Ueli Maurer sur l’initiative 99%
«La Suisse est le pays où les richesses sont le mieux réparties»

Selon le conseiller fédéral en charge des finances Ueli Maurer, un Oui à l'initiative 99% coûterait plus cher aux bas revenus qu'il ne les aiderait. Au sujet du Covid, il se dit avant tout inquiet de la fracture sociale provoquée par la question de la vaccination.
Publié: 05.09.2021 à 06:14 heures
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Dernière mise à jour: 05.09.2021 à 10:32 heures
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Ueli Maurer n'apprécie guère l'«initiative 99%» des Jeunes socialistes.
Photo: KARL-HEINZ HUG
Camilla Alabor et Simon Marti (Interview), Alexandre Cudré (adaptation)

La lutte contre la pandémie coûte des milliards. Ne faudrait-il pas saluer le fait que les Jeunes socialistes veulent augmenter les recettes fiscales avec leur «initiative 99%»?
Ueli Maurer:
Les recettes fiscales n’augmenteront pas avec cette initiative. Il est illusoire de le croire. Au contraire, nous perdrions des contribuables bien utiles.

Comment cela?
Aujourd’hui déjà, 1% de la population paie 43% de la totalité de l’impôt fédéral direct. Si vous les imposez davantage, ils n’attendront pas comme des lapins devant un serpent de payer plus. Ils iront chercher un lieu de vie plus favorable.

Les impôts ne sont pas la seule raison pour laquelle la Suisse est attrayante. La sécurité juridique ou la recherche de pointe dans les universités en font aussi partie.
C’est vrai. Mais pour ceux qui paient beaucoup d’impôts, ce montant est important. Si un quart de ces 1% qui paient 43% des impôts fédéraux déménagent, c’est 10% de cette recette fiscale qui disparaît. Et encore, c’est une estimation prudente. Au final, la classe moyenne en payera le prix. Peut-être même une partie de ceux qui ne paient aucun impôt fédéral aujourd’hui, soit 40% de la population.

Ces personnes ne paient pas l’impôt fédéral justement parce que leur salaire est très bas.
Et ce sont précisément ces faibles revenus qui bénéficient le plus de la redistribution versée par les 1%. Qu’il s’agisse d’une réduction des primes d’assurance maladie, des subventions pour l’accueil de jour, d’une rente AVS minimale. On ne peut pas distribuer de l’argent qui n’existe pas dans les coffres.

Est-il juste de dire que ce 1% de la population possède près de 40% de toutes les richesses de la Suisse?
Si l’on prend en compte les actifs des deuxième et troisième piliers, il est plus juste de dire que cette part est de 25%.

Ces 1% possèdent donc un quart de la richesse totale. La question demeure: est-ce juste?
Posons-nous plutôt la question de savoir pourquoi la Suisse est un pays riche. Pourquoi n’avons-nous presque pas de chômage et un si bon système éducatif? La raison, c’est que nous avons des personnes très riches qui investissent leur argent dans la recherche, l’éducation et l’emploi. Si vous taxez davantage ces personnes, il y a un risque que ces investissements ne se fassent plus et que la richesse de la Suisse soit perdue.

Peut-on vraiment dire que la Suisse est riche, quand on sait qu’un demi-million de personnes ont un petit salaire?
Comparez la situation avec d’autres pays! La Suisse est le pays le plus riche et le plus équilibré du monde. Donnez-moi un exemple où la richesse est mieux répartie qu’en Suisse, où l’on peut vivre avec une éducation et une qualité de vie comme ici. À part quelques principautés, quel autre pays offre autant que la Suisse?

Ne serait-il pas juste d’amortir la hausse des primes d’assurance maladie pour les familles?
Ce serait se battre contre des symptômes du problème. Nous devons veiller à ce que les coûts du système de santé diminuent. Mais quand on voit que dans certains cantons, jusqu’à 60% de la population bénéficie de réductions de primes, on se dit que c’est le système de santé qui est malade.

Les opposants au projet affirment que l’initiative causerait des problèmes aux PME. Quel est le problème ?
Un propriétaire qui souhaite vendre son entreprise devrait, pour pouvoir payer ses impôts, exiger un prix si élevé qu’il ne trouverait plus d’acheteur. Je ne dis pas que c’est ce qui se passera, mais l’initiative est formulée de manière si peu rigoureuse que c’est une conséquence possible. Cela dépendrait de la volonté du Parlement.

Les Jeunes socialistes proposent de trouver des solutions pratiques pour les PME.
C’est forcément ce qu’ils disent sous pression. Cette initiative est si peu claire qu’il est impossible de dire exactement ce qu’il peut en ressortir. Les votants ne savent pas ce qui les attend.

De fils d’agriculteur, vous avez gravi les échelons jusqu’au Conseil fédéral. Avez-vous perdu de la compréhension pour ceux qui ne s’en sortent pas aussi bien?
Non. J’ai moi-même fait l’expérience de ce que c’est de gagner peu en ayant des enfants. Et pas seulement pendant des années, mais des décennies. Je gagne un peu plus aujourd’hui en tant que conseiller fédéral et cela suffit à rembourser les dettes que nous avons dû contracter pour que nos six enfants soient bien formés. Si vous avez l’impression que tout dans la vie dépend de l’argent, peut-être devriez-vous vous réorienter un peu. Il existe d’autres valeurs.

Vous mettez en garde contre l'initiative 99%. Dans le même temps, l’OCDE prépare un impôt mondial minimum pour les entreprises. Comment cela s’articule-t-il.
Premièrement, il n’est pas sûr que cet impôt va voir le jour. Ensuite, s’il est créé, le taux minimum sera appliqué dans le monde entier. L’argument de la délocalisation fiscale ne prendrait alors plus et la Suisse perdrait un avantage.

Quelle serait la gravité des conséquences pour la Suisse?
Nous ne savons pas encore ce qui sera effectivement décidé. Bien que le taux d’imposition minimum de 15% soit sur la table, on ne sait pas sur quelles bases il sera prélevé. Environ 200 entreprises suisses et possiblement jusqu’à 4000 filiales d’entreprises étrangères seraient concernées. C’est précisément leur comportement qui déterminera les conséquences.

Le Conseil fédéral a décidé cette semaine que, pour l’instant, le certificat Covid n’est pas nécessaire pour aller au restaurant. Est-ce une décision en votre faveur?
Cette application est difficile à mettre en œuvre. Cela fonctionne pour les évènements de masse. Les positions se sont déjà renforcées sur cette question. Nous avons non seulement un problème sanitaire et économique, mais maintenant aussi un problème social. C’est ce qui m’inquiète le plus. De nombreuses personnes me demandent si l’État a le droit de forcer à la vaccination. Il y a là un potentiel explosif. L’État se trouve dans une situation difficile. Si elle prend de telles mesures, elle doit pouvoir les mettre en œuvre.

Des pays comme l’Autriche ou l’Italie mettent en œuvre l’obligation du certificat, apparemment sans problème.
Ne vous méprenez pas sur ma réponse, nous pourrions faire de même ici. La question est autre et plutôt simple: quels dommages sociaux et politiques allons-nous causer? Je côtoie aussi des gens qui ne veulent pas être vaccinés. Je viens de la campagne, où les gens sont très critiques. Il ne s’agit pas seulement de fous et de théoriciens du complot, mais des Suisses droits dans leurs bottes qui estiment que l’État va trop loin. Il s’agit d’une question discrétionnaire. Au final, rien n'est possible sans la responsabilité individuelle.

Vous mettez en garde contre une fracture sociale. En même temps, vous avez récemment parlé qu’une société à deux classes est imminente. Vous et votre parti envoyez des signaux qui conduisent à un durcissement des fronts…
Il est légitime de discuter de ces questions. L’autre jour, j’étais assis à une table et des gens parlaient de vaccination. Quelqu’un a dit qu’il était vacciné, mais qu’il avait peur de l’avouer en face de ses amis.

Il ne faudrait pas!
Bien sûr que c’est mal. Mais cela montre la situation dans laquelle nous nous trouvons. Les gens ne se font plus confiance. Ce n’est pas bon pour la société et l’État doit faire attention. Je me sens obligé d’introduire dans la discussion la notion de scepticisme, qui prévaut au sein de l’UDC, mais aussi dans d’autres parties de la population. J’ai également rencontré beaucoup de jeunes femmes qui ne veulent pas se faire vacciner. Cette division traverse toute la population.

Ceux qui ne se font pas vacciner acceptent d’infecter d’autres personnes voire d’occuper une place aux soins intensifs dont une autre personne aurait eu besoin.
L’État n’a pas pour mission de protéger tout le monde contre la mort et les maladies. Il ne faut pas créer de dépendance trop forte vis-à-vis de lui.

Nous pourrions mettre fin à la pandémie si nous nous faisions tous vacciner. Cette dépendance serait aussi terminée.
Les évènements actuels montrent que cet objectif ne peut pas être atteint en laissant aux gens la liberté de décider par eux-mêmes. Certaines personnes ont leurs propres idées et tracent leur propre chemin. Dans une société libre, les gens ont le droit de se réaliser de la manière qu’ils veulent. Cela signifie aussi qu’il faut faire preuve de retenue. Si vous n’êtes pas vacciné, il s’agit de ne pas provoquer les autres et d’éviter de vous rendre à de grands évènements. Mais en tant que conseiller fédéral, puis-je décider à votre place si vous devez être vacciné ou non? Si vous mourez, vous mourez. Si vous restez en bonne santé, vous restez en bonne santé. Et si vous infectez quelqu’un, c’est votre responsabilité. Plus on vieillit, plus on regarde la mort avec philosophie.

Ressentez-vous la même chose?
Bien sûr. À 70 ans, je demande si je serai encore en vie dans dix ans. Et comment je vais me réaliser dans la vieillesse.

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