Par téléphone, Rami Gnaegi, 19 ans, s’exprime avec une éloquence impressionnante, lorsqu’il décrit le tunnel obscur dont il s’extirpe peu à peu. Après avoir souffert de troubles dépressifs et de pensées suicidaires durant de nombreuses années, le jeune homme libano-suisse émerge d’un enfer personnel qui l’a happé dès le crépuscule de l’enfance et dont il se remet aujourd’hui. Alors que 18% de la population suisse a présenté des symptômes de détresse psychologique en 2022, d’après l’OFS, Rami a souhaité nous partager son parcours, afin de donner de l’espoir à toutes les personnes qui s’y reconnