En ce 14 juin 2024, d'après la coordination romande de la grève, les militantes dénonceront en masse la violence faite aux femmes et les féminicides. Elles crieront leur soutien à la Palestine, exigeront un cessez-le-feu. Elles protesteront contre la réforme de la LPP et s'opposeront à la haine visant les personnes trans. Tout ça, en une journée hautement médiatisée et fervemment débattue.
Mais ce qu'on oublie souvent, c'est qu'un grand nombre des participantes et participants de la grève ne s'engage pas uniquement au moment de cet événement symbolique. Pour certains, le militantisme, c'est toute l'année. Il s'ajoute au job et à la vie privée, prend une place indéniable et coûte une énergie folle. S'il est visibilisé durant la grève, il peut aussi menacer de brûler le flambeau par les deux bouts. On parle alors de «burnout militant».
Une perte d'espoir et d'optimisme
«Le militantisme connaît des nombreuses intersectionnalités possibles, dans le sens où le féminisme rassemble par exemple les mouvements anti-racistes ou la cause des personnes LGBTQIA+, rappelle Adèle Zufferey, psychologue spécialiste en psychothérapie FSP. Plus on cumule les militantismes différents, plus la fatigue risque de devenir importante.» En effet, l'experte remarque davantage de burnouts militants chez les personnes qui s'engagent pour plusieurs causes et œuvrent au sein de plusieurs associations.
Parmi les premiers signes à guetter, elle évoque surtout un épuisement émotionnel et une forte fatigue, accompagnés d’une perte d’intérêt et d’espoir: «Il s'agit de l'anhédonie, un état caractérisé par une incapacité à tirer de la joie des petites choses et une perte de sens, précise la psychologue. Ces signaux doivent être pris très au sérieux.»
En outre, féminisme revient aussi à s'informer constamment, à discuter, à lire et à s'imprégner de la cause qui nous tient à cœur. Lirëza et Coraline, créatrices du podcast engagé «Les Poissons sans bicyclettes», connaissent bien ce phénomène:
«J’ai pris du recul, car je me sens fatiguée de me renseigner sans cesse sur le féminisme, partage Coraline, 33 ans. Entre les livres et les informations qu’on trouve sur les réseaux sociaux, ça ne s’arrête jamais et ça peut devenir pesant. En fait, je n’ai pas encore réussi à trouver un rythme qui me convient, j’alterne les phases où je ‘binge’ les contenus féministes et celles où je coupe tout. Je n’arrive pas à cibler le moment où ça devient trop, donc je continue, jusqu’à avoir besoin d’un break.»
Ainsi Coraline évoque-t-elle des émotions qui ne la caractérisent pas: «Cela me procure pas mal d’anxiété. Je suis une personne très optimiste, mais quand cela devient trop, je ne sens plus du tout cet optimisme. J’ai plutôt le sentiment que rien ne va jamais s’améliorer.»
Le besoin urgent de fuir les réseaux
Même son de cloche pour Prisca, 29 ans, qui raconte s'être totalement coupée des réseaux sociaux, afin de se préserver: «J’écoutais des podcasts féministes, je lisais des bouquins et je suivais tous les comptes engagés qui m’inspiraient... Tout cela, et particulièrement l’impact des réseaux sociaux, a fini par m’épuiser. Toutes ces sources d’informations constantes, en plus du temps que je passais à en discuter avec des personnes pas du tout réceptives, me demandaient déjà tellement d’énergie.»
Après un certain temps, Prisca remarque que l'algorithme qui régit ses réseaux sociaux ne lui proposait plus que des contenus en lien avec le féminisme, les violences faites aux femmes ou les féminicides: «C’était tellement difficile d’être constamment confrontée à ce type de contenu que j’ai fini par être aigrie de la vie. Alors j’ai décidé de quitter les réseaux sociaux.»
Pour Adèle Zufferey, psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, l'épuisement peut être évité en créant des limites claires, au sein du mouvement et des associations: «La centralisation est essentielle. Il faut que certaines personnes structurent clairement les efforts, décident qui sera là à quelle heure et créent un tournus. Certaines voudront donner davantage, et c’est normal, mais il ne faut jamais oublier de s’accorder des temps de pause.»
En ce qui concerne le temps libre, souvent consacré au militantisme, notre experte rappelle l'importance de tout lâcher, de temps en temps: «Il s’agit alors de couper temporairement les réseaux, de faire autre chose, de lire, de marcher, de passer du temps avec des amis, de bien dormir ou encore de manger équilibré, car cela impacte énormément le moral.»
Cela est évidemment plus facile à dire qu'à faire. Lirëza, 35 ans, cocréatrice du podcast féministe «Les Poissons sans bicyclette» constate qu'il est parfois compliqué pour elle de se changer les idées: «Quand je me dis que je dois lire autre chose qu’un essai féministe, je tombe sur des romans bourrés de clichés sexistes, qui constituent tout autant des triggers».
Une autre réaction commune est de culpabiliser dès qu'on s'autorise à investir du temps libre dans autre chose que la cause: «On peut se rappeler qu’il vaut mieux prendre de petits temps de repos, plutôt que de risquer un burnout qui pourrait nous mettre hors du circuit pendant des mois, souligne Adèle Zufferey. Il arrive en outre que des personnes doivent quitter le militantisme pendant des années, après un burnout.» Car pour changer le monde, il faut de l'énergie. Et de l'endurance.
Pour Adèle Zufferey, psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, l'épuisement peut être évité en créant des limites claires, au sein du mouvement et des associations: «La centralisation est essentielle. Il faut que certaines personnes structurent clairement les efforts, décident qui sera là à quelle heure et créent un tournus. Certaines voudront donner davantage, et c’est normal, mais il ne faut jamais oublier de s’accorder des temps de pause.»
