«Violer un tabou donne du pouvoir», a dit le romancier américain David Homel. On ne peut trouver plus juste, pour l'entrée en piste du nouveau ministre français des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées Damien Abad. Il y a une semaine, à peine, à moins d'être un ou une fidèle sarkozyste, son nom vous était inconnu.
Aujourd’hui, en revanche, son patronyme latin raisonne bien, sur toutes les ondes, s'affiche sur toutes les boites à images, s'imprime dans tous les commentaires.
La politique du handicap
Si cette histoire est véridique, en plus de ficher des nausées à qui est censé, pour les personnes en situation de handicap, cette accusation apparaitrait aussi malheureuse que précieuse. Un ascenseur émotionnel surréaliste. Aussi surréaliste que les questions soulevées par cette double dénonciation.
Malheureuse, d'abord, parce que Damien Abad devient l’une des rares personnes en situation de handicap à accéder à la haute fonction publique. Pour toutes les citoyennes et tous les citoyens concernés, c'est une grande nouvelle. Qui mieux qu'une personne handicapée pour traiter de la thématique du handicap? Au début du mois, Blick posait d’ailleurs la question à Nathalie Christen, première déléguée à l'inclusion de cette population en Suisse romande. Un ministre réellement concerné, mais viré pour une affaire sordide, ce serait une sorte de faux départ dans ce chemin vers l'inclusion des personnes en situation de handicap. L'avenir, peut-être, nous le dira...
En revanche, pour trouver du «positif», j'ai dû m'y reprendre à deux fois. Soudain, je me suis rappelé de ce collectif français et «handi-féministe», Les Dévalideuses. Depuis 2019, l'association s’emploie à, selon ses dires, «porter les voix des femmes handicapées dans toute leur diversité». Je me suis donc attelé à contacter l'une de ses huit fondatrices. Céline Extenso, vous l'avez déjà lue, ici, dans cette même chronique. En juin dernier, ses mots, toujours bien choisis, sont venus définir ce qu'est le «validisme». Une sorte de handicap mental, majoritairement attribué aux «valides».
Des violeuses comme les autres?
Onze mois plus tard, la fervente militante s'est prêtée au jeu des questions. Vous connaissez ma propension à discuter de handicap sans (trop) de ménagements. Alors, Céline, les personnes handicapées sont-elles des violeuses comme les autres? «Bien sûr, et peut-être même davantage, lance la Nancéienne qui vit avec une amyotrophie spinale. En fait, je crois que pour beaucoup de mecs handis, inconsciemment, c'est intégré que, non, la société ne peut pas leur prêter ce rôle d'abuseur. D'ordinaire, on leur colle plutôt une image infantile, donc, à se croire intouchable, certains doivent finir par devenir moins respectueux que leurs homologues valides.»
C'est d’ailleurs, selon le collectif féministe, ce qu'a précisément fait Damien Abad: il s'est «caché» derrière sa déficience, affirmant que «les relations sexuelles qu’il a pu avoir ont toujours reposé sur le principe du consentement mutuel» et qu’il est «dans l’impossibilité physique d’avoir commis les actes décrits». Pour mon interlocutrice, utiliser son handicap pour se soustraire à la justice, c'est «abominable». Toujours selon elle, cette accusation pourrait peut-être permettre de remettre en question notre vision séraphique de la personne en situation de handicap. Au regard d’une «antivalidiste», ça, c’est une bonne nouvelle!
Des handicapés comme les autres?
Et si c'était vrai, demande alors un reliquat de masculinité toxique qui squatte ma psyché. Et si le handicap du nouveau ministre des Solidarités l’empêchait réellement d'accomplir ce geste? Céline Extenso, à raison, recadre la situation: «Nous vivons malheureusement dans un monde qui encourage la mobilité. Pour beaucoup, ne pas pouvoir se mouvoir est synonyme de dépendance et de fragilité. Or, je ne crois pas que l'autonomie de choix est dictée par les capacités physiques. Damien Abad a toutes ses facultés cognitives et il est accusé de soumission chimique. Je ne vois pas en quoi son handicap l'empêche de droguer sa victime avant d'en abuser sexuellement. Il pourrait même commanditer le geste…» Sa limitation musculaire et physique n’aurait donc rien à faire dans l’équation.
Au sortir de la visioconférence qui nous réunit, la Française du Grand Est se dit quelque peu désabusée. Pour elle, peu de choses ressortiront de cette affaire, malgré ses propres souhaits. Mais dans un idéal, que peut-on espérer? Une reconnaissance de l’imperfection et des travers des personnes en situation de handicap. Comme tout le monde, elles ont leurs qualités et leurs défauts, me rappelle-t-elle. Parfois même, une part sombre. C'est peut-être le cas de Damien Abad. Après tout, c'est un politique, Reste à savoir si les politiques sont des handicapés comme les autres…
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