Analyse d'un expert de la Chine
L'«exercice militaire» autour de Taïwan serait une diversion de Xi Jinping

Irrité par la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, le président chinois Xi Jinping a réagi en lançant un exercice militaire au large des côtes de l'île. Le spécialiste de la Chine Alexander Görlach analyse la portée et la potentielle signification de cette action.
Publié: 07.08.2022 à 14:51 heures
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Mardi dernier, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, s'est rendue à Taïwan.
Photo: AFP
Alexander Görlach*

Depuis jeudi, le démocratique et libre Etat de Taïwan est encerclé par la marine chinoise. Cette dernière s’est déployée autour de l’île à six endroits différents. L’armée pénètre également dans les eaux territoriales de Taiwan et tire à balles réelles. Dès le premier jour du blocus maritime, que les observateurs considèrent comme une répétition générale d’une invasion de Taïwan par la République populaire de Chine, plusieurs missiles chinois se sont abattus dans les eaux japonaises à proximité d’Okinawa. Cette dernière abrite également une base militaire américaine. Les deux pays, le Japon et les États-Unis, sont des partenaires proches de Taïwan.

Le commandant en chef de l’armée chinoise, le dirigeant Xi Jinping, justifie l’agression de son pays contre son petit voisin en assurant que Taïwan est une partie de la Chine. La vérité est toutefois que la République populaire et le Parti communiste n’ont jamais régné sur l’île. L’objectif de Xi Jinping n’est pas seulement de conquérir Taïwan: la Chine est en conflit avec tous ses voisins à propos des frontières et des territoires. Pékin veut faire du Pacifique occidental une eau nationale. Pour cela, la Chine doit voler des îles à des pays comme les Philippines. Des mercenaires chinois occupent déjà une partie des îles Spratley depuis mars 2021.

Manœuvre de diversion pour une économie paralysée

Xi Jinping a profité de la visite de la politicienne américaine Nancy Pelosi pour lancer l’offensive contre la démocratie insulaire. Il espère ainsi resserrer les rangs chez lui et détourner l’attention des immenses problèmes dans lesquels il a empêtré la République populaire. L’économie est paralysée par sa politique erronée face à la pandémie de Covid-19. Avec 18,4%, la Chine connaît le plus fort taux de chômage des jeunes depuis des décennies. La crise bancaire dans la province du Henan a révélé que la corruption est loin d’être vaincue en Chine. Avec la complicité du gouvernement, les banques locales ont misé les économies des habitants de toute la Chine dans des placements risqués.

Le secteur immobilier est au bord de l’effondrement. Des centaines de milliers de personnes ont investi leur argent dans des logements qui ne sont désormais plus construits, car les maîtres d’ouvrage ont spéculé. De nombreux crédits que Pékin a accordés à des pays du monde entier dans le cadre de la nouvelle route de la soie afin d’y acheter une influence politique font défaut ou doivent être restructurés. Sur les quelque 870 milliards de dollars américains, environ 140 milliards auraient ainsi déjà été perdus.

Critiqué pour son orientation belliciste

L’un dans l’autre, ce bilan ne permet pas de faire la promotion d’un troisième mandat de Xi Jinping. Ce dernier souhaite se faire proclamer président une troisième fois à l’automne, contrairement à la convention, et s’ouvrir ainsi les portes d’un règne à vie. Mais même dans une dictature totalitaire comme celle de la Chine, Xi Jinping ne peut pas être tout-puissant sans rien risquer: certains opposants au sein de son parti ne sont pas satisfaits de son orientation belliciste. La classe moyenne, mécontente, qui vient de perdre ses économies et ses placements et qui voit ses enfants quitter l’université pour se retrouver au chômage, descend dans la rue pour manifester. Cela devrait également donner aux critiques de Xi Jinping l’occasion d’exprimer des doutes sur la force du dirigeant.

Le président chinois a d’autant plus besoin de l’escalade autour de Taïwan. Le blocus maritime actuel a pour origine la dernière confrontation qui a eu lieu entre les deux pays: en 1995, le président taïwanais s’était rendu aux États-Unis pour y tenir une conférence. Cela avait tellement irrité Pékin que cette dernière avait bloqué l’île pendant huit mois. À l’époque des missiles avaient également été tirés. Le président américain Bill Clinton avait mis fin au différend en envoyant un porte-avions dans le détroit de Taiwan, montrant ainsi que Washington soutiendrait le petit État démocratique contre l’agressivité de Pékin.

Nancy Pelosi s’est également exprimée dans ce sens: la démocratie taïwanaise est une inspiration pour le monde. Selon elle, le pays occupe la huitième place dans l’indice mondial de la démocratie, et même la première en Asie. L’Amérique, en revanche, est classée 26e. La présidente de la Chambre des représentants américaine s’engage depuis longtemps pour les droits de l’homme dans la région. En 1991, elle avait déployé à Pékin une bannière de la démocratie sur la place Tiananmen – à l’endroit même où, deux ans plus tôt, la clique au pouvoir des communistes avait fait massacrer des étudiants qui manifestaient pacifiquement.

Taïwan doit continuer à craindre

Cet historique peut expliquer la fureur avec laquelle Pékin réagit à la visite de Nancy Pelosi. La politique officielle des États-Unis vis-à-vis de la Chine et de Taïwan n’a en revanche pas changé depuis 1979. Le pays dirigé par Joe Biden a toujours considéré que Taïwan et la Chine pouvaient s’unir si les gens le voulaient. Toutefois, aucune pression ou violence ne doit être exercée à cet égard. Le dirigeant chinois ayant menacé à plusieurs reprises les Taïwanais d’une réunification par la force, le président américain Joe Biden lui a répondu à plusieurs reprises que les États-Unis soutiendraient Taiwan dans un tel cas.

La suite des événements sera connue le 8 août. C’est à cette date que le blocus maritime déclaré comme «exercice militaire» doit prendre fin. Si ce n’est pas le cas, la République insulaire va connaître des mois d’angoisse. L’ambassadeur de Chine en France a indiqué dans une interview ce à quoi Taïwan devrait se préparer si la Chine devait conquérir le pays. Tous les Taïwanais devraient être «rééduqués». La Chine entretient déjà de tels «camps de rééducation» au Xinjiang. Un million de personnes y sont détenues, que Pékin considère comme inférieures en raison de leur appartenance ethnique.

*Alexander Görlach est Senior Fellow au Carnegie Council for Ethics in International Affairs à New York. Son nouveau livre «Alarmstufe Rot – Wie Chinas aggressive Aussenpolitik im Pazifik in einen globalen Krieg führt» (ndlr: Alerte rouge: pourquoi la politique étrangère agressive de Pékin dans le Pacifique occidental mène à une guerre globale) est paru récemment.

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