Un emballage digne de Barbie
Appenzeller fait-il son beurre avec un nouveau fromage «sexiste»?

Appenzeller vient de sortir un nouveau produit: l'Appenzellerin. Que se cache-t-il derrière ce marketing rose bonbon? Ce fromage est-il sexiste? Sollicités par Blick, des experts en communication tranchent. Pour eux, il s'agit d'une accumulation de clichés genrés.
Publié: 27.09.2023 à 16:48 heures
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Dernière mise à jour: 27.09.2023 à 16:59 heures
Appenzeller a sorti un tout nouveau fromage plus «doux et élégant»: l'Appenzellerin. Dans son packaging rose, peut-on crier au sexisme?
Photo: Appenzeller Switzerland
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Mathilde JaccardJournaliste Blick

Ces derniers jours, dans les gares de Genève et Lausanne, une armada d’individus, tout de rose vêtu, distribuait la nouveauté de chez Appenzeller: le pâte dure Appenzellerin-Élégant. Un emballage façon Barbie, un goût soi-disant plus doux et floral… La célèbre marque de frometon l’affirme: c’est «le fromage le plus charmant de Suisse». Avec ses atouts charme, ce dernier se différencie de ses «frères Appenzeller», les plus corsés du pays. Allons droit au but: jouer avec cet imaginaire bien spécifique, est-ce du sexisme? Peut-on, dans ce cas de figure, parler de fail marketing?

Léa Budaudi, spécialiste en communication inclusive et responsable de l’agence lausannoise Minuit Une, reste modérée. «Cette publicité n’est pas dégradante en tant que telle pour la femme et n’est donc pas sexiste comme on pourrait le penser, rétorque-t-elle à Blick. Mais elle n’est pas pour autant positive.»

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Un marketing paresseux

Pour laisser le temps à notre experte d’affûter ses armes, demandons-nous d’abord ce qu’avait en tête le responsable de ce drôle d’emballage rose bonbon. Dans une interview donnée au «BauernZeitung», Rudolf Hegg, directeur général d’Appenzeller, défend bec et ongles son bébé. Selon lui, le nouveau fromage en question n’est pas uniquement pour les femmes. Il s’adresse avant tout aux «consommateurs qui aiment notre marque, mais pour qui l’Appenzeller classique est trop corsé». Le rose, couleur socialement et sociétalement comprise comme «typiquement féminine», serait donc le symbole pour définir la douceur et l’élégance?

Le boss alémanique explique que ce concept est le fruit d’une étude de marché. La couleur et le nom litigieux ont été choisis par les consommatrices et consommateurs. Il se défend de tout sexisme: «Le fait que la couleur rose puisse être comprise comme spécifique au sexe est pour nous secondaire.»

Notre spécialiste en communication inclusive n’est pas vraiment de cet avis. Selon elle, l’entreprise a fait preuve de maladresse, de paresse et d’aucun sens critique. «En 2023, on ne peut plus omettre que le rose est associé à la féminité.»

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La firme aurait par conséquent clairement manqué de jugeote: «C’est une accumulation de clichés qui renforce les stéréotypes de genre: un emballage rose, une femme en illustration, de la douceur, de la séduction, du charme et de l’élégance… C’est l’overdose.» Des caractéristiques qui, soit dit en passant, ne définissent en rien le goût du produit. Avoir choisi, sciemment ou non, une communication genrée alors que la tendance générale tend vers une neutralité est à contre-courant, assène encore Léa Budaudi.

Clichés sur clichés

La récente interdiction d’une publicité jugée sexiste par le canton de Vaud et son chef-lieu démontre que le débat sur cette thématique n’est pas secondaire. Les grandes villes telles que Zurich, Berne, Lausanne ou encore Genève s’attaquent directement aux publicités considérées comme étant problématiques. Sans compter que «la sensibilité du public aux questions d’inclusivité est devenue très élevée», appuie Romain Pittet, coprésident de la Société Romande de Relations Publiques (SRRP) et consultant en communication.

Derrière tout ce foin, la marque de fromage, attachée aux traditions et folklore suisse, n’est pas connue pour son modernisme. C’est d’ailleurs avec une image d’Épinal qu’Appenzeller fait son beurre: trois paysans âgés, assis sur un banc en costumes traditionnels. Avec un pantalon noir, un chapeau orné de fleurs et un gilet rouges paré d’Edelweiss.

Alors, bouleverser cette image toute faite avec un nouvel emballage rose est sans doute parti d’une bonne initiative, imaginent Romain Pittet et Léa Budaudi. Vouloir être davantage égalitaire et inclusif est positif. Mais encore faut-il le faire correctement, avec un narratif adéquat. «Ici, c’est raté», flingue l’experte.

Romain Pittet, qui a participé au jury du Prix de la communication inclusive, insiste sur un dernier point. Pour lui, les bonnes intentions ne suffisent plus: «Les aspects liés à l’inclusivité sont délicats à appréhender et une marque peut vite faire des erreurs qui vont se retourner contre elle. C’est pourquoi il est important de s’entourer de spécialistes.»

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