Lorsque l'on demande aux professionnels de l'immobilier comment se mesure la valeur d'un bâtiment, la réponse est toujours la même: l'emplacement surtout, et un peu la structure du bâtiment. Les statistiques officielles disent exactement la même chose.
Faisons un petit calcul. Selon le conseiller immobilier WuestPartner, la valeur actuelle du marché des maisons individuelles, des appartements en location et en propriété, des bureaux et des surfaces de vente s'élève à environ 4200 milliards de francs. En prenant en compte les statistiques officielles du stock de capital et la croissance annuelle moyenne, on obtient le résultat suivant: sur une valeur de marché de 4200 milliards pour l'ensemble des bâtiments privés, 950 milliards sont imputables à la structure du bâtiment et 3250 milliards à son emplacement. L'emplacement donne donc bien plus de valeur à un bien immobilier que sa configuration matérielle même.
La valeur de l'emplacement dépend en fait presque exclusivement des services publics. A commencer par les réseaux électrique et routier, ainsi que le raccordement aux transports publics. Les familles avec enfants donnent de l'importance aux garderies et aux écoles. Les hôpitaux et les aéroports ne doivent pas être trop proches - attention au bruit - mais pas trop éloignés non plus.
Les parcs sont également importants. Selon les calculs de WuestPartner, un parc public bien aménagé peut à lui seul augmenter le loyer, et donc la valeur du bien immobilier, de 12%. Et bien sûr, la police doit veiller à la tranquillité, à l'ordre et à la sécurité dans le quartier choisi. Tout cela a un coût, ce qui nous amène à un autre aspect important: le taux d'imposition. Plus celui-ci est bas, plus la valeur de l'immeuble est élevée. Mais comment concilier des impôts bas et une bonne situation vis-à-vis des services publics? Le mot-clé est la concurrence fiscale. Plus il y a de riches qui habitent dans un endroit, plus un pourcentage de leur revenu suffit à financer les équipements publics.
À lire aussi
Les locataires paient deux fois
Le problème, c'est que les locataires et les nouveaux propriétaires paient deux fois ces coûts. D'abord en tant que contribuables. Dans une commune fiscalement avantageuse, cette part est relativement faible. Deuxièmement, sous la forme d'un loyer excessif ou d'un «droit d'entrée». Cette deuxième partie est d'autant plus élevée que le taux d'imposition est bas. De ce point de vue, les locataires et les nouveaux arrivants doivent de l'argent à deux entités: premièrement l'État, deuxièmement les propriétaires fonciers, c'est-à-dire les bailleurs. Ces derniers ne perçoivent pas seulement des impôts pour l'amortissement et l'entretien de leur bien immobilier, mais aussi pour la valeur de l'emplacement payée par les contribuables.
WuestPartner chiffre le rendement des immeubles locatifs à un peu plus de 3% de la valeur du marché. Par rapport aux 3,25 billions de valeur marchande de l'emplacement, cela représente environ 100 milliards de francs par an. En supposant qu'environ un cinquième des ménages vit depuis longtemps dans ses propres murs (et peut donc «s'auto-exploiter»), l'impôt foncier encaissé par les propriétaires, plus les droits d'entrée, s'élève à environ 80 milliards par an - plus que l'impôt sur le revenu encaissé par le fisc. Cet impôt foncier a tendance à être sorti des poches de ceux qui sont déjà à court de ressources pour aller dans celles de ceux qui ont tout. Il freine donc la demande et alimente les marchés des capitaux, qui poussent ainsi les prix de l'immobilier encore plus haut.
Ce cercle vicieux ne nuit pas seulement à l'économie. C'est aussi un problème politique. Il sape également la démocratie, car il transforme des citoyens politiquement engagés en optimisateurs de lieux de résidence et d'impôts (obligatoirement) mobiles. Aux États-Unis, 3 millions de logements sont vidés de leurs habitants chaque année. Les pauvres dehors, les riches bien confortablement à l'intérieur. Là-bas, les processus démocratiques ne sont manifestement plus en mesure de reconnaître ce problème et de chercher des solutions. Et nous? Pouvons-nous encore prendre le virage à temps?
(Adaptation par Lliana Doudot)