Son succès exorcise des années de souffrance dans la gymnastique artistique en équipe suisse, sous la férule d'entraîneurs dont elle dénonce la dureté. «Jouer a libéré mes émotions», dit-elle. Elle s'est dévoilée à «L'illustré», alors que sort à Noël le film de science-fiction «Planète B», dans lequel elle vole la vedette.
En 2013, après votre titre de Miss Suisse romande, vous songiez à devenir comédienne et vous l’êtes devenue. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
J’avais en moi la force et la rage d’être heureuse, de faire ce que j’avais moi seule, pour une fois, décidé et envie d’accomplir. C’est lié à mes années de gymnastique rythmique. J’ai débuté à 4 ans et, pendant quinze ans, je n’ai décidé de rien.
Vous étiez membre de l’équipe suisse. Vos dizaines d’heures d’entraînement hebdomadaires, le Centre national de sport de Macolin ont-ils été une bonne école pour faire votre place dans le cinéma?
Non, à part me détruire… Je n’ai pas envie de donner de crédit à ce sport, il m’a fait beaucoup de mal. Par contre, si je suis la comédienne que je suis aujourd’hui, c’est en partie grâce à mon passé, à ce que j’ai vécu. Ça a forgé mon caractère de battante. Déclarer «Je veux devenir comédienne», c’était afficher une ambition. Il y avait une guerrière dans la petite fille un peu brisée que j’étais, une force de revanche.
De revanche?
Que les coachs soient durs n’était pas un problème en soi. J’aime que l’on soit exigeant et certains réalisateurs le sont. Mais traiter de jeunes mineures comme nous l’avons été, je ne le pardonnerai jamais. Mes anciennes coéquipières ont témoigné après le covid. Elles ont dénoncé des abus psychiques, physiques, des coups parfois – mais jamais d’abus sexuels, je tiens à le préciser.
Avant de quitter Genève pour Paris, vous m’aviez dit: «Petite fille, je jouais à faire parler mes émotions dans ma chambre.»
(Emue.) Je me souviens de ce moment, j’avais plein de rêves, plein d’ambitions. Onze ans plus tard, ça va hyper-bien. J’oublie parfois que, petite fille, j’étais tout le temps en train de m’inventer une autre existence. La gym me fatiguait trop pour regarder des films alors j’imaginais les miens. J’étais dans des scènes dramatiques ou drôles, toute seule dans ma chambre. J’allais aux entraînements en me disant: «J’ai un petit copain.» Cette vie parallèle me permettait de sortir de la rigueur. Nous n’avions pas le droit de parler ou de nous exprimer. Parfois, lorsque je souhaitais dire quelque chose pendant les entraînements, on me répondait: «Ta gueule!» Je ne mesurais pas le côté dramatique de ce que nous vivions. Aujourd’hui, heureusement, la parole s’est libérée.
Comment passe-t-on de la gym au Cours Florent sans même savoir – ce sont vos propos – qui était Audrey Hepburn?
Il n’y a pas de méthode. En arrivant à l’école de théâtre, on m’a casée dans des choses très sociales, très posées. En découvrant Brecht et son principe de distanciation, j’ai pu communiquer avec mon corps. Soudain, la jeune gymnaste très émotive, renfermée, privée de parole a pu s’exprimer et ça a déclenché un tsunami d’émotions. Celles que j’avais enfouies en moi se sont libérées et j’ai enfin pu respirer.
Vous avez commencé par le meilleur, dites-vous, le théâtre sous l’égide de Wajdi Mouawad.
Je venais d’être acceptée au Conservatoire national, sur concours, parmi des centaines d’élèves. J’avais présenté du Goldoni, du Molière et un texte que j’avais écrit, inspiré par mon vécu de gymnaste. J’imitais les coachs, je balançais des insultes, en bulgare, en russe et en allemand. Je mélangeais tout. Je montais sur une balance sur laquelle j’étais trop grosse: nous étions pesées trois fois par jour à l’époque. Le jury n’a sans doute rien compris, mais il a capté l’intention. J’ai aussi interprété un texte de Wajdi Mouawad tiré de la pièce Incendies.
