«Faut-il arrêter de chatouiller quelqu’un s’il dit non?»
«Trouves-tu acceptable que des adultes embrassent des enfants sur la bouche?»
«Des insultes comme 'Va te faire mettre!' sont-elles des violences sexuelles?»
Voici le genre de questions que la Bernoise Agota Lavoyer pose dans son livre adressé – en apparence – aux enfants. «Est-ce que c’est OK?» (en allemand, «Ist das okay?») doit paraître le 13 juin prochain. Il s’adresse aux enfants de six à douze ans, à leurs parents et à toute personne amenée à évoluer dans leur entourage.
À lire aussi
Agota Lavoyer est spécialisée dans la violence sexuelle et a travaillé avec des victimes d'agressions pendant des années. Dans son livre, cette mère de quatre enfants ne propose toutefois pas des réponses définitives à toutes les questions qu’elle y pose. Elle estime que les réponses peuvent varier selon les situations.
Sur certains points, en revanche, elle est catégorique. Notamment sur l’insulte «Va te faire mettre!» (en allemand: «Fick dich!») qu’elle considère relever de la violence sexuelle. Dans ce cas, la sexualité est utilisée pour dévaloriser les autres, indépendamment du fait que les gens comprennent ou non ce qu’ils disent.
Des gestes affectueux qui dépassent les limites
Agota Lavoyer conseille aux parents et aux enseignants d’expliquer à l’enfant pourquoi ce genre de mots ne doivent pas être tolérées. «Ils contribuent ainsi à la prévention de la violence sexuelle, assure l’experte avant de souligner que la sensibilisation sur ce sujet commence par le langage. Si nous laissons les enfants utiliser la sexualité pour blesser, dévaloriser et humilier les gens sans faire de remarque, nous participons à la formation d’un terrain propice à une violence sexualisée plus massive.»
La spécialiste dénonce un mutisme sur ce sujet dans la société, et plus largement un tabou qui fait que les violences sexuelles ne sont pas toujours abordées dans les cours de sensibilisation sexuelle. «On apprend tout au plus aux enfants qu’ils peuvent dire non si quelque chose les met mal à l’aise, note Agota Lavoyer. Mais même en tant que femme adulte, je sais combien de courage il faut pour dire à quelqu’un dans le bus de ne pas s’asseoir en me collant autant.»
Les enfants sont complètement démunis en cas de dérive. L’experte explique que les violences sexuelles commencent souvent par des gestes d’affection particuliers qui finissent par dépasser les limites. «Même les enfants les plus alertes n’ont aucune chance si un adulte décide de les manipuler», se désole-t-elle.
Y a-t-il un concept de protection dans la crèche?
Dans la majorité écrasante des cas, 97% pour être précis, l’auteur de ces violences est une personne que l’enfant connaît déjà: famille, professeurs, entraîneurs de sport, voisins… Agota Lavoyer insiste sur l’importance de parler de ces sujets et proposer un cadre de discussion pour que les enfants puissent se confier: «Ils ne le font que si leurs parents leur parlent à plusieurs reprises de la violence sexuelle et ont une attitude claire à ce sujet.»
Comment faire pour parler de violences sexuelles correctement aux enfants? «En intégrant ce sujet dans le quotidien», propose la consultante. Pour tester son fils et l’entraîner à dire non à l’avenir, elle lui a un jour demandé s’il serait d’accord qu’elle prenne une douche avec lui. «Il avait neuf ans à l’époque. Nous avons eu une brève conversation sur le fait qu’il n’y avait aucune bonne raison, ni pour moi ni pour un autre adulte, de prendre une douche avec lui, et que je ne voulais pas non plus qu’il le fasse» raconte Agota Lavoyer.
N’y a-t-il pas le risque de devenir paranoïaque pour les parents? Il ne s’agit pas de faire peser une suspicion générale sur tous les adultes, tempère l’experte. «En fin de compte, seule une petite partie d’entre eux exploite sexuellement les enfants.» Elle est convaincue qu’il est important d’acquérir des connaissances pour faire face à la violence sexuelle et de ne pas détourner le regard. Agota Lavoyer recommande aux parents qui font garder leurs enfants par des tiers de se renseigner sur les concepts de protection. Cela implique par exemple que la table à langer de la crèche soit positionnée de manière à ce que plusieurs personnes s’occupant de l’enfant aient toujours dans leur champ de vision l’enfant qui y est allongé.
«Malheureusement, nous ne sommes pas dans la tête des gens», soupire l’auteure. Elle fait confiance aux personnes qui l’entourent, mais n’éteint jamais tout à fait sa suspicion. «Si je suis convaincue à 100% qu’une personne ne pourrait jamais perpétrer de tels actes, je me ferme indirectement aux potentiels appels à l’aide d’éventuelles victimes.»
(Adaptation par Louise Maksimovic)