Un jeune motard témoigne
«Si mes parents m’avaient laissé rouler à 16 ans, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui»

Le nombre d’accidents impliquant des motards mineurs a triplé depuis qu’ils sont autorisés à conduire des 125 cm3. A 16 ans, est-on assez mature pour piloter de telles machines? Vincent Albert, un motard âgé de 22 ans, témoigne pour «L'illustré».
Publié: 22.12.2024 à 06:03 heures
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Vincent Albert, 22 ans, témoigne de sa passion pour la moto. Lucide, il en connaît les risques.
Photo: Niels Ackermann / Lundi13
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Alessia Barbezat
L'Illustré

Une véritable hécatombe sur les routes genevoises. Cet automne, ils sont cinq conducteurs de deux-roues à avoir perdu la vie, quatre en l’espace de quinze jours. Parmi eux, deux jeunes, Enzo, 19 ans, mort sur le coup après une embardée aux Eaux-Vives le 19 octobre. Et un autre malheureux, âgé de seulement 18 ans, après une collision avec deux véhicules à Satigny survenue le 21 octobre. 

A Genève, la mort d’Enzo a particulièrement marqué les esprits. Une semaine après les faits, un cortège de deux-roues motorisés, composé des amis et des proches du jeune homme, a tenu à lui rendre hommage. Ils étaient près d’une centaine à défiler. Et ce drame de rappeler, dans «L'illustré», une réalité statistique qu’il devient de plus en plus difficile d’ignorer. 

Des chiffres alarmants

Si le nombre de motocyclistes gravement blessés ou décédés demeure relativement stable ces dix dernières années, le nombre d’accidents impliquant des motards mineurs a triplé, passant de 53 en 2021 à 162 en 2023, selon les chiffres du Bureau de prévention des accidents (BPA). En cause, une modification de la loi, en 2021, qui autorise les 16-18 ans à chevaucher des engins de 125 cm³. Avant, il fallait avoir atteint la majorité pour se lancer sur les routes. 

Cette nouvelle loi laisse perplexe le porte-parole du BPA, Lucien Combaz. «Nous nous étions opposés à cet abaissement de l’âge à 16 ans. Et force est de constater que la réalité a confirmé nos craintes. Cette législation a mis sur la route des jeunes qui ont une propension plus élevée à prendre des risques. Et on met entre leurs mains des véhicules plus rapides et puissants...»

Le 26 octobre, à Genève. Ils étaient plus d’une centaine à défiler sur leur deux-roues pour rendre hommage à Enzo, décédé une semaine plus tôt après une embardée aux Eaux-Vives. Il avait 19 ans.
Photo: MAGALI GIRARDIN

Il pointe aussi du doigt les lacunes dans la formation dispensée aux jeunes motards pour les sensibiliser aux risques de la route. «Il faudrait renforcer l’intégration de la gestion des risques dans les cours. Les minima pour obtenir un permis de conduire sont relativement légers», observe le porte-parole de cette fondation indépendante visant à faire baisser le nombre d’accidents graves en Suisse grâce à la recherche et au conseil. 

En effet, il suffit de suivre des cours de premiers secours et de réussir son examen théorique pour obtenir un permis d’élève conducteur. Ensuite, l’apprenti motard dispose de quatre mois pour suivre une instruction pratique de base (douze heures de cours), ce qui lui permet de prolonger son permis provisoire d’une année. «Cela signifie que quand tu sors du bureau des automobiles, ton L à la main, tu peux directement enfourcher une moto sans avoir la moindre expérience et monter jusqu’à 120 km/h», résume Vincent Albert.

16 ans, l'âge de la maturité?

Né dans «une famille de motards», ce Genevois a attendu d’avoir 18 ans pour piloter l’engin de ses rêves. S’il a accompagné son père dès qu’il a été en âge de se tenir aux poignées d’une moto ou dans un side-car, ses parents ont toujours refusé qu’il pilote sa propre bécane avant la majorité. Trop dangereux selon eux. «Et ce n’est pas faute d’avoir insisté», sourit-il. 

«Mais ils ont eu raison. À 16 ans, on n’est pas suffisamment mature. Honnêtement, s’ils m’avaient laissé me lancer sur les routes à cet âge-là, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui...» Et d’enchaîner, lucide: «Je me serais tué. Déjà qu’à 18 ans on est encore un peu fou, alors à 16... On ne travaille pas, on vit encore chez ses parents, on ne comprend pas trop les enjeux de la vie.»

