Ainsi s’achève une nouvelle année sérielle chargée, marquée aussi par une grève sans précédent des scénaristes et des acteurs. Et il est temps, chez Blick, de faire le bilan, entre bonnes surprises et cartons mérités.
Plus d'articles de fêtes gourmands
Minx
C’était la petite série que personne n’attendait et qui nous a ravis. Le pitch est alléchant: «Minx» raconte la naissance du premier magazine pornographique féminin, aux États-Unis, dans les années 1970. En réalité, au départ, il s’agit d’une publication féministe défendue par Joyce, militante peu portée sur le compromis. Pour lancer son projet, auquel Doug est le seul éditeur qui prête une oreille attentive, elle devra en faire un de taille: accepter de montrer des hommes nus un peu partout pour appâter les lectrices. Une sorte de «Playboy» féminin plus intelligent qu’il n’en a l’air.
À partir de là, Paul Feig (à qui l’on doit notamment «Nurse Jackie» ou «Freaks and Geeks») tisse une intrigue hilarante et politique à la fois, enrobée dans la douce atmosphère vintage de l’époque. Il y aura du jaune, des pantalons évasés, des pénis en gros plan et beaucoup de blagues, bref, on adore.
À voir sur OCS, via Canal+
Anatomie d’un divorce
Toby Fleishman, 41 ans, avait une vie parfaite. Une femme belle et intelligente, Rachel, deux beaux enfants, un bon poste à l’hôpital et une promesse de promotion, un niveau de vie confortable. Lorsqu’il divorce, au fond, tout va presque aussi bien. Son appartement est certes un peu plus petit et pas très bien décoré, mais il fait la connaissance des applications de rencontre et d’une nouvelle liberté. Lorsque Rachel disparaît et lui laisse les deux mômes sur les bras, en revanche, Toby Fleishman commence à s’agacer.
En huit épisodes, cette superbe série dissèque tous les mécanismes du couple en jouant sur les points de vue, adoptant d’abord celui de Toby, puis de son ex. Les petites déceptions et les grandes trahisons, la violence de l’habitude et de l’indifférence, la charge mentale et les différences de perception qui finissent par creuser un fossé entre les gens: tout est d’une grande finesse. Et «Anatomie d’un divorce» laisse derrière elle une mélancolie que seules les bonnes séries sont capables d’infuser.
À voir sur Disney+
Silo
Adaptée d’un roman à succès de l’Américain Hugh Howey, «Silo» reprend les motifs classiques de la science-fiction post-apocalyptique: dans un futur mal défini, le monde est devenu invivable, plongé dans des vapeurs toxiques. Les 10’000 humains qui ont survécu à la catastrophe vivent dans un silo de 144 étages sous terre. De l’espace extérieur, ils ne voient que des images retransmises par une petite caméra. Au sein de cette nouvelle société très hiérarchisée (les riches en haut, les pauvres en bas), la règle veut que toute personne responsable d’un crime grave soit envoyée dehors pour nettoyer la caméra, avant de périr asphyxiée. Les gens qui réclament à sortir subissent le même sort.
Or, c’est exactement ce qui arrive à la femme du shériff, puis au shériff lui-même. Une simple mécanicienne, Juliette, prend alors sa succession pour tenter de résoudre le meurtre de l’homme qu’elle a aimé. Et son enquête la mène sur les traces des origines du silo. Mêlant de l’action, du mystère, une maîtrise impressionnante de l’écriture sérielle et un propos politique très pertinent sur l’importance de la mémoire collective, «Silo» n’a qu’un défaut: on ne sait pas quand sort la deuxième saison.
À voir sur AppleTV+
The Bear s2
«The Bear» figurait déjà dans notre top 10 l’an dernier, et en première position s’il-vous-plaît. La voici de retour, avec tous les ingrédients qui ont déjà fait son succès. Soit un personnage principal très charismatique mais complètement paumé, Carmy, chef désormais décidé à ouvrir son restaurant gastronomique, une jeune fille déterminée, Sydney, et une ribambelle de personnages secondaires truculents.
La première saison parlait évidemment fourneaux et recherche de la perfection, mais aussi de deuil et de violence au travail. La seconde poursuit dans cette droite ligne, épaississant les caractères de chacun, faisant de la cuisine un sport certes de combat, mais aussi d’équipe. Les acteurs sont toujours aussi formidables, des guests de qualité font leur apparition (Olivia Colman en cheffe qui épluche patiemment des champignons) et il y a là tant de générosité, d’amour et de plaisir, qu’on aurait tort de bouder le nôtre.
À voir sur Disney+
The Last of us
C’était le mastodonte du début d’année et ce fut aussi la première grande réussite de ce crû 2023. Produite par HBO, «The Last of us» a tardé à être diffusée en Suisse, mais cela valait le coup d’attendre. Cette adaptation du jeu vidéo culte du même nom est une grande réussite, portée par le tandem Pedro Pascal/Bella Ramsay.
L’histoire d’un monde envahi de zombies dans lequel un mercenaire doit transporter une petite fille d’un bout à l’autre des États-Unis. Mais plutôt que de se concentrer sur les monstres, même s’il y en a et qu’ils sont terrifiants, la série se focalise sur les humains et ce qui subsiste encore de leur humanité dans le chaos. Un angle d’attaque qui permet de conjuguer l’action, la réflexion et l’émotion la plus authentique. Ce qui est finalement assez rare dans une fiction aux allures de blockbuster.
