Ce projet devait être celui de leur vie. Mais la construction de leur maison s'est transformée en cauchemar. Heinz et Sabine R.* en ont enduré plus d'une ces dernières années. Le couple souhaite rester discret, mais il tient à raconter son histoire à Blick, «pour éviter que d'autres ne subissent le même sort».
Remontons quelques années en arrière. Tout a commencé en 2018, lorsque Heinz et Sabine ont contracté un crédit de construction auprès d'une banque hypothécaire en Argovie pour la construction de leur maison. Pour que ce projet voie le jour, ils ont fait appel à un architecte pour dessiner leur cocon et l'appartement indépendant destiné à leur fille. Le devis pour la nouvelle maison et le terrain s'élevait alors à 1,997 million de francs.
Un recours retarde la construction
Pour le crédit de construction, le couple conclut un contrat dit «fiduciaire» avec la banque hypothécaire de Lenzbourg – une étape quasi routinière dans un projet immobilier. Un compte fiduciaire est alors ouvert, permettant à la banque de déclencher des paiements aux artisans et fournisseurs qui participent à la construction du bien.
Ledit contrat est signé par la banque, le couple – en tant que maître d'ouvrage – et l'architecte en charge de la construction – en tant qu'administrateur. «Nous regretterons pour le reste de notre vie ce jour où nous avons signé ce contrat», déclare aujourd'hui le couple. «C'était le début d'un enfer sans précédent!»
Pourtant, à l'époque, les deux parents ne se doutent de rien. Et dans un premier temps, tout semble aller pour le mieux. En 2018, la première ébauche du nouveau bâtiment est toutefois rejetée par la commune du canton de Zurich. Une opposition supplémentaire retarde encore la construction.
«Début 2020, la construction a enfin commencé», raconte le couple. Mais: «Il n'a pas fallu longtemps pour que nous ayons des réclamations d'entrepreneurs dont les factures n'avaient apparemment pas été réglées.» Les futurs propriétaires se renseignent auprès de la banque et de l'architecte. «On nous donnait toujours des excuses pour expliquer pourquoi les factures n'étaient pas encore payées, raconte le père de famille. On était naïfs et on y a cru.»
Augmentation de l'hypothèque ou faillite
Arrive ensuite le prochain coup de massue. En septembre 2020, le couple doit augmenter son hypothèque de 500'000 francs pour pouvoir régler les factures en suspens. «La banque a dit que sinon, nous ferions faillite. Mais ils ne nous ont jamais présenté de documents», raconte le père de famille. Le couple signe à contre-cœur l'augmentation de l'hypothèque. Mais leurs doutes persistent et leur confiance en la banque et en l'architecte diminue. Ils demandent alors à voir tous les justificatifs bancaires et les factures – qu'ils n'obtiendront pas.
Deux semaines plus tard, un artisan interpelle Heinz: «Il m'a dit qu'il n'avait toujours pas reçu l'argent de ses prestations.» Les époux commencent à paniquer. Où sont les 500'000 francs supplémentaires s'ils n'ont pas été utilisés pour payer les factures déjà accumulées?
Des prélèvements suspects de l'architecte
Une fois de plus, le couple exige tous les décomptes et documents à sa banque. Après avoir insisté maintes fois, ils obtiennent les relevés de compte. Les époux n'en croient pas leurs yeux: «L'architecte s'était servi à plusieurs reprises sur notre compte, et ce bien au-delà des honoraires de 170'000 francs convenus à l'époque», explique le lésé. Fin 2018 – alors qu'il n'y avait même pas encore de permis de construire – il avait déjà prélevé 210'000 francs sur le compte. En 2019, 225'000 francs ont encore été retirés, avant même le début des travaux. Blick a pu vérifier ces informations en consultant les relevés de compte. «Nous n'avons jamais vu de facture ni de mandat de paiement pour ces sommes d'argent, et encore moins signé quoi que ce soit», assure le couple.
L'architecte se serait procuré 48'465 francs supplémentaires en 2020, avec des factures établies au nom d'une de ses entreprises. «Mais nous n'avions pas de contrat avec ces entreprises», rappelle Heinz. Ces sociétés ne figurent pas non plus sur la liste des prestataires. Mais à ce stade, l'architecte bénéficie de la présomption d'innocence.
Où est donc passé l'argent?
Le couple commence à téléphoner à tous les entrepreneurs pour se faire une idée des dégâts. Il s'avère que des centaines de milliers de francs sont encore à payer. Les époux cherchent à discuter avec la banque et rappellent qu'ils n'ont jamais approuvé de tels paiements à l'architecte.
Confrontée, la banque hypothécaire de Lenzbourg rejette ces accusations. «Pour nous, tout s'est déroulé correctement du côté de la banque et tous les mécanismes de contrôle ont été respectés», déclare un porte-parole à Blick. Comme il s'agit d'un cas juridique non clos, il n'est pas possible de se prononcer en détail.
L'architecte est acquitté
Entre-temps, l'architecte affirme avoir présenté tous les justificatifs aux maîtres d'ouvrage. Les signatures du couple le prouveraient. Ce dernier nie et jure que sa signature a été falsifiée. Jusqu'à aujourd'hui, Heinz et Sabine affirment qu'il leur manque un décompte des prestations fournies par l'architecte.
Les lésés ont engagé une procédure pénale pour abus de confiance et faux dans les titres. Mais l'architecte est finalement acquitté. La raison? La banque aurait scanné tous les justificatifs et éliminé les originaux, pense Heinz. «Les copies ne permettent pas de prouver sans aucun doute qu'il s'agit d'un faux», peut-on lire dans le jugement du tribunal de district, dont Blick a obtenu une copie. L'architecte lui-même se défend d'être coupable. «Dans la procédure pénale, les accusations se sont révélées totalement infondées», explique l'avocat du prestataire.
Le couple veut mettre en garde
Finalement, les époux ont dû augmenter une nouvelle fois leur hypothèque. Leur crédit de construction est passé à 2,81 millions de francs. A cela s'ajoutent les frais d'avocat et de justice. Une somme colossale: «Cette odyssée de plusieurs années nous a fait souffrir non seulement financièrement, mais aussi physiquement et psychiquement», déclare Heinz. Il reproche à la banque de leur avoir refusé trop longtemps – voire complètement – l'accès aux justificatifs.
Le couple veut désormais porter l'affaire devant le tribunal civil. Ils ont engagé une autre poursuite contre l'architecte. Et aujourd'hui, ils ne souhaitent qu'une chose: vendre leur maison, désormais achevée. Elle leur rappelle trop de mauvais souvenirs.
*Nom modifié