Lorsqu’on se trouve devant l’entrée de l’aéroport régional de Sion, on croit d’abord s’être perdu. Hormis les quelques travailleurs du restaurant, il n’y a guère d’activité et juste à côté de la petite porte se trouve, bien en vue, une grosse benne à ordures bleue. L’endroit est désert. Mais voilà qu’un jet privé noir et racé tourne sur le tarmac. Le bruit des réacteurs s’amplifie, l’engin s’élance sur la piste, décolle et disparaît comme un point brillant dans le ciel de midi.
L’année dernière, 26’000 passagers ont atterri et décollé de Sion. Parmi eux, une grande partie ont voyagé en jet privé ou d’affaires. Il s’agit de riches clients venant passer leurs vacances à Zermatt, Verbier ou Crans-Montana.
Un moteur touristique et économique
«L’aéroport de Sion ne doit pas son exploitation qu’à des millionnaires et des milliardaires», défend toutefois le conseiller d’État Christophe Darbellay, dans son bureau de la Planta, avec vue sur la capitale valaisanne.
L'élu a de grands projets pour l’aéroport régional. «Nous voulons faire de l’aéroport de Sion un moteur touristique et économique», explique-t-il. Depuis que l’armée suisse s’est retirée de l’aérodrome en 2018, la ville de Sion, en tant qu’exploitante, travaille avec le canton pour développer son aviation civile. La pandémie de Covid-19 a freiné le projet, qui doit maintenant recevoir un nouvel élan.
Pas une bonne première impression du Valais
Le conseiller d’État centriste estime qu’un aéroport en plein cœur des Alpes est un atout de premier plan. Actuellement, les touristes étrangers qui viennent passer leurs vacances dans une des stations de ski valaisannes doivent encore voyager plusieurs heures par le train depuis Genève ou Berne. De l’aéroport de Zurich à Zermatt, par exemple, il faut même compter trois heures et demie. «Les touristes qui atterrissent à l’aéroport de Sion économisent facilement deux heures de voyage», explique Christophe Darbellay.
Mais l’aéroport de Sion doit d’abord être mis en conformité pour l’aviation civile. En Valais, on entend souvent dire que le canton compte bien un aéroport, «mais pas un vrai». Son infrastructure doit notamment être remise à neuf: le hall d’entrée, de petite taille, ne permet pas de recevoir un grand nombre de voyageurs, forçant certains à devoir attendre dehors, même lorsqu’il pleut. Et ce n’est pas la première impression du Valais que le conseiller d’État chargé de l’économie souhaite donner aux touristes.
Un objectif de 150’000 passagers
Les plans prévoient la construction d’un nouveau bâtiment avec des boutiques. Les premières prévisions évoquent des investissements de 6,5 millions de francs. Actuellement, l’aéroport de Sion enregistre un déficit annuel de près de 2 millions, qui est supporté par le canton et la ville de Sion. «Mais l’aéroport régional génère déjà aujourd’hui une valeur ajoutée directe et indirecte de 80 millions de francs», tient à préciser Christophe Darbellay.
Autre problème: les compagnies d’aviation qui pourraient venir se poser sur le tarmac valaisan se font rares. Ces dernières années, Sion a connu plusieurs échecs à cet égard, par exemple avec la compagnie Powdair, qui voulait proposer des vols de Sion vers Londres et les Pays-Bas, avant de se rétracter.
Le prochain projet devra être le bon et permettre à l’aéroport de Sion de multiplier le nombre de voyageurs. «Dans notre plan directeur, nous comptons sur 150’000 passagers d’ici 10 à 15 ans», déclare Christophe Darbellay.
«Un non-sens à l’heure du changement climatique»
En Valais, de nombreuses voix critiques se font toutefois entendre. Parmi elles, Christophe Clivaz, conseiller national des Verts et ancien conseiller municipal de Sion. «Nous devons réduire nos émissions de CO2. Cela n’a donc absolument aucun sens d’agrandir un aéroport à l’heure du changement climatique», tonne-t-il.
Comme d’autres habitants de Sion, il craint également une nette augmentation des nuisances sonores à cause des appareils. Le tarmac de l’aéroport est en effet situé à quelques kilomètres à peine du centre-ville de la capitale valaisanne.
Une vue de l’esprit?
Du point de vue de Christophe Clivaz, le projet d’aéroport est une vue de l’esprit. «Le grand potentiel que le canton et la ville entrevoient, avec des vols de ligne de grande envergure, n’existe tout simplement pas.» Le conseiller national fait référence aux vols de ligne de ces dernières années, qui ont généralement été interrompus après peu de temps. Entre 1996 et 2005 par exemple, l’aéroport était desservi par des vols commerciaux, avant que l’exploitation ne soit à nouveau interrompue pour des raisons financières.
Le conseiller national demande carrément l’abandon du projet: «Il serait bien plus intelligent de réduire la taille de l’aéroport et de ne plus l’utiliser que pour les vols d’hélicoptères, de sauvetage et de formation.»
La Suisse déjà bien couverte
L’expert en aviation Hansjörg Egger se montre lui aussi sceptique. «À mon avis, ces plans sont des vœux pieux, explique-t-il. Les aéroports régionaux ont généralement beaucoup de mal à se transformer en grands pôles commerciaux. L’aéroport de Berne-Belp connaît le même problème.»
Selon lui, la Suisse, avec ses trois aéroports nationaux de Genève, Bâle et Zurich, est très bien couverte par rapport à l’étranger, compte tenu de sa taille. «Ici, l’offre est bien plus importante et les prix parfois imbattables», ajoute Hansjörg Egger.
Mais Christophe Darbellay croit en son projet et estime qu’un démantèlement n’est pas envisageable. «Avoir son propre aéroport est un atout majeur pour une région touristique. Jusqu’à la pandémie, l’aéroport d’Innsbruck transportait environ 1,1 million de passagers par an. Avec environ 18 millions de nuitées générées par an en Valais, l’aéroport de Sion a un grand potentiel.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)