Il y a deux semaines, la présidente du Conseil national Irène Kälin a reçu une invitation bien particulière. Son expéditeur? Ruslan Stefantchouk, président du parlement ukrainien, la Verkhovna Rada, et donc son homologue à Kiev. Il offre un retour de balancier pour la visite d'une délégation ukrainienne au Palais fédéral en 2020.
Pour la carrière de la politicienne verte de 35 ans, ce voyage à l'est serait un nouveau point culminant. Depuis le début de la guerre, aucun politicien suisse ne s'est rendu sur le sol ukrainien. Ce voyage serait historique. Des questions restent toutefois en suspens: prend-elle un risque personnel pour sa sécurité avec cette visite? Serait-elle accusée de lâcheté en cas de refus? La visite lui serait-elle reprochée comme un coup de publicité aux dépens de la population menacée? Irène Kälin alimente-t-elle le débat sur la neutralité lancé par l'UDC?
Il est clair que pour les dirigeants de la nation attaquée, de tels rendez-vous font partie des relations publiques politiques. Il est dans l'intérêt de l'Ukraine d'être – et de rester – présente dans les médias occidentaux.
Zelensky connaît le pouvoir des images
A Pâques, Irène Kälin a envoyé un e-mail avec la mention «confidentiel» à une demi-douzaine de collègues du Parlement. Ce courriel, que Blick a pu se procurer, contenait une invitation à l'accompagner en Ukraine. Le départ est prévu dans les prochains jours – pour des raisons de sécurité, les dates exactes du voyage ne seront pas mentionnées ici. Parmi les destinataires de cet e-mail figurent notamment le conseiller national vert Martin Bäumle, son collègue du parti évangélique Nik Gugger et la Verte Christine Badertscher.
Le programme prévoit non seulement une visite de la capitale Kiev, mais aussi un aperçu de la banlieue de Boutcha, où l'armée russe a massacré des dizaines de civils ukrainiens. Mais la réalisation de ce voyage dépendra de la situation sécuritaire. En début de semaine, les troupes de Poutine ont de nouveau attaqué Kiev. Par les temps qui courent, tout semble possible; il faut être flexible.
Il est certain qu'Irène Kälin et son entourage attireraient le regard de toute la Suisse. Il y a deux semaines, le président de la Confédération Ignazio Cassis s'est rendu à la frontière entre la Pologne et l'Ukraine et a visité un camp de réfugiés. En revanche, il n'a pas serré la main de Volodymyr Zelensky dans la capitale. Le président ukrainien connaît la force des images, il ne reçoit que les gouvernements qui ont des choses concrètes à lui offrir.
Problème de l'instrumentalisation
Ce dimanche, Volodymyr Zelensky a surpris en annonçant la visite du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et du ministre des Affaires étrangères Antony Blinken. Les États-Unis sont son principal allié militaire. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a quant à elle fait miroiter lors de son arrivée une procédure d'adhésion à l'UE au pas de charge. Le Premier ministre britannique Boris Johnson, ainsi que les dirigeants de la République tchèque et de la Pologne, ont annoncé des livraisons d'armes.
Pour des raisons liées au droit de la neutralité, la Suisse ne peut pas se permettre une telle chose. En outre, le problème d'une éventuelle instrumentalisation se poserait: profite-t-on de la situation difficile des Ukrainiens pour avoir bonne presse dans leur pays? Ou au contraire, se laisse-t-on utiliser par un parti en guerre?
La présidente du Conseil national est également confrontée à ces questions, si ce n'est au niveau gouvernemental, du moins au niveau parlementaire.
Une valeur symbolique élevée
Interrogés, elle et les autres membres de la délégation restent discrets. «Pas de commentaire». Ce n'est qu'à mots couverts que l'on confirme les projets de voyage, justifiant le silence par des considérations de sécurité.
Selon les informations de Blick, des parlementaires d'autres pays occidentaux ont été invités par Kiev. Mais le fait que la Suisse figure sur cette liste a une grande valeur symbolique: cela signifie que la Confédération est considérée comme importante par la diplomatie de Kiev. On espère que la relation avec Berne sera un avantage – les Ukrainiens connaissent l'importance de la Suisse pour le commerce des matières premières russes et devraient plaider pour des sanctions plus sévères.
Les politiques occidentaux sous la loupe
Lors de son discours du 19 mars, retransmis sur la Place fédérale, Volodymyr Zelensky s'en est pris de manière ciblée aux entreprises suisses qui font encore des affaires avec la Russie.
L'esclandre autour du président allemand a également montré que les politiciens occidentaux sont surveillés de près depuis le Dniepr. Frank-Walter Steinmeier a en effet été boudé à Kiev en raison de son engagement en faveur du gazoduc Nord Stream 2, poussé par Moscou. Les visiteurs suisses n'auront pas à subir de tels désagréments. Mais l'utilité réelle de ce voyage, s'il a lieu, reste à démontrer.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)