Un combat sans fin au Parlement
Interdiction de pubs pour le tabac: la volonté du peuple est-elle ignorée?

Le débat sur l'interdiction de la publicité pour le tabac semble sans fin. Lundi, le Conseil national doit à nouveau se prononcer sur son application. Une chose est sûre: en matière de prévention du tabagisme, la Suisse n'arrive guère à mettre un pied devant l'autre.
Publié: 17:50 heures
1/6
Il y a bientôt trois ans, le peuple suisse a accepté cette demande.
Photo: keystone-sda.ch
RMS_Portrait_AUTOR_817.JPG
Joschka Schaffner

Il y a bientôt trois ans, le peuple suisse a décidé par voie référendaire d’interdire toute publicité pour le tabac accessible aux enfants et adolescents. Mais au Parlement, la mise en œuvre de cette décision semble s’enliser et risque d’être vidée de sa substance.

Lundi, le dossier sera soumis pour la deuxième fois au Conseil national. Au début de l'année, la chambre basse a refusé la première proposition des conseillers aux Etats. Ces derniers ne voulaient pas d'une limitation sans exception de la publicité et du sponsoring, comme l'exigeaient les initiateurs et le conseiller fédéral en charge de la Santé de l'époque, Alain Berset.

Des exceptions contraires au mandat constitutionnel

Pour sa deuxième tentative, la Chambre haute prévoit à nouveau de nombreuses exceptions: par exemple pour le personnel de vente mobile et la publicité pour le tabac dans les lieux accessibles au public ainsi que le sponsoring de manifestations, à condition que la publicité sur place ne soit ni accessible ni visible pour les mineurs.

Pourtant, l'Office fédéral de la santé publique a constaté que le texte constitutionnel, formulé de manière stricte, ne laissait guère de marge de manœuvre. «De l'avis de l'administration, les adaptations du Conseil des Etats ne sont pas conformes à la Constitution», écrivait-il en janvier dernier dans une expertise. «Le Conseil des Etats ne tient pas compte de la volonté du peuple», a critiqué la Ligue contre le cancer à propos de cette décision.

Le camp bourgeois s'y oppose pour d'autres raisons: l'UDC a critiqué le projet de loi lors des premiers débats au Conseil national, estimant qu'il limitait trop fortement la libre économie de marché. Elle s'est associée à la gauche pour faire échouer le projet. «Nous ne voulons pas forcer l'industrie du tabac à ne plus mener sa propre stratégie de marque», a déclaré le conseiller national UDC argovien Andreas Glarner.

Le puissant lobby du tabac entrave la prévention du tabagisme

Ce blocage illustre pourquoi la Suisse reste à la traîne en matière de prévention contre le tabac, contrairement au reste de l’Europe. En effet, avec Philip Morris International, British American Tobacco et Japan Tobacco International, trois des plus grands groupes internationaux de tabac exploitent en Suisse des sites de production de cigarettes et autres produits à fumer. Et ont par conséquent une grande influence sur la politique.

La Suisse n’a toujours pas respecté les engagements pris en 2004 en signant la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Elle s'était alors engagée à rendre le tabagisme moins attrayant en prenant de nombreuses mesures, comme l'interdiction de la publicité pour le tabac. La Confédération n'a pas encore mis en œuvre ce traité, elle est l'un des quatre pays européens à ne pas l'avoir fait.

Plusieurs classements ont pointé du doigt la Confédération pour son manque d’efforts. Le «Tobacco Control Scale 2021» des ligues européennes contre le cancer la place avant-dernière sur 37 pays, juste devant la Bosnie-Herzégovine Et dans l'index international 2023 des lobbies du tabac, la Suisse arrive en 89e position sur 90, dépassée uniquement par la République dominicaine.

Une loi sur le tabac «insuffisante»

En octobre, le Conseil fédéral a tout de même mis en vigueur la nouvelle loi sur les produits du tabac. Elle interdit la vente aux mineurs dans toute la Suisse et impose des règles plus strictes sur la publicité pour le tabac dans le domaine public et privé, lorsque celle-ci est visible depuis le domaine public.

Les ligues de santé et les centres de prévention font toutefois état d'un grand besoin de rattrapage. Ils ont d'ores et déjà annoncé qu'ils s'opposeraient à la mise en œuvre d'une interdiction de publicité affaiblie par le Parlement. Si nécessaire, nous lancerons un référendum, ont déclaré les initiateurs autour de l'ancien conseiller aux Etats socialiste Hans Stöckli, président de l'association «Enfants sans tabac».

Pour l'instant, une question demeure: combien de temps la loi va-t-elle encore circuler au Parlement?

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la