire d’Etat. En oubliant au passage que les quelques informations disponibles viennent de fuites au sein de la police, dont il convient de rappeler que le ministre est… Gérald Darmanin, accusé lui-même dans le passé de viol et blanchi en juillet dernier par les magistrats.
Sans surprise, le flingueur en chef Jean-Luc Mélenchon, qui adore se parer d’ordinaire de l’étoffe de justicier, se retrouve aussi dans le collimateur, y compris au sein de son parti. Pour avoir exprimé sa «confiance» à son jeune collègue, le voici accusé de complicité de violences conjugales et d'indifférence aux «violences intrafamiliales» par la première ministre Elizabeth Borne. La logique est implacable: celui qui adore clouer ses adversaires politiques au pilori, dénonçant au passage la police et les juges qu’il estime biaisés et au service du pouvoir, se retrouve sur le bûcher. Adrien Quatennens est coupable. «Méluche» est coupable. Les autres affaires de violences ou de harcèlement sexuel au sein de LFI remontent à la surface. L’heure est au coup de balai politico-médiatique.
Indécence totale
Qu’Adrien Quatennens, figure publique, doive répondre de son comportement intime et conjugal, sur une question de société aussi importante que les violences faites aux femmes, est tout à fait normal. Mais que cette ruée devienne l’occasion, pour d’autres personnalités politiques de son propre camp, de se positionner dans les médias et de réclamer sa tête est d’une indécence totale.
Le malaise est similaire du côté de la presse, qui semble pour le moment n’avoir qu’une seule source: à savoir la police. Pire: surfer sur cette vague pour faire le procès politique de Jean-Luc Mélenchon, 71 ans est du pur opportunisme. Quid, parmi les éléments à prendre en compte, du jeune âge des protagonistes – le trentenaire Adrien Quatennens pourrait être le fils du tribun de LFI – la pression du vedettariat, et les sourdes batailles d’ego au sein de La France Insoumise et de la Nupes, l’alliance électorale de gauche réunie autour d’elle?
La polémique, à ce stade, ne fait qu’achever la transformation de la politique française en ring. Comme si le seul objectif aujourd’hui était de bouter ses adversaires hors des cordes au lieu de les combattre sur leurs idées. La soif de lynchage cache, toujours, un redoutable piège démocratique.