En cette aube d'octobre rose, mois des caracs fuchsia et des campagnes de sensibilisation ornées de rubans, le mot «dépistage» prend une place d'honneur. Alors qu'une Suissesse sur huit développera un cancer du sein au cours de sa vie, la détection précoce de la maladie devient une question fatidique: comme nous le rappelle Ania Wisniak, médecin responsable de la Fondation genevoise pour le dépistage du cancer, une détection précoce facilite le traitement et peut diminuer la mortalité d’environ 20%. «On observe en effet une chute de la mortalité ces vingt dernières années, qui peut partiellement être attribuée au dépistage», se réjouit-elle.
Parmi les mesures de lutte contre la maladie, des programmes de dépistage disponibles dans 14 cantons suisses proposent systématiquement des mammographies (à raison d'une fois tous les deux ans) à toutes les femmes âgées de 50 ans et plus. «Un récent rapport national d’Unisanté a pu démontrer que 70% des lésions détectées dans le cadre des programmes de dépistage cantonaux en étaient encore à un stade précoce», souligne Ania Wisniak.
Or, le pourcentage de femmes ayant recours à ces programmes ne dépasse pas les 47%, toujours d'après Unisanté: «Cela signifie que la moitié des femmes qui pourraient bénéficier du programme ne le font pas, constate la spécialiste. Leurs données n’apparaissent donc pas dans nos statistiques et on ignore si elles ont recours à des mammographies de manière privée, en-dehors des programmes, ou si elles n’y ont simplement pas recours.»
Et pour les femmes de moins de 50 ans?
Pour les femmes encore inéligibles à ces programmes cantonaux, la situation est un peu plus complexe: «Dans le cas des femmes plus jeunes, c’est l’histoire familiale ou l’apparition de symptômes (chez environ la moitié d’entre elles) qui peut justifier un dépistage avant 50 ans», explique la Dre Anita Wolfer, responsable du Centre du Sein au Service d'oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Si plusieurs discussions sont en cours, notamment aux États-Unis, où l'âge recommandé du dépistage est déjà passé à 45 ans et 40 ans pour des femmes à risque (dont l'histoire familiale est évocatrice, par exemple), l'experte souligne que la question suscite des débats parmi les cantons: «Certains d'entre eux estiment qu’un dépistage risque de créer de l’angoisse inutile. À mon avis, il vaut mieux risquer d’angoisser durant quelques jours que de tarder à détecter une éventuelle lésion cancéreuse.»
Il existe d'autres méthodes que la mammographie
Si le dépistage traditionnel du cancer du sein inclut systématiquement une mammographie, d'autres technologies sont désormais disponibles: «Face à certains symptômes ou des facteurs de risque élevés, on peut réaliser des examens spécifiques plus dirigés, qui nous amènent à utiliser différentes méthodes diagnostiques, hormis la mammographie traditionnelle», résume le Dr Mauro Pugnale, radiologue au centre Affidea de l’Hôpital Daler à Fribourg.
Voici les méthodes actuellement disponibles en Suisse:
L'ultrason
Effectué depuis de nombreuses années, non-irradiant et facile à réaliser, l'ultrason peut compléter la mammographie dans des cas spécifiques: «Cela arrive notamment pour des patientes dont les seins sont plus denses, soit composés en majeure partie de tissu glandulaire et d’une proportion moins élevée de tissu graisseux, explique le Dr Pugnale. La distribution de ces deux types de tissus est entièrement personnelle, dépend de chaque femme et n’influe absolument pas sur la taille du sein.»
En effet, l'expert souligne que les images mammographiques sont moins sensibles sur des seins ou des zones du sein majoritairement glandulaires (à plus de 60%), sachant que ce tissu apparaît en couleur blanche sur les images: «Les lésions potentiellement cancéreuses, elles, ont quasiment la même intensité, ce qui les rend plus difficiles à détecter. En revanche, la mammographie a une très bonne sensibilité pour des sens majoritairement graisseux.»
Or, tandis que l'ultrason est réalisé en temps réel et requiert un diagnostic immédiat, la mammographie possède l'avantage de faciliter les comparaisons, d'année en année: «Elle permet la prise d'images statiques durant l'examen, pointe notre intervenant. Cela aide les spécialistes à comparer les images récentes avec celles d’une précédente mammographie. On a pu observer que la détection est améliorée par cette comparaison.» Pour cette raison l’utltrason est souvent complémentaire à la mammographie.
L'IRM
Arrivée après l'ultrason, la méthode de l'IRM s'avère plus sensible et plus spécifique que la mammographie: «Cela signifie qu’elle détecte davantage de cancers, mais aussi des anomalies bénignes, tempère le Dr Pugnale. L’IRM n’est pas comprise dans les méthodes de dépistage basiques proposés à toutes les femmes, car elle est plus complexe, plus longue à réaliser et nécessite l’injection d’un produit de contraste. En Suisse, on pratique cet examen dans des groupes définis de patientes à facteur de risques élevés, concernées par des mutations génétiques ou une anamnèse familiale fortement positive.»
La tomosynthèse
Cette nouvelle méthode d'imagerie mammographique (aussi appelée «mammographie 3D») se distingue de la mammographie traditionnelle par sa capacité à capturer une multitude d’images fines, à différents niveaux du sein: «Elle réalise des coupes fines de l’épaisseur du sein qui, lorsqu’elles sont toutes combinées, produit une image précise de toute la structure, qui permet en quelque sorte de voir au travers du sein», clarifie notre expert.
Remplaçant la mammographie de base chez des patientes à risque ou symptomatiques, elle améliore la détection de cancer, avec une incidence qui augmente de 1 à 4 cancers sur 1000 examens, par rapport à la mammographie conventionnelle en 2D.
L'angiomammographie
Cette dernière méthode se généralise depuis quelques années seulement. Sa fonction? Combiner les concepts de l'IRM et de la mammographie traditionnelle. «Dans l’IRM, on suppose qu’en présence d’un cancer, on va développer des vaisseaux sanguins, des sortes de néo-vaisseaux qui apparaissaient typiquement autour de la tumeur, nous éclaire le Dr Pugnale. Pour cette raison, le produit de contraste qu’on injecte durant l’IRM s’imprègne plus rapidement dans la lésion que dans le reste du sein.»
Le principe de l’angiommamographie est le même, bien qu'elle dépende d’un produit de contraste différent, visible aux rayons X: «Mais on peut aussi réaliser des images statiques, que le médecin pourra comparer à celles prises durant de précédents examens, pointe l'expert. Cette option a l’avantage d’être plus rapide que l’IRM, bien qu’elle soit plus irradiante.» Elle permet par ailleurs de proposer une alternative aux patientes présentant des contre-indications à l'IRM (comme le port d'un pace-maker, la claustrophobie ou l'impossibilité de rester couchées).»
Pourquoi n'est-ce pas proposé à toutes les femmes?
Face à tous ces nouveaux outils récents et modernes, on peut se demander pourquoi ceux-ci ne sont pas systématiquement proposés à toutes les femmes, dans le cadre de programmes de dépistage. Ania Wisniak évoque en premier lieu une raison de coûts-efficacité.
«Ces examens n'apportent une réelle plus-value que pour un sous-type de la population féminine, notamment les femmes dont les seins sont plus denses, ajoute-t-elle. La mammographie traditionnelle fonctionne très bien chez celles dont les seins sont moins denses, qui n’ont donc pas besoin d’examens complémentaires si une lésion n'est pas détectée à la mammographie. Ce serait une mauvaise utilisation des ressources, sans oublier que d'autres méthodes peuvent être plus invasives.»
L'experte souligne également que la grande sensibilité de ces méthodes peut être problématique, car elle vient avec le risque d’instaurer des traitements lourds chez des femmes qui ne seraient probablement pas décédées de leur cancer du sein, notamment lors de cancers lentement évolutifs chez des femmes âgées: «Cela entraîne également son lot d’anxiété et d’effets secondaires. On parle alors de surstraitement.»
Et le Dr Pugnale de conclure, sur une note optimiste: «Aucune de ces méthodes complémentaires à la mammographie traditionnelle n’est parfaite et toutes prennent du temps, mais elles améliorent nettement la détection et constituent donc une aide, des progrès encourageants, très utiles dans des cas spécifiques.»
Les nouvelles inventions qui donnent de l'espoir
En plus des outils récents détaillés plus haut, les experts gardent les yeux rivés sur de nouveaux développements, qui pourraient encore améliorer la qualité du dépistage. «Nous plaçons de l’espoir dans les logiciels d’intelligence artificielle, qui interviennent comme un plus et aident à analyser les images mammographiques», note le Dr Pugnale.
De son côté, la Dre Wisniak évoque de récentes études d'imageries, actuellement en cours d'investigation, dont la faisabilité ou l'efficacité au niveau de la population générale, dans le cadre d’un dépistage organisé du cancer du sein, n'a pas encore pu être déterminée: «Il s’agit de l’IRM abrégée (ou abbreviated MRI), ou de nouvelles méthodes d'IRM sans produit de contraste, qui sont moins coûteuses et moins longues à réaliser. On suit le développement de ces nouvelles modalités avec intérêt, en attendant que des études plus larges soient menées.»
Et qu'en est-il des fameuses prises de sang capables de détecter un cancer, notamment développées par une chercheuse de l'Université de Fribourg? Ainsi que l'observe la Dre Wolfer, il s'agit d'un thème compliqué nécessitant plus d'études: «L’option semble potentiellement réalisable dans le cas d’un cancer du sein, puisqu’il a été prouvé qu’une détection précoce peut augmenter les chances de survie; mais on n’a pas de preuves en ce qui concerne d’autres cancers, prévient-elle. Il s’agit évidemment d’un signe que la recherche avance, ce qui est très positif, mais on a besoin de données scientifiques, d’études randomisées qui confirment l’amélioration du taux de survie. Car l’objectif premier est de sauver des vies!»