Et il vous a contactée...
C’est fou. Il me laisse un message vocal: «Je ne sais pas si vous me connaissez. Je suis Wajdi Mouawad, auteur et metteur en scène. Je souhaiterais vous parler d’un projet.» Je n’en revenais pas. Je venais d’intégrer le Conservatoire, je ne connaissais rien au théâtre trois ans auparavant. Je l’ai rencontré pendant trois heures, il m’a parlé de sa pièce Tous des oiseaux et du Théâtre national de la Colline qu’il dirigeait. A la fin, il m’a offert le rôle en me disant: «Je me trompe peut-être, mais non... je ne me trompe jamais. Tu es Wahida, tu es mon rôle, tu es cette fille.» En fait, son assistante, prof au Cours Florent, m’avait vue danser. J’avais imaginé – et on en revient au corps – une chorégraphie sur le thème de la religion. Il y avait un haka, de la danse indienne et ça partait dans l’électro. Il faut croire que les planètes se sont alignées: j’ai eu le plus beau rôle de ma vie. D’ailleurs, je le retrouve, dès demain, pour un grand film.
«Planète B» (en salle le 25 décembre) est une œuvre de science-fiction oppressante et Aude Léa Rapin, sa réalisatrice, avoue être claustrophobe. Après un attentat, des activistes écolos – dont Adèle Exarchopoulos – sont retenus sur une île, prison virtuelle. Une journaliste (Souheila) va tenter de les délivrer de ce cauchemar. Sobre, la Genevoise vole ici la vedette et se lâche totalement dans la comédie d’horreur «Les femmes au balcon» (en salle) de Noémie Merlant, qui dénonce avec outrance et jubilation les violences faites aux femmes.
«Planète B» (en salle le 25 décembre) est une œuvre de science-fiction oppressante et Aude Léa Rapin, sa réalisatrice, avoue être claustrophobe. Après un attentat, des activistes écolos – dont Adèle Exarchopoulos – sont retenus sur une île, prison virtuelle. Une journaliste (Souheila) va tenter de les délivrer de ce cauchemar. Sobre, la Genevoise vole ici la vedette et se lâche totalement dans la comédie d’horreur «Les femmes au balcon» (en salle) de Noémie Merlant, qui dénonce avec outrance et jubilation les violences faites aux femmes.
Croyez-vous en la destinée?
Je crois aux rendez-vous. Après le confinement, je venais de faire la première saison de No Man’s Land, une série d’Arte dans laquelle j’étais une combattante kurde. J’avais été pressentie pour le film de Cédric Kahn Making of, mais rien n’était sûr. Je démarrais dans le métier et une amie m’avait conseillé d’aller chez une voyante: «C’est la voyante des stars, vas-y.» J’avais joué dans Entre les vagues et j’ai demandé à cette femme: «Est-ce que le film va marcher?» Elle m’a dit: «Pas trop.» Moi: «Ah bon? C’est un grand film. J’ai le premier rôle.» Elle: «Désolée, non. Je peux me tromper, ce n’est pas de la science, c’est de la voyance.» Et ce film que j’adore n’a pas marché.
Elle avait vu juste.
Oui. Or on me répétait: «Tu seras aux Césars.» En fait, pas du tout. Elle a ajouté: «Je vois un gros film américain.» J’ai réagi en me disant: «A d’autres!» Et Dune est venu très vite. Je devais également tourner avec Abdellatif Kechiche. Elle a déclaré: «Je ne le vois pas.» J’ai rétorqué: «Mais c’est impossible, je travaille dessus!» Deux semaines après, le film a sauté et la superproduction américaine est arrivée.
Ça vous a fait quel effet?
C’était flippant. Je n’ai pas aimé savoir ça. Je ne le referai plus.
Vous êtes Suissesse, née à Genève, vous avez du sang belge côté maternel et tunisien côté paternel. Avec un nom à consonance orientale, est-il difficile d’échapper aux étiquettes?
