C'est peut-être la question la plus brûlante de la politique économique suisse: à quel point doit-elle renoncer à sa souveraineté pour obtenir l'accès au marché intérieur de l'Union européenne? Selon diverses sources, les négociations avec l'UE sur un nouveau paquet d'accords sont dans leur dernière ligne droite. L'un des éléments clés de l'accord sera que la Suisse devra reprendre le droit européen pour les cinq accords d'accès au marché en vigueur et trois nouveaux accords.
Mais les initiateurs de Kompass/Europa, une association alémanique qui se bat contre un rattachement institutionnel de la Suisse avec Bruxelles, s'y opposent. Alfred Gantner, son cofondateur, met en garde: «la reprise dynamique du droit visée est une boîte noire dangereuse. Les dommages, par exemple dus à la forte immigration, sont depuis longtemps plus importants que les avantages qui y sont liés.»
En parallèle, la «Handelszeitung», un hebdomadaire économique alémanique, a soumis les thèses principales de Alfred Gantner à une vérification des faits.
Thèse 1 : l'UE peut déclarer de nouvelles lois et les imposer à la Suisse
Alfred Gantner déclare: «L'UE peut ajouter des choses à tout moment, et peut par exemple déclarer que la législation sur la chaîne d'approvisionnement est pertinente pour le marché intérieur. Et alors la Suisse devrait l'adopter». La directive de l'UE sur la chaîne d'approvisionnement impose en effet aux entreprises de vastes analyses de risques et des obligations de rapport pour que les fournisseurs respectent les droits de l'homme et la protection de l'environnement.
Mais l'UE peut-elle imposer cela à la Suisse? Non. C'est ce qu'affirment unanimement Christa Tobler, professeur de droit européen à Bâle, le Secrétariat d'État à l'économie (SECO), ainsi que Jan Atteslander, membre de la direction d'Economiesuisse. «Comme la Suisse ne participe que partiellement au marché intérieur de l'UE, il ne peut pas s'agir, dans le cadre d'une reprise dynamique du droit, de savoir si une nouvelle réglementation de l'UE est pertinente pour le marché intérieur», explique Christa Tobler. «Ce qui est déterminant, c'est plutôt de savoir si elle entre dans le champ d'application d'un accord bilatéral concret.»
Si un litige survient, le comité mixte UE-Suisse doit, dans un deuxième temps, déterminer si le nouveau droit européen s'applique en Suisse. «Cette deuxième étape est décisive», affirme Christa Tobler. «Sans accord au sein du comité mixte, il n'y aura pas de reprise du droit dans les accords bilatéraux.»
Thèse 2 : les PME suisses n'ont rien à gagner des accords de l'UE
Toujours selon Alfred Gantner, aucun des cinq traités européens existants n'apporte un quelconque avantage aux PME suisses. Il évoque la différence entre «accès au marché» et «accès privilégié au marché». Dans tous les cas, la Suisse conserve le premier, qui est garanti par les accords de libre-échange existants et les accords de l'OMC. Cela signifie que les droits de douane à l'exportation restent bas ou sont nuls.
Mais, les cinq accords de l'UE garantissent à la Suisse un accès privilégié au marché, notamment par la reconnaissance mutuelle des normes. Mais cela ne fonctionne pas dans la pratique, explique Alfred Gantner. Un exportateur doit tout certifier «deux fois, trois fois» dans les pays de l'UE.
Sur ce point également, le Seco et Economiesuisse s'insurgent. «La reconnaissance mutuelle des normes et des certifications permet aux PME suisses d'économiser des millions en coûts», affirme Jan Atteslander. Le SECO souligne que l'abandon des Bilatérales et le retour à un accord de libre-échange pur et dur datant de 1972 constitueraient «un net recul» pour l'économie suisse. La reconnaissance mutuelle des normes facilite aujourd'hui l'accès au marché de l'UE, surtout pour les PME. Pourquoi? Parce qu'elles n'ont pas d'argent propre pour s'installer dans l'Union européenne.
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Le SECO fait le calcul: l'accord de reconnaissance mutuelle des normes couvre vingt secteurs de produits. «En 2023, ces vingt secteurs couvraient environ deux tiers du commerce de produits industriels entre la Suisse et l'UE.» Cela correspond à un volume d'exportation de plus de 96 milliards de francs, soit 72% de toutes les exportations industrielles vers l'UE.
Mais l'accord profite également aux importations industrielles pour un volume de 94 milliards de francs, soit 64% de toutes les importations de produits industriels. Ce point est également souligné par Economiesuisse : «Le secteur suisse de la construction profite de la possibilité d'acheter directement des matériaux de construction autorisés dans l'UE, par exemple des armatures, sans nouvelle certification. Si cela disparaissait, la construction deviendrait plus chère.»
Thèse 3 : les accords de l'UE n'apportent globalement rien à la Suisse sur le plan économique
Alfred Gantner déclare aussi: «La croissance salariale supplémentaire par personne des accords bilatéraux actuels n'est que de 0,04% par an. Cela correspond à environ 35 francs par personne l'année prochaine. Nous ne vendons pas nos avantages de site et nos droits de démocratie directe pour une pizza avec une boisson!»
Ces chiffres proviennent d'une étude Ecoplan de 2015, qui analyse les conséquences d'une suppression des accords bilatéraux. Le SECO confirme les chiffres, mais souligne que les effets sur les salaires ne sont qu'une partie de la vérité. «Une suppression de ces accords aurait également des répercussions sur les revenus du capital.»
Si l'on prend en compte les revenus du capital, le calcul est tout autre: selon l'étude Ecoplan citée par Alfred Gantner, les revenus de la population suisse seraient inférieurs de 1894 francs par personne au bout de 17 ans par rapport à ce qu'ils auraient été avec ces accords. Le produit intérieur brut (PIB) serait ainsi inférieur de 1,5% par habitant. Selon l'étude, le PIB serait globalement inférieur de 460 à 630 milliards de francs d'ici 2035, ce qui correspond environ à un an de PIB suisse.
Jan Atteslander fait remarquer que les effets économiques de la suppression des accords bilatéraux sont difficiles à calculer. Une étude de la fondation allemande Bertelsmann datant de 2019 est intéressante dans ce contexte: elle est arrivée à la conclusion que la Suisse est, de tous les pays, celui qui profite le plus du marché intérieur de l'UE, avec un effet positif de 2914 euros par habitant et par an. Selon lui, «affirmer que la Suisse ne tire aucun avantage économique des accords bilatéraux me semble sans fondement dans ce contexte».
Conclusion: les trois affirmations clés d'Alfred Gantner, qui se réfère dans l'interview de la «Handelszeitung» à un argumentaire de Kompass/Europa, ne sont pas exactes selon les experts économiques et juridiques.