En ce qui concerne le temps libre, souvent consacré au militantisme, notre experte rappelle l'importance de tout lâcher, de temps en temps: «Il s’agit alors de couper temporairement les réseaux, de faire autre chose, de lire, de marcher, de passer du temps avec des amis, de bien dormir ou encore de manger équilibré, car cela impacte énormément le moral.»
Cela est évidemment plus facile à dire qu'à faire. Lirëza, 35 ans, cocréatrice du podcast féministe «Les Poissons sans bicyclette» constate qu'il est parfois compliqué pour elle de se changer les idées: «Quand je me dis que je dois lire autre chose qu’un essai féministe, je tombe sur des romans bourrés de clichés sexistes, qui constituent tout autant des triggers».
Une autre réaction commune est de culpabiliser dès qu'on s'autorise à investir du temps libre dans autre chose que la cause: «On peut se rappeler qu’il vaut mieux prendre de petits temps de repos, plutôt que de risquer un burnout qui pourrait nous mettre hors du circuit pendant des mois, souligne Adèle Zufferey. Il arrive en outre que des personnes doivent quitter le militantisme pendant des années, après un burnout.» Car pour changer le monde, il faut de l'énergie. Et de l'endurance.
L'impression que tout repose sur nos épaules
Ce genre de mesure n'est toutefois pas facile à prendre, surtout lorsque la cause nous donne l'impression encourageante d'attiser le changement qu'on espère tant. Adèle Zufferey remarque en effet que les personnes qui militent entretiennent souvent une forme de croyance que tout repose sur leurs épaules, qu’elles font partie des seules à s’engager, alors que ce n'est heureusement pas le cas: «L’idée est de se relayer et de se reposer régulièrement pour pouvoir être présent lorsque d’autres seront fatigués», insiste la psychologue.
Or, l'envie de donner autant qu'on le peut dans ce type de contexte est bien réelle: «Il s’agit d’un mécanisme psychologique reconnu, analyse notre experte. Plus on donne à une cause, plus notre attachement pour celle-ci se cristallise. Par exemple, lorsqu’on paie très cher une place au théâtre mais que la pièce ne nous plait pas, on aura plus tendance à la regarder jusqu’au bout que si on n’avait pas payé une grande somme.»
C'est là que se situe le plus grand risque d'épuisement, puisque le militantisme est généralement associé au bénévolat: «En l’absence d’horaires et sans un cadre qui nous rappelle parfois de lever le pied, on est plus enclin à ne pas se fixer de limites et donc à trop donner. On a l’impression de ne rien attendre en retour de nos efforts, mais en vérité, on attend quand même que la société change. Et comme elle évolue très lentement, on tend à donner toujours plus, tout en éprouvant un manque de reconnaissance et de validation. Cela peut exacerber le risque de burnout.»
Un impact sur les relations proches
L'impression que rien ne change peut effectivement s'avérer très douloureuse. Fatiguées, Lirëza et Coraline ont décidé de mettre leur podcast en pause jusqu'au printemps de l'année prochaine: «Plus je m’informe, plus je creuse les sujets, et plus je remarque tout ce qui est problématique dans mon quotidien, explique Lirëza, 35 ans. Le bonheur de l’ignorance n’est plus permis quand on s’informe à ce point, quand on commence à déconstruire le sexisme en détail. Du coup, tous ces phénomènes me sautent aux yeux, au point où je me sens agressée, en alerte constante.»
Lorsqu'elle en parle autour d'elle, la podcasteuse raconte être confrontée à des personnes qui n’arrivent pas à ouvrir les yeux sur le sujet: «Cela engendre un sentiment de solitude et du gaslighting, comme si c’était moi qui exagérais. Cela impacte mes relations personnelles et c’est très émotionnel, surtout quand des personnes proches de moi ne choisissent pas le même cheminement.»
De son côté, Prisca évoque la même impression: «Je n’ai jamais osé m’engager davantage qu’en participant à la grève féministe et je pense que cette réticence est en partie liée à la fatigue que je ressens lorsque je dois expliquer des choses qui me paraissent évidentes, auprès de mon entourage, affirme-t-elle. D’autre part, j’avoue que j’ai un peu peur du jugement. C'est tellement triste que le féminisme soit encore réduit, au yeux de certaines personnes, à un groupe de femmes qui courent seins nus dans la rue. Le regard de celles et ceux qui ne comprennent pas la cause peut être très dur.»
Le 14 juin comme un baume... et une pression
Malgré la fatigue, Coraline se réjouit beaucoup de la grève féministe: «Le 14 juin me fait du bien, car l’idée de vivre ce moment avec une communauté qui partage mon expérience m’enjaille et me motive.» Un constat acquiescé par Adèle Zufferey: «Le fait de s’entourer de personnes qui comprennent ce qu’on traverse, des groupes d’appartenance dans lesquels on peut partager notre vécu, est essentiel.»
L'événement apparait donc comme une consécration de grands efforts, un moment de partage et une occasion de recharger ses batteries ensemble: «Je suis très fière de la grève du 14 juin, ajoute Lirëza. Elle est géniale, locale, organique, c’est un devoir civique extrêmement important. Par contre, je la vis quand même un peu comme une obligation, sachant que la grève est trop grande pour constituer un véritable safe space: l’autre jour j’ai vu un panneau sur lequel était inscrit ‘mon violeur est à la grève’. Il ne faut pas oublier que le fait d’aller à la grève ne signifie pas automatiquement qu'on est une personne non-problématique. La simple présence ne compense pas l'attitude et les actes du reste de l’année.»