J’ajoute que le flamand est ma langue maternelle. Au début, je ne comprenais pas pourquoi on me donnait systématiquement des rôles de filles arabes, genre Aïcha, jeune femme de banlieue. Je pensais que j’étais une femme avant tout, mais une fois à Paris, ça m’a sauté à la gueule. Au bout d’un moment, j’ai lâché: «Vous êtes racistes ou je suis Arabe? Où est-ce que vous me situez?» Le pire, c’est qu’à chaque essai on me disait: «Tu peux être un peu plus arabe?» Je demandais: «Mais qu’est-ce que ça veut dire?» Je ne parle pas la langue, mais je l’ai étudiée, notamment pour les besoins de Planète B (sortie le 25 décembre, ndlr). Comme j’ai travaillé le kurde pour tourner No Man’s Land. Dans Dune, je parle le chakobsa, la langue imaginaire du peuple Fremen.
Vous êtes cosmopolite, ça déconcerte?
Il y a deux ans, un directeur de casting m’a lancé: «Je sais pas où te mettre, toi.» Il me parlait un peu mal, me prenait de haut. Je fulminais intérieurement: «Espèce de petit con!» J’ai réalisé après coup la puissance de cette phrase; c’était un compliment. C’est aussi cela, être Suisse: venir d’horizons multiples et faire partie intégrante de l’équipe nationale de gym ou accéder au titre de Miss Suisse romande. Au cinéma, je n’ai pas connu, comme d’autres, un rôle qui vous identifie ou vous catégorise. C’est, je pense, un avantage. J’ai fait 11 films différents en sept ans. J’ai posé ma base et ça commence à prendre.
Vous êtes plus affirmée, vous semblez endurcie. Est-ce le cas?
C’est le fait de revenir à Genève. Cela remue des souvenirs. Ici, j’ai des revendications, l’envie de crier fort; encore une fois, ça me rappelle et me ramène à la gym. Je travaille dessus avec un psy. Sinon, je suis gentille, à l’écoute des autres et je ne suis pas dans le jugement. Petite fille, j’ai toujours eu du caractère, une force d’opinion qu’on a tenté de briser. J’acceptais sans comprendre. Pendant Miss Suisse romande, on m’a beaucoup écrasée. Les gens s’autorisaient à être méchants parce que j’étais gentille. Avec le temps, ma naïveté a laissé la place à ma conscience. Désormais, il ne faut pas me la faire.
Récemment, on demandait à Karin Viard si ça la gênait d’incarner une politicienne d’extrême droite. Elle a répondu: «Non, je suis comédienne avant tout.» Vous y pensez avant d’accepter un rôle?
Je suis totalement d’accord avec elle. Je rêve de jouer les pires vilains par goût du jeu, très égoïstement.
Dans Les femmes au balcon de Noémie Merlant, vous êtes Ruby, une fille qui vend ses charmes sur le Net, et, dans Planète B, une journaliste.
Ruby, c’est le rôle que j’attendais depuis longtemps. Dans cette satire sur l’homme et les violences faites aux femmes, Noémie a osé l’absurde, la comédie, en allant très loin. Aude Léa Rapin, la réalisatrice de Planète B, a fait un film de science-fiction français, ce qui n’arrive jamais. Dans les deux cas, cela m’a permis d’aller vers la nouveauté, là où je sentais que j’allais pouvoir m’amuser artistiquement.
Le mouvement #MeToo a impacté le monde du cinéma. Les nouvelles règles facilitent-elles les tournages?
Il y a des coordonnateurs d’intimité et c’est bien, même si je ne suis pas quelqu’un de pudique. J’ai moins peur des scènes d’amour que des monologues tristes. Dans les scénarios, les indications de jeu sont succinctes: «Elle ouvre la porte, elle se met à pleurer. Ils font l’amour.» Quand on arrive, on ne sait pas ce qu’on joue. Or c’est très intime. Le coordonnateur va rendre la chose plus chorégraphiée, plus professionnelle. Cet encadrement fait du bien, il désacralise la scène.
