«Tu voudrais pas écrire un article sur le laurier? Ça sert à rien en cuisine, non? Alors pourquoi on en met?» Cela fait plusieurs fois qu'on me pose cette question. Après m'avoir fait ricaner, elle m'a toutefois donné à réfléchir.
Un plat qui manque de laurier, et un autre qui serait gâché, car il y en aurait trop. L'une ou l'autre de ces situations n'arrive jamais, convenons-en. Et si c'était vrai? Et si le laurier ne servait effectivement à rien, telle une vulgaire poudre de perlimpinpin au CBD? Pire, et si c'était un coup du puissant lobby des horticulteurs? Vertigineuses possibilités.
Se reposer sur ses lauriers
Le laurier reste présent dans nombre de recettes. Parmi celles dernièrement parues sur Blick, je vous demande d'en mettre dans le saucisses lentilles, le poulet au gingembre, ou la blanquette de veau. Et je ne suis pas le seul, les grands chefs aussi! Alain Ducasse en met ainsi dans ses tomates farcies, son gratin dauphinois, son pot-au-feu, son épaule d'agneau, et j'en passe. Alors?
Il est vrai que si j'omets parfois la petite feuille, j'avoue ne pas vraiment remarquer son absence. Alors? Suis-je en train de vivre dans le mensonge? pour le savoir, il ne reste plus qu'à s'en remettre à la science.
Le laurier sous le couperet expérimental
J'ai donc fait une petite expérience en faisant infuser 3 feuilles de laurier frais dans une tasse contenant 25 cL d'eau frémissante. En guise de contrôle, j'ai rempli une deuxième tasse de cette même eau, sans y mettre de laurier.
Au bout de quelques secondes, l'eau de la tasse avec laurier se colore déjà, ce qui laisse présager d'une action – en tout cas sur la couleur. Après 4 minutes, une odeur qui me rappelle celle de l'eucalyptus émane indiscutablement de la tasse. En bouche, je note une nette saveur végétale qui me rappelle le thé et les agrumes. C'est certes subtil, mais bien présent.
Conclusion, non, le laurier n'est pas une vaste arnaque. Du moins dans sa forme fraîche. On peut supposer que les feuilles séchées qu'on trouve au supermarché sont beaucoup moins efficaces, voire ne servent à rien du tout, d'où la suspicion qui règne sur cette pauvre plante.
Des dizaines de molécules aromatiques
Dans une vaste étude publiée en 2022 dans une revue scientifique «Plants», on comprend un peu mieux ce qui donne son goût et son odeur au laurier. Ses feuilles contiennent nombre de molécules aromatiques, en majorité du cinéole, aussi appelé eucalyptol, d'où le parfum qui a initialement chatouillé mes narines.
On trouve également du sabinène dans les feuilles, du linalool, du pinène et d'autres composés, en proportions variables selon les variétés de laurier.
Ces molécules sont en majeure partie des composés aromatiques de la famille des terpènes, qu'on rencontre dans de nombreuses plantes alimentaires - sans que l'on se demande si elles servent à quelque chose! Ainsi, le sabinène est commun dans les huiles essentielles de genévrier (et donc dans le gin), le linalool est très présent dans les agrumes et la menthe, etc.
Les agrumes, justement, sont riches en terpènes, de même que les mangues, le brocoli, ou encore le houblon ou le cannabis. Autant de produits aux saveurs puissantes, que personne ne remet en question!
PP Clément fan du laurier
Pour finir, j'ai posé la question à Pierre-Pascal Clément, chef cuisinier fribourgeois et ex-candidat à Top Chef. Pour ce dernier, «on balance trop le laurier par automatisme dans les sauces et les bouillons, etc., mais il peut être un ingrédient à part entière! J'ai reçu d'un paysan un bon laurier frais, et il était tellement parfumé que j'en ai fait une recette de gâteau génoise, avec des noix caramélisées et de la crème de brebis».
Bref, le laurier n'a d'intérêt que s'il est frais. Alors jetez vos feuilles séchées depuis 1515, et si vous avez trop de feuilles fraîches, ne les jetez pas! Mettez-les dans un sac et congelez-les: elles conserveront tous les arômes pendant plusieurs mois.