Une habitante en conflit pour nuisance sonore
«Je prie Dieu pour que la cloche de l'église cesse de retentir»

Le son des cloches des églises est-il un son sacré ou une nuisance? Cette question fait l'objet de débats en Suisse depuis des années. Un cas récent à Zurich montre à quel point certains habitants sont incommodés par les retentissements matinaux.
Publié: 13.10.2024 à 20:25 heures
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«Quand j'entends le son de la cloche le matin, j'ai presque une crise cardiaque», déplore Sabine Farner.
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Robin Bäni

La cloche de l’église retentit. Sabine Farner, 57 ans, écarquille les yeux. Son regard glisse vers la fenêtre. Au nouveau coup métallique, elle serre les poings. «C’est insupportable», éructe-t-elle. La professeure de yoga a perdu son calme intérieur. Son bouc émissaire: la cloche de l’église réformée de son quartier à Zurich.

«Je prie Dieu pour que la cloche de l’église se taise», murmure-t-elle. Et elle n’est pas la seule. De la commune de Pura au Tessin à celle de Luchsingen dans le canton de Glaris, en passant par Saint-Saphorin dans le canton de Vaud, le retentissement des cloches a déjà fait l’objet de vives discussions dans toute la Suisse.

Des habitants dérangés

Rien que dans le canton de Zurich, trois pétitions sont en cours pour faire arrêter le son des cloches. Sabine Farner a lancé l’une d’entre elles. Jusqu’à présent, seules 25 personnes l’ont signée, mais elle en est convaincue: «Dans mon quartier à Wollishofen, beaucoup souffrent, ils n’osent juste pas se plaindre.»

Les conflits concernant les cloches des églises tournent toujours autour de la même question: s’agit-il d’un son sacré qui transmet la tradition et rassemble la communauté, ou d’un bruit dérangeant qui doit être tu? Souvent, ce sont des nouveaux arrivants qui se plaignent. Comme Sabine Farner, arrivée dans le quartier il y a deux ans. C'est à ce moment-là qu'elle a réalisé qu’une cloche d’église peut l’empêcher de dormir.

«Au nom de Dieu, qui se lève encore aujourd’hui à 7h pour prier?!»

La plupart des opposants aux cloches reprochent surtout le fait qu’elles sonnent entre 22h et 6h du matin. A Wollishofen, le silence règne toutefois jusqu’à 7h. C’est à cette heure-là que commence la mélodie traditionnelle du matin, qui appelait autrefois les fidèles à la prière. Pour Sabine Farner, cette pratique est dépassée depuis longtemps: «Au nom de Dieu, qui se lève encore aujourd’hui à 7h pour prier!?» Elle trouve particulièrement choquant que les cloches continuent de sonner alors que l’église réformée de Wollishofen n'est plus une église depuis longtemps.

En 2012, il a en effet été décidé de changer l’affectation de l’église, car trop peu de personnes assistaient au culte. Elle a donc servi de centre pour jouer de l'orgue, et aujourd’hui, elle accueille des spectacles organisés par un collectif d’artistes. Selon l’Église réformée, il y aurait toutefois toujours des manifestations religieuses, par exemple à Noël ou certains dimanches.

Sabine Farner souhaite que les sonneries du matin soient repoussées jusqu'à «au moins 9h». Une exigence que le parti Liste alternative avait également formulée en 2022 dans une motion déposée en ville de Zurich. Le conseil municipal a rejeté la motion, estimant que la Confédération était compétente en la matière. Seulement voilà: l’ordonnance sur la protection contre le bruit de la Confédération ne contient aucune limite pour les cloches d’église. Seule une directive de l’Office fédéral de l’environnement stipule que le bruit des cloches est autorisé tant qu’il n’est pas «considéré comme gênant».

L’appartement de Sabine Farner se trouve à 400 mètres de l’église. Lorsque les fenêtres sont fermées, le son des cloches atteint 40 décibels, soit à peu près le volume d’une conversation à voix basse. Cela semble inoffensif, mais une étude de l'École polytechnique fédérale de Zurich de 2011 affirme que des troubles du sommeil peuvent apparaître dès 40 décibels. Les sons de cloches sont plus impactants que le bruit des avions, par exemple, en raison de leur «tonalité et de leur rythme».

La guerre contre les cloches devant le Tribunal fédéral

«Quand j’entends ce son le matin, j’ai presque une crise cardiaque», déplore Sabine Farner. Elle a tout essayé – exercices de respiration, gouttes calmantes, méditation, bouchons d’oreilles, musique pour dormir – mais rien n’y fait. «Parfois, je me réveille en panique la nuit, par peur du son des cloches.»

Pourquoi ne déménage-t-elle donc pas? «Je dois habiter en ville», répond la professeure de yoga, car ses cours sont répartis sur la journée. Et il est difficile de trouver un nouvel appartement à Zurich, ajoute-t-elle. Pour accéder à son logement actuel, elle a cherché pendant trois ans. Il ne reste donc qu’une option: lutter contre les cloches.

Dans la guerre contre ce son métallique, certains se sont déjà défendus jusqu’au Tribunal fédéral. En l’absence de réglementation claire, la plus haute autorité judiciaire a dû juger chaque cas individuellement. A Wädenswil (ZH), un couple s’est opposé à la sonnerie des cloches la nuit. Le Tribunal fédéral a décidé, dans un jugement qui fait date, que les cloches pouvaient aussi sonner la nuit. Il n’y a pas de droit absolu au silence, les cloches vont donc continuer de sonner.

Le problème est épineux: les cloches sont enracinées dans la tradition locale en tant que patrimoine culturel. Il appartient ainsi aux autorités locales de faire la part des choses entre tradition et besoin de calme.

Le conflit est loin d'être terminé

Les paroisses peuvent donc décider – en grande partie de manière autonome – si et quand leurs cloches doivent sonner. En cas de litige, les Eglises recommandent d’examiner différentes mesures. L’église réformée de Wollishofen, par exemple, ne fait sonner les cloches du matin que les jours de semaine, pour une durée limitée à trois minutes et uniquement avec la plus petite cloche. Une adaptation des marteaux qui frappent sur la cloche est en outre à l’étude, indique-t-on.

L’Eglise nationale recommande aussi de chercher le dialogue. Sabine Farner est pourtant très communicative. Ses plaintes remplissent un classeur entier. «Mais l’Eglise m’ignore.» Une fois, une pasteure serait passée chez elle et lui aurait proposé d’assister à un culte. La professeure de yoga n'a pas apprécié: «Quelle impertinence!»

«Le dialogue avec la personne concernée a été recherché à plusieurs reprises et de manière approfondie», soutient l'église réformée de Wollishofen. La sonnerie matinale tiendrait en plus à cœur à de nombreuses personnes de la commune, selon l'église. A une époque, il y a même eu des «questions inquiètes» du voisinage lorsque le retentissement des cloches a été temporairement interrompu, lors de travaux de réparation.

Sabine Farner ne veut pas se résigner. Et le conflit autour du retentissement des cloches en Suisse est probablement loin d’être terminé.

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