En dehors des souvenirs liés à la gym, venir à Genève vous permet-il de retrouver votre famille?
Oui et c’est rassurant. Mon père, ma mère et ma sœur vivent ici. Ma vie n’est pas plus intéressante ou meilleure que la leur. Elle est plus inhabituelle, ça fascine un peu. Au même titre que le métier de ma sœur. Elle a un poste important à l’Etat de Genève, au Service de la protection des mineurs. Quand je les retrouve, je suis contente d’écouter ce qu’ils ont vécu. On rigole ensemble et on oublie complètement l’actrice.
A force d’incarner des autres, avez-vous le temps de vous occuper de vous?
Pour l’instant, j’y arrive. Jouer, c’est exercer un métier. J’ai de la chance, je gagne ma vie, ce qui n’est pas le cas de tous les comédiens. Et tourner avec Nicolas Cage, ça reste impressionnant (The Carpenter’s Son sortira en 2025, ndlr). En dehors, j’aime être avec mes amis. Ce sont les mêmes depuis que je vis à Paris. Et j’ai envie de fonder une famille.
Vous êtes en couple avec le rappeur et chanteur Lomepal.
Oui. Comme c’est lui la star, je ne veux pas trop en parler. Un jour, j’aimerais pouvoir réaliser un film. Mon second court métrage devrait se faire l’an prochain.
Parmi les actrices chevronnées, certaines vous ont-elles donné des conseils ou c’est chacune pour soi?
Sur Dune, avec Zendaya, je pensais que tout était réuni pour que ce soit un peu tendu, parce que je ne suis personne et qu’elle est la plus grande star du moment, elle a trois gardes du corps. En fait, il y a eu une grande complicité entre nous. J’étais stressée au début et elle m’a portée. On a rigolé comme jamais. J’ai travaillé avec des actrices, ou des acteurs français, avec qui ça ne s’est pas très bien passé. Ils étaient dans leur monde, ou alors très prétentieux et très méchants. A l’opposé, Zendaya est d’une grande humilité. On se moquait parfois l’une de l’autre. Sur une scène, j’avais tenté quelque chose de différent, comme le fait Javier Bardem à chaque prise. Zendaya est toujours parfaite, moi pas. On se marrait en se disant que c’était trop nul, mais avec beaucoup de bienveillance.
Qu’avez-vous ressenti en débarquant sur un tournage de cette ampleur?
C’était hors norme. J’ai été traitée comme la ligue A, comme les acteurs principaux, avec un chauffeur et une cuisinière. Le premier jour, en arrivant à Budapest, j’ai vu des kilomètres de costumes; des centaines de couturières travaillaient sur les tenues des méchants, les Harkonnen. C’était fascinant à voir.
Le réalisateur Denis Villeneuve ne vous a pas fait passer de casting. Comment avez-vous été choisie?
Je ne sais pas. Je m’étais d’abord présentée pour incarner Chani, le personnage joué par Zendaya. Plusieurs centaines de comédiennes ont été auditionnées à travers le monde. La directrice de casting hollywoodienne, Francine Maisler, une star dans le métier, avait conservé une dizaine de vidéos d’actrices qu’elle aimait bien et j’étais dedans. Denis Villeneuve, lui, avait sauf erreur vu No Man’s Land et mon personnage se rapprochait un peu de Shishakli dans Dune. Il se trouve qu’il a adapté au cinéma Incendies de Wajdi Mouawad. Tout ça a peut-être aidé à la décision.
Ce film a-t-il eu un impact sur votre carrière?
Je sens que le regard des gens du métier a changé. Ça me rend heureuse. J’ai des projets et des rôles de plus en plus intéressants.
Cet article a été publié initialement dans le n°51 de L'illustré, paru en kiosque le 19 décembre 2024.
Cet article a été publié initialement dans le n°51 de L'illustré, paru en kiosque le 19 décembre 2024.