L’un des objectifs de la guerre en Ukraine, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, est de permettre à Vladimir Poutine de redevenir le maître de la mer Noire. Cela offrirait à la Russie un indispensable débouché maritime vers le sud. Xi Jinping, lui, rêve d’une influence maritime bien plus impériale. Il souhaite contrôler les mers d’Asie avec une marine chinoise surdimensionnée, dont le tonnage sera en 2030 deux fois supérieur à celui de l’US Navy, protectrice du Japon, de la Corée du Sud et surtout du détroit de Taïwan.
Les autorités Taïwanaises l’ont d’ailleurs bien compris: plus qu’une invasion amphibie, la manœuvre la plus redoutée dans l’île est aujourd’hui l’encerclement maritime. Dans un communiqué publié le 19 août et relayé par le Financial Times, l’Etat-major Taïwanais confirme que des navires chinois franchissent désormais chaque jour la ligne médiane du détroit, qu’ils ceinturent le détroit de Bashi entre Taïwan et les Philippines, et patrouillent autour des îles voisines japonaises de Yonaguni. «Repousser ces bateaux est de plus en plus indispensable» affirme le texte.
Un G20 avec Xi Jinping et Vladimir Poutine
Les ambitions stratégiques des présidents chinois et russe seront au cœur des débats du sommet du G20 à Bali (Indonésie) les 15 et 16 novembre. Leur présence conjointe y est a priori confirmée, selon le président Indonésien Joko Widodo qui espère encore convaincre l’Américain Joe Biden de faire lui aussi le déplacement.
Il y sera bien sûr question de l’Ukraine. Mais un autre «front» sera suivi de près: celui de l’Asie-Pacifique de nouveau brûlant, après la récente visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi au début août, et les manœuvres militaires chinoises en riposte.
Basculement du Pacifique vers l’Atlantique
Comment éviter que la Chine augmente sa pression sur les détroits asiatiques cruciaux, notamment celui de Malacca entre l’Indonésie et Singapour? Comment éviter que, dans une autre direction, la marine chinoise ne profite du réchauffement climatique pour venir en renfort des forces navales russes dans le grand nord? «À l’heure actuelle, les Chinois construisent une flotte de cinq brise-glace pour s’offrir la possibilité de basculer leurs forces du Pacifique vers l’Atlantique, avec l’amitié des Russes», a récemment expliqué l’Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine française.
L’officier supérieur a formulé cet avertissement fin juillet, lors d’une audition devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Pour cet ancien «pacha» du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle, la suprématie navale est l’obsession stratégique du président Chinois. Ce dernier aura, juste avant le G20 de Bali, été reconduit pour cinq ans à la tête de son pays lors du 20e Congrès du parti communiste chinois attendu pour la fin octobre.
«Le réarmement de la mer s’est accentué tout spécialement pour la Chine qui, le 23 avril, a admis au service actif, le même jour, le porte-hélicoptères Hainan, dont la taille et le déplacement sont comparables à ceux du Charles-de-Gaulle, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Changzheng-18, le sixième de sa classe, et le Dalian, troisième destroyer lance-missiles de type 55, long de 180 mètres, pesant 12’000 tonnes et disposant de 112 cellules de lancement vertical, soit à lui tout seul la capacité de cinq de nos frégates multimissions (FREMM)», a précisé l’Amiral Pierre Vandier.
Alerter les Européens
Motif de cette prise de parole forte devant les députés: alerter les Européens sur le fait qu’à l’heure de la guerre en Ukraine, la menace russe n’est pas la seule à prendre en compte. Et leur rappeler que la prospérité du Vieux Continent dépend aussi de l’ouverture des couloirs commerciaux maritimes en Asie-Pacifique où la France conserve une présence, via ses territoires de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.
Le forcing maritime chinois en Asie s’explique bien sûr, en premier lieu, par la volonté de faire respecter la puissance de Pékin en mer de Chine où la République populaire entend reprendre le contrôle de Taïwan, mais aussi établir des bases militaires permanentes sur les archipels disputés des Spratleys et des Paracels, au large du Vietnam. Autre motif de cet appétit naval: le contrôle des câbles sous-marins qui jalonnent les fonds de l’Asie-Pacifique, constituant la colonne vertébrale numérique.
L’autre guerre navale: celle des fonds marins
«Les fonds marins deviennent un nouveau théâtre de guerre, une nouvelle zone de convoitise – voire d’espionnage», peut-on lire dans la transcription des échanges de l’Amiral avec les députés français.
En Asie tout particulièrement: «Chaque année, à l’image d’un collier étrangleur, nous sommes un peu plus sous pression dans cette région du monde. La présence militaire chinoise s’affirme de plus en plus avec dureté. Désormais, dès l’entrée en mer de Chine, alors que nous naviguons en espace maritime international, nous sommes systématiquement escortés de très près par des navires militaires chinois, a poursuivi l’Amiral Pierre Vandier. L’approche qu’a la Chine de la zone est de plus en plus territorialisante. Le niveau de la marine chinoise est au-delà de ce que nous imaginions.»
«L’objectif de la Chine est clairement d’étendre sa surface en mer»
Et de conclure, en évoquant les «contraintes de navigation» subies dans cette zone Asie-Pacifique par les vaisseaux français, et le défi posé à la VIIe flotte américaine basée à Yokosuka (Japon): «Les Chinois ont désormais du matériel naval moderne et de bonne qualité. Reste à apprécier, avec nos alliés, leur réel niveau militaire. Sont-ils réellement capables de mener des opérations pointues? En tout cas, ils ont dorénavant la capacité d’accompagner avec leurs corvettes et frégates, dans chaque détroit de la mer de Chine, les navires militaires occidentaux qui y transitent […] La Chine a envie de modifier des règles internationales, de sortir d’un état qui ne lui convient pas. En mer, son objectif est clairement d’étendre sa surface.»
Un objectif similaire à celui que Vladimir Poutine affiche depuis le début en Ukraine. Ce qui ne devrait pas inciter la Chine, comme la Russie, à faire des concessions durant le sommet du G20 à Bali.