La guillotine diplomatique peut tomber en une phrase. Pour Valéry Giscard d’Estaing, qui présida la France entre 1974 et 1981, celle-ci sortit de la bouche de François Mitterrand, son principal opposant, alors premier secrétaire du parti socialiste. Nous sommes en mai 1980. Quelques mois plus tôt, les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan.
Le chef de l’Etat français choisit de se rendre à Varsovie, capitale de la Pologne communiste de l’époque, pour y rencontrer le maître de l’ex URSS, Leonid Brejnev. Celui-ci lui promet un retrait partiel qu’il confirme, un mois plus tard, par un télégramme adressé en plein sommet du G7 réuni à Venise. Mais sur le terrain, rien ne se passe. VGE a perdu la partie. Le voici surnommé, par Mitterrand, le «petit télégraphiste» de Moscou.
Petit télégraphiste de Poutine?
Emmanuel Macron est-il, quarante-deux ans plus tard, le «petit télégraphiste» de Vladimir Poutine? Ou, au contraire, «le petit télégraphiste de l’Otan et de l’Union européenne» comme l’a affirmé son opposante en chef nationale populiste Marine Le Pen durant la campagne présidentielle qui a abouti à sa réélection? La réponse viendra peut-être ces jours-ci d’une autre destination diplomatique à hauts risques, où l’avion du président français se posera ce mercredi 25 août pour une visite officielle de trois jours: l’Algérie.
Si la mission d’inspection internationale de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporija (contrôlée par l’armée russe) se matérialise comme le chef de l’Etat russe l’a promis vendredi au téléphone à son homologue français, ce dernier arrivera à Alger après avoir enfin pesé sur les événements, après tant de vaines conversations téléphoniques avec Moscou.
Si rien ne se passe en revanche, la polémique reprendra à coup sûr, attisée par le climat politique d’Alger, où le ressentiment anti-occidental est cultivé depuis l’indépendance obtenue de la France le 5 juillet 1962. Puisque le locataire de l’Elysée n’a pas les moyens de faire plier son interlocuteur du Kremlin, l’Algérie doit-elle encore, malgré ses liens historiques et les millions de binationaux entre les deux pays, considérer la France comme une puissance à ménager?
Le baromètre de l’influence française
La coïncidence des deux démarches diplomatiques – le coup de fil pour convaincre Poutine du vendredi 19 août et la visite en Algérie pour rétablir des relations correctes avec l’ex colonie française, grande exportatrice de gaz vers l’Europe – fait donc de cette semaine un assez bon baromètre de l’influence française en 2022. Et pour cause: formés en partie dans l’orbite soviétique jusque dans les années 90, les généraux algériens – qui détiennent tous les leviers de ce pays mis en coupe réglée par son armée, relégitimée par la guerre contre les islamistes dans les années 90 – savent que Paris n’est pas en position de force.
Tout le monde veut le gaz algérien du Sahara, exploité par la puissance société d’Etat Sonatrach. Tous les observateurs militaires savent qu’au Sahel, en partie évacuée par l’armée française chassée du Mali, l’Algérie ne suit que son propre agenda, y compris s’il lui faut faire des compromis avec les djihadistes.
Un autre sujet explosif, l’émigration en provenance d’Afrique, se joue en partie sur les rivages de l’Algérie Le pouvoir algérien sait, enfin, que le président français est, dans son pays, politiquement fragilisé. La posture revancharde d’Eric Zemmour durant la présidentielle, puis la poussée de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale a refait surgir le fantôme empoisonné de la décolonisation et de l’Algérie française. L’histoire est une arme pour Alger, au point qu’Emmanuel Macron a courageusement dénoncé l’an dernier la «rente mémorielle» du régime algérien. Des paroles sur lesquelles il devra s’expliquer ces jours-ci, de l’autre côté de la Méditerranée.
Besoin d’un succès international
Le problème est que le locataire de l’Elysée a, quatre mois après sa réélection en avril, cruellement besoin d’un succès international. Sa présidence tournante de l’UE, entre janvier et juin, a été gâchée par la guerre en Ukraine et les «gifles» téléphoniques reçues d’un Vladimir Poutine résolu à en découdre.
Au tout début septembre aura lieu, à Paris, la traditionnelle conférence de rentrée des Ambassadeurs de France, où le président réélu interviendra sans doute sur fond de colère au sein de cette administration dont il a réformé les statuts. Dans la foulée, Emmanuel Macron s’envolera pour l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Puis viendra la séquence cruciale de novembre, avec les élections de «mid-terms» américaines qui affaibliront ou non Joe Biden, et le G20 de Bali (Indonésie) où devraient se rendre les présidents russes et chinois.
Une équation diplomatique insoluble
L’hiver, alors, aura commencé en Europe. L’absence de gaz russe refroidira le continent et son économie. Et l’Union européenne se trouvera, comme toujours, en mal de leadership entre une Allemagne rivée sur ses indicateurs économiques, une Italie au mieux convalescente (voire en crise) après ses législatives du 25 septembre, et une France vers laquelle beaucoup se tourneront.
Emmanuel Macron est, au bout du téléphone avec le Kremlin ou sur le sol algérien, confronté à la même équation insoluble, lui le successeur du général de Gaulle qui donna son indépendance à la plus importante colonie française: comment garder une influence sans avoir la puissance pour l’imposer? Comment, surtout, adapter les ambitions françaises à la réalité d’un monde de nouveau dominé par la guerre et les Empires? Celui qui promettait, en 2017, de faire de la France une «start-up nation» se retrouve devant un dilemme bien connu de l’économie digitale: sans taille critique, l’espoir de peser sur le marché numérique mondial est, sauf miracle capitaliste, condamné à la guillotine des rapports de force.