Monsieur de Quervain, le ministre de la Santé Alain Berset affirme que le variant Omicron est certes très contagieux, mais moins dangereux, au même niveau qu’une grippe ou qu’un rhume. Partagez-vous cette appréciation?
Dominique de Quervain: Si le conseiller fédéral Alain Berset entend par là qu’Omicron est moins nocif pour les poumons, et que l’on court donc moins de risques d’être hospitalisé ou de se retrouver aux soins intensifs en comparaison avec le variant Delta, alors c’est peut-être vrai. Mais je trouve la comparaison avec d’autres maladies problématique, surtout qu’il existe d’autres risques.
Que voulez-vous dire?
Après des études sur les variants précédents, nous savons que le Covid peut s’attaquer à presque tous les organes du corps humain. Et là, nous parlons déjà de dommages à long terme, entrainés par le Covid long. Même en cas d’évolution bénigne, le virus peut entraîner des troubles neurologiques persistants tels que des problèmes de concentration et de mémoire ou une grande fatigue. Les personnes en bonne santé qui sont vaccinées en courent aussi le risque. Et nous ne savons pas encore si, au-delà des poumons, Omicron est moins nocif pour d’autres organes comme le cerveau. Vu le nombre extrêmement élevé de cas actuellement, je suis déjà inquiet.
Dans ce cas, vous ne devez pas non plus être très enthousiaste après l’annonce du raccourcissement de la durée de l’isolement et de la prolongation des mesures existantes, comme annoncé par le Conseil fédéral.
Je ne suis pas épidémiologiste, mais je m’occupe des effets neurologiques du virus sur notre cerveau. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste pour constater que le risque de dommages à long terme augmente en parallèle de l’augmentation des cas. Le Conseil fédéral s’en accommode manifestement.
Ce qui est frappant, c’est que «Covid long» ne semble guère exister dans le vocabulaire de crise du Conseil fédéral. Nos décideurs sous-estiment-ils ce danger?
Pour les politiques, seule la charge des hôpitaux joue un rôle dans l’adoption ou la levée de mesures. Or, le Covid long pourrait se révéler être un autre problème majeur en termes de politique de santé. Pour une partie des personnes concernées, les symptômes sont très pénibles et entraînent des contraintes à long terme au travail. Avec Omicron, encore davantage de personnes pourraient être concernées. Ce sujet doit définitivement figurer à l’agenda politique.
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, toute personne ayant subi une infection au coronavirus et présentant encore des symptômes plus de trois mois après souffre de Covid long. Combien de personnes sont concernées?
On estime qu’entre 10 et 30% des personnes infectées développent une forme de Covid long, la fréquence variant selon les études et les symptômes recensés. Pour le variant Omicron, nous ne connaissons pas encore cette fréquence.
En Suisse, les données sur le Covid long ne sont pas collectées pas les autorités. Le ministre de la santé, Alain Berset, a expliqué dans une interview cette semaine que les médecins de famille l’envisagent. Est-ce suffisant?
Non. Les médecins de famille sont confrontés à un nouveau tableau clinique pour lequel il n’existe pas encore de données comparatives. Aucun bureau central de déclaration ne rassemble tous les cas de Covid long. De telles données seraient pourtant importantes pour en savoir plus sur l’importance de cette maladie en termes de politique de santé. Seule l’AI tient un registre sur la fréquence des cas de Covid long. Mais seuls les plus graves y sont enregistrés.
C’est-à-dire quand une personne ne peut plus travailler.
Exactement. La majorité des cas ne sont pas reconnus. Cela pourrait mettre notre système de santé à rude épreuve dans les années à venir. Les conséquences tardives entraînent souvent des coûts importants. A cela s’ajoutent les arrêts de travail.
Comment le virus pénètre-t-il dans notre cerveau?
Le nerf olfactif est une porte d’entrée possible. Les autopsies montrent que le coronavirus peut s’installer dans différentes régions du cerveau et y rester pendant plusieurs mois.
Et si le virus a pénétré dans notre cerveau, comment agit-il exactement?
Nous ne le savons pas. Il se peut que la présence du virus dans le cerveau soit responsable de certains symptômes neurologiques. Mais il est également possible que des modifications du système immunitaire ou d’autres mécanismes jouent un rôle.
Les vaccins et le booster sont-ils utiles contre le Covid long?
Oui, ils aident surtout en protégeant contre la contagion. Malheureusement, cette protection a drastiquement diminué avec l’arrivée du variant Omicron. Seul le booster protège encore suffisamment, mais son efficacité diminue également au fil des mois. En mars, les premiers vaccins contre Omicron devraient être mis sur le marché. Espérons qu’ils offriront à nouveau une protection très élevée contre les infections et donc aussi contre le Covid long.
Les enfants risquent-ils aussi d’avoir des symptômes de Covid long?
Le Covid long existe aussi chez les enfants, mais les études sur la gravité de la maladie sont encore rares. C’est pourquoi il convient d’appliquer le principe de précaution et de protéger les enfants de la contagion.
Y a-t-il un espoir de guérison pour les personnes atteintes de ce mal?
Certaines études montrent une amélioration au fil du temps pour certains symptômes comme les problèmes respiratoires. D’autres symptômes, comme les problèmes de concentration et de mémoire, persistent pendant plusieurs mois. Malheureusement, il n’existe pas encore de traitement à l’heure actuelle. Mais des recherches extensives sont menées dans ce sens, en Suisse également.
Dans votre institut?
Oui, sur la base de nos recherches, nous allons bientôt lancer une étude et examiner si les problèmes cognitifs dus au Covid long peuvent être traités par un médicament.
(Adaptation par Jessica Chautems)