À voir en VOD
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé
Avec un titre pareil, la nationalité de la série ne fait aucun doute: elle nous vient bien du Québec. Elle est même signée du petit prodige québécois du cinéma, Xavier Dolan (réalisateur, entre autres, de «J’ai tué ma mère» et «Les Amours imaginaires»), qui passe pour la première fois au petit écran en adaptant une pièce de théâtre. Tout commence avec la mort de Madeleine, qui laisse derrière elle trois fils éplorés. Julien, le mari infidèle, Denis, le divorcé paumé, et Elliott, qui sort tout juste de désintoxication. La fille, Mireille, manque au tableau mais réapparaît, après des années d’absence, pour embaumer le corps de sa mère (c’est son métier).
Que s’est-il passé, trente ans plus tôt, pour que Mireille s’en aille? Pour le comprendre, il faudra bien sûr remonter à la fameuse nuit du titre. Toujours aussi bon metteur en scène (et acteur), Xavier Dolan a le bon goût d’abandonner pour cette série les excès qui furent les siens sur ses derniers films. Il revient à l’essence même de son art fait de sensibilité, d’une générosité débordante et de karaoké sur du Céline Dion.
À voir sur Canal+
D’argent et de sang
Comment faire une série sur une intrigue aussi complexe que la fraude aux quotas sur le marché du carbone, sans effrayer tout le monde? Il faut se raccrocher à ses personnages. C’est l’aventure tentée, et réussie haut la main, par le réalisateur français Xavier Giannoli, avec «D’argent et de sang». Par l’entremise d’un enquêteur, le cinéaste revient sur l’arnaque improbable de petits malfrats parisiens et d’un trader des beaux quartiers, qui a enflammé toute l’Union européenne à la fin des années 2000.
Remarquablement pédagogue sans rien perdre en tension narrative, cette série s’appuie sur la crème du cinéma français (Vincent Lindon, Ramzy Bedia, Niels Schneider) pour explorer à la fois le thème du mensonge et les dérives de la société contemporaine. Cerise sur le gâteau: la musique électronique de Rone fait qu’on ne zappe jamais le générique.
À voir sur Canal+
Polar Park
Voici une pépite drôlissime au scénario pour le moins incongru. À Mouthe, la ville la plus froide de France, l’écrivain David Rousseau, spécialiste du polar en perte d’inspiration, débarque après avoir reçu l’appel d’un moine. L’homme de foi aurait un secret à lui révéler à propos de sa mère. Mais une fois sur place, le romancier se retrouve surtout face à un cadavre, puis plusieurs. Un tueur en série sévit dans la région et laisse derrière lui des victimes maquillées comme des grands tableaux de maître. David Rousseau fait alors équipe avec un gendarme pour démasquer le coupable.
Loin du feuilleton policier classique, «Polar Park» est un ovni savoureux, aux dialogues hilarants et aux personnages loufoques. On y croise une groupie de l’écrivain, un responsable de bibliothèque un peu trop tâtillon pour ne pas être suspect, des forces de l’ordre complètement dépassées et, bien sûr, une confrérie aux multiples secrets. Difficile d’en dire plus sans dévoiler des éléments clefs de l’intrigue mais le réalisateur, Gérald Hustache-Mathieu, insuffle à «Polar Park» une originalité rarement vue.
À voir sur Arte
Des gens bien
Une fois n’est pas coutume, ce top série fait un détour par la Belgique. «Des gens bien» s’ouvre sur un homme qui s’applique sans vergogne à jeter dans un ravin une voiture et la passagère qui s’y trouve. Avant d’appeler les forces de l’ordre pour invoquer un dramatique accident de la route. Il est belge, les gendarmes qui accourent sont français, nous sommes à la frontière et cela engendrera bien sûr un nombre incalculable de blagues.
Tout en suivant une galerie truculente de personnages décalés, cette série qui ne ressemble à aucune autre s’intéresse avec délicatesse aux gens à la marge, aux laissés-pour-compte du capitalisme moderne qui ne s’en sortent plus. Le propos social est enrobé dans un écrin comique ciselé qui fait de ces «Gens bien» l’une des plus jolies surprises de 2023.
À voir sur Arte
Succession s4
On aurait bien aimé voir une nouveauté sur le podium cette année. Seulement voilà, il faut bien avouer que Jesse Armstrong a encore «plié le game», comme disent les vieux qui se croient encore jeunes, avec la quatrième et dernière saison de «Succession». Les affaires de la famille Roy, à la tête d’un empire industriel et médiatique, ont pris une tournure encore plus politique dans cette saison, marquée par un épisode extraordinaire qui se déroule le soir des élections américaines.
Mais ce chef d'œuvre s’est aussi imposé comme une sublime histoire d’amour, aussi cruelle que touchante. Jesse Armstrong n’a sauvé aucun de ces milliardaires détestables, enfoncé tout et tout le monde dans la médiocrité, sauf l’art de la série qui en sort inévitablement grandi. N’ayons pas peur des mots: comme en leur temps «The Wire» ou «Les Soprano», «Succession» marquera l’histoire du petit écran d’autant plus sûrement que les grandes séries aux grandes fins sont devenues rares.
À voir en VOD