Un couple menacé d'expropriation au bord du lac de Bienne
«Pour une place de parking, on détruit notre maison»

Annemarie et Ronald Wüthrich voulaient vieillir au bord du lac de Bienne. Aujourd'hui, ils se retrouvent face au néant: l'Office fédéral des routes est autorisé à démolir leur maison.
Publié: 21.12.2023 à 10:25 heures
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Ronald Wüthrich a acheté une maison avec sa femme Annemarie au bord du lac de Bienne. Aujourd'hui, la Confédération veut les exproprier.
Photo: Philippe Rossier
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Lino Schaeren

Agé de 66 ans, Ronald Wüthrich a travaillé 37 ans comme policier cantonal. Aujourd'hui, il doute de l'État qu'il a si longtemps servi.

Il y a 14 ans, il a acheté avec sa femme Annemarie une petite maison au bord du lac de Bienne, près du hameau historique de Wingreis, dans la commune de Douanne-Tüscherz (BE). Le couple voulait passer ses vieux jours au milieu des vignes et à proximité de l'eau. Mais leur rêve a viré cauchemar.

Depuis peu, Annemarie et Ronald Wüthrich ont été mis au courant du fait que l'Office fédéral des routes (OFROU) peut, et veut, les exproprier, sur décision du Tribunal administratif fédéral. Le but est de démolir la maison familiale pour y installer, pendant une dizaine d'années, une «place de parking de véhicules de chantier». Ceci dans le cadre de la construction d'un tunnel autoroutier qui doit permettre de contourner la commune lacustre de Douanne. Ronald Wüthrich est abasourdi. «Pour créer un parking temporaire pour des machines de chantier, on détruit notre maison.»

Il y a cinq ans, les Wüthrich ont été informés pour la première fois des plans des autorités. Ce fut un choc de savoir qu'un ban d'expropriation avait déjà été posé. Le couple n'a depuis plus le droit d'investir dans sa propre maison, malgré leurs tentatives de protestation. En août, le Tribunal administratif fédéral a rendu son jugement et a rejeté leur recours dans son intégralité: l'intérêt de la collectivité est plus important que les intérêts du couple.

Leur sort émeut la commune

Pour les Wüthrich, le monde s'est effondré avec la décision des juges fédéraux. Par-dessus le marché, leur sort ne s'est joué qu'à quelques mètres près. Leur maison se trouvant à environ 60 mètres en dehors du village historique de Wingreis, et de surcroit sur l'une des seules parcelles laissant un peu de place entre le lac et la montagne dans laquelle le tunnel doit être creusé, elle ne peut donc pas être épargnée, selon les indications des maîtres d'ouvrage.

Le Tribunal administratif fédéral a vu les choses de la même manière et le jugement est désormais définitif. Les Wüthrich ont renoncé à faire appel au Tribunal fédéral, sur avis de leur avocat. Une telle démarche serait coûteuse et n'offre que peu de chances de succès.

Le sort du couple préoccupe toute la commune. Douanne-Tüscherz a également déposé un recours et exigé une réduction de l'installation de chantier. «Nous voulions absolument éviter que la famille Wüthrich soit expropriée», explique la présidente de la commune Margrit Bohnenblust. Mais le Conseil municipal n'a pas été plus écouté que les propriétaires.

En s'engageant en faveur de la population du hameau de Wingreis, les responsables de Douanne voulaient limiter les dégâts causés par le contournement. Car la question du tunnel divise la commune. L'idylle des pittoresques villages vignerons le long du lac de Bienne est trompeuse: de nombreux riverains se sentent oppressés par le bruit et les pots d'échappement de la route nationale. Au centre du village de Douanne, on attend donc avec impatience la construction du tunnel de contournement.

La population souffre du bruit du trafic

L'ambiance est tout autre dans le hameau de Wingreis, situé à environ un kilomètre de là, où le trafic sortira à nouveau de la montagne. Le couple Wüthrich n'est pas le seul à se retrouver dans le rouge. Le grand chantier de dix ans au milieu des vignobles protégés ne leur enlèvera même pas le bruit du traffic routier. «Dans le village de Douanne, ils veulent être tranquilles. Ce qui se passe à quelques centaines de mètres de là ne les intéresse pas», explique Annemarie Wüthrich. Depuis 2019, un comité de citoyens travaille à empêcher la construction du tunnel. Il exige à la place une réduction de la vitesse et une interdiction de transit pour les poids lourds. Les partisans du tunnel ont réagi en créant leur propre communauté d'intérêts.

Les autorités locales sont prises entre le marteau et l'enclume dans ce conflit. Si le Conseil communal de Douanne-Tüscherz soutient le contournement, et représente donc probablement la majorité de la population locale, la commune aurait souhaité une autre solution. Elle se serait présentée sous la forme d'un tunnel plus long, qui contournerait également le hameau de Wingreis. Mais le canton et la Confédération n'ont pas été à l'écoute.

Les opposants espèrent donc toujours empêcher la construction du tunnel, qui coûtera 227 millions de francs. Les chances sont toutefois minces, les moyens juridiques ayant été épuisés. La célèbre viticultrice Anne-Claire Schott, engagée dans le comité directeur des citoyens, a néanmoins obtenu une victoire partielle, elle qui doit perdre environ 2'000 mètres carrés de ses vignes à cause de la zone d'installation du chantier prévu. Elle aussi a donc porté l'affaire devant le tribunal administratif fédéral, où elle a obtenu gain de cause, du moins sur certains points.

Anne-Claire Schott ne peut certes pas sauver ses vignes. Mais le tribunal a ordonné à l'Astra, l'entreprise de construction qui obtiendra le contrat pour le tunnel, de prendre davantage en considération les surfaces cultivées voisines. La Confédération doit établir un concept de protection des sols qui tienne compte de la viticulture biodynamique, auquel la viticultrice doit être associée. Et pour protéger les raisins des nuisances, les constructeurs de routes ne peuvent asphalter que jusqu'à ce qu'ils commencent à mûrir. De plus, Anne-Claire Schott récupèrera le terrain après dix ans de travaux et pourra alors replanter. «Tout cela devrait aller de soi», dit la viticultrice. 

Où est l'humanité?

Pendant ce temps, Annemarie et Ronald Wüthrich ne savent pas encore ce qu'il adviendra d'eux. Récemment, ils ont été informés que les travaux de construction devraient commencer après les vendanges, à l'automne 2027. L'expropriation de leur maison n'ayant pas encore été lancée, une étincelle d'espoir demeure. «Nous ne partirons pas tant que la démolition de notre maison ne sera pas gravée dans le marbre», déclare Annemarie Wüthrich. En effet, l'Astra laisse la porte entrouverte. Selon l'entreprise de construction, il n'est pas exclu que la parcelle ne soit pas nécessaire.

Les Wüthrich souhaitent que d'ici là, les autorités communiquent enfin d'égal à égal avec eux. Jusqu'à présent, Ronald Wüthrich a reçu de nombreuses lettres officielles. Ce qui manque à sa femme et à lui, c'est un peu d'humanité. 

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