L'armée suisse a un ennemi qu'elle doit combattre sur plusieurs fronts: elle-même. L'institution militaire helvétique est en effet confrontée à des problèmes massifs dans plusieurs grands projets d'armement et d'informatique. A la fin de l'année dernière, la surveillance financière du Parlement s'était alarmée de la situation et avait adressé une lettre cinglante à la conseillère fédérale en charge du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) Viola Amherd.
Les problèmes à régler sont nombreux. A commencer par l'acquisition du nouveau système de surveillance de l'espace aérien Skyview, qui devrait déjà être en service à l'heure qu'il est. En l'état, c'est toutefois le système Florako qui est utilisé.
Or, celui-ci est obsolète. Il a atteint la fin de sa durée de vie opérationnelle et il pourrait tomber en panne à tout moment. Mais le projet de nouveau système baptisé «C2Air» est en proie à de nombreuses difficultés. En raison de notamment problèmes d'intégration de Skyview aux centres de calculs actuels, sa mise en service a été retardée de plusieurs années.
Un rapport explosif
En fait, les problèmes seraient encore plus graves que ce que l'on pensait, comme le révèle la radio alémanique SRF. L'armée aurait ainsi tenté de garder sous le tapis un rapport explosif mettant en garde contre un effondrement de la surveillance de l'espace aérien militaire. Selon ce document, un climat de peur règnerait actuellement au sein de la direction de l'armée.
Le rapport a été réalisé par le cabinet de conseil privé KPMG, qui propose au chef de l'armée Thomas Süssli des conseils en «gestion de la qualité et des risques». En vertu de la loi sur la transparence, la SRF avait déjà reçu un rapport de KPMG sur l'état d'avancement du projet de nouveau système de surveillance aérienne au quatrième trimestre. De nombreux passages avaient toutefois été caviardés.
La chaîne publique est ainsi parvenue à mettre la main sur un autre rapport décrivant l'état du projet au troisième trimestre. Et les experts de KPMG n'y vont pas par quatre chemins: «Nous considérons comme totalement irréaliste l'exigence d'intégrer Skyview sur la nouvelle plateforme de numérisation avec les moyens donnés et dans les délais prévus jusqu'en 2029.»
«Impossibilité pure et simple du projet»
Les experts se disent «conscients de l'impossibilité pure et simple de s'en remettre au projet actuel». Selon eux, les décideurs n'ont pas pris la situation au sérieux et la direction de l'armée a minimisé l'ampleur du problème.
Résultat des courses, KMPG estime que le risque que le système actuel tombe partiellement ou totalement en panne dans un délai cinq ans est «très élevé». Quant à la consigne d'exploiter Skyview sur la nouvelle plateforme de numérisation, elle devrait être tout simplement «abandonnée», assurent les experts.
L'armée défend sa démarche
Une recommandation visiblement ignorée par l'armée. «Les variantes qui ne reposaient pas sur la nouvelle plateforme de numérisation ont été jugées peu prometteuses par la direction du programme en raison des trop nombreuses incertitudes liées aux délais, aux coûts et aux risques, et ont donc été rejetées», se défend l'armée au micro de la SRF.
Pour l'armée, le rapport de KPMG est par ailleurs nul et non avenu. En l'état, seul un collaborateur du cabinet KPMG travaille en soutien au chef de l'armée. Mais comme il fallait d'abord se familiariser avec le sujet, il a été convenu avec la société «que seul le rapport du quatrième trimestre serait 'prêt' et distribué».
La SRF note toutefois que le rapport du troisième trimestre fait état de plusieurs «équipes» ayant travaillé sur divers champs thématiques. «C'est la société 'KPMG AG' qui est citée comme 'auteur' sur la page de garde du rapport», rappelle la chaîne publique.