Avec ses économies, de l’argent patiemment mis de côté grâce à des jobs d’été, l’adolescent s’offre sa première moto, une Ninja 125 cm³. Le jour de ses 18 ans, il obtient son examen théorique et le permis de rouler. Il s’exerce, apprend à manier «la bête» durant deux semaines sur un parking. «J’aurais pu sauter cette étape si je l’avais voulu. Mais c’était inimaginable pour moi de me lancer parmi les voitures sans savoir comment faire. Ma première chute, je l’ai d’ailleurs faite sur ce parking.» 

Une chute traumatisante

D’autres ont suivi rapidement, dont une à Bernex, survenue en pleine nuit, due à un manque d’expérience selon le jeune homme aux traits émaciés. «Je roulais un peu trop vite et il y avait du gravier sur la route, se remémore-t-il, avant de mimer la scène. J’ai loupé mon virage et foncé tout droit dans un arbre.» Il admet que, cette nuit-là, il s’est fait très peur «Quand tu réalises que ça va taper, tu n'espères qu'une chose: pouvoir te relever. Heureusement pour moi, j’ai fini dans une haie, même si j’ai eu un déplacement du bassin.» 

«
On vit avec ce risque, on l’accepte. Mais il faut toujours garder la peur en soi. C’est ce qui nous maintient en vie
Vincent Albert, motard et photographe
»

Sa machine complètement détruite, Vincent redevient piéton. «Il m’a fallu cinq mois pour la retaper. Et puis, je n’arrivais plus à remonter sur une moto. Mon corps tremblait de partout. J’étais traumatisé.» De quoi remiser le deux-roues définitivement au garage? «Jamais, tranche-t-il. On vit avec ce risque, on l’accepte. Mais il faut toujours garder la peur en soi. C’est ce qui nous maintient en vie.» 

Son meilleur ami d'enfance tué sur la route

Même la mort de son meilleur ami d’enfance ne lui a pas fait renoncer à piloter sa machine, bien qu’il avoue avoir été très affecté par l’événement. «Il roulait de nuit, son phare ne fonctionnait pas trop bien, un conducteur de voiture, ivre, lui a foncé dessus», raconte-t-il. Son ami n’avait même pas atteint la vingtaine. «Je suis allé à son enterrement. C’est la dernière fois que j’ai revu sa famille. C’était trop difficile. Ils ont fait leur deuil de leur côté et moi, du mien», dit-il avant de poursuivre. «J’ai aussi perdu d’autres connaissances qui évoluent dans nos cercles de motards, mais je ne me suis pas rendu aux cérémonies d’adieu. Une m’a suffi.» 

Image tirée du livre de Vincent Albert «Le bruit et l'odeur». Le photographe y illustre sa passion pour la moto. Avec les bons, comme les mauvais côtés.
Photo: Vincent Albert

Dès qu’il le peut, Vincent part rouler avec d’autres motards, après le travail ou les week-ends. «Je rencontre des gens, je me fais des amis. On va manger, on roule ensemble. On prend des virages et on est heureux. On partage cette passion, la vitesse, le plaisir de piloter. C’est difficile à expliquer, mais la plupart qui s’essaient à la moto continuent.» 

Une passion racontée en images

Cette passion dévorante, ce photographe de profession la donne à voir dans son travail de diplôme réalisé au Centre d’enseignement professionnel de Vevey (CEPV). «Dans ‘Le bruit et l’odeur’, j’ai voulu montrer l’envers du décor de la vie d’un motard. Illustrer les bons côtés – les sorties entre copains, le plaisir de piloter, le sentiment de liberté – comme les mauvais – les radars, les amendes pour excès de vitesse qui s’accumulent et les cicatrices qui marquent les corps.» 

Les amendes pour excès de vitesse que Vincent Albert a accumulées. Image tirées de son livre «Le Bruit et l'odeur».
Photo: Vincent Albert

Quels conseils donnerait-il à des jeunes qui rêvent de moto? «Prendre le temps d’apprendre, de développer les bons gestes et les bons réflexes. Ne pas rouler avec une épave et investir dans l’équipement de protection, casque, bottes, veste en cuir, dorsale. Quand je vois des jeunes en tongs sur leur scooter, ils ne réalisent pas que s’ils tombent, c’est une greffe à vie», prévient le jeune homme. 

Mais pour Lucien Combaz, il faut aller plus loin. «Une analyse de la situation est effectuée par l’Office fédéral de la route (Ofrou). Le rapport est attendu pour début 2025. De notre côté, au Bureau de prévention des accidents, nous plaidons pour une correction de cette loi qui permet aux jeunes de conduire une 125 cm³ dès leurs 16 ans. C’était une erreur sous l’angle de la sécurité routière et les statistiques nous donnent raison.»

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°51 de L'illustré, paru en kiosque le 19 décembre 2024.

Cet article a été publié initialement dans le n°51 de L'illustré, paru en kiosque le 19 décembre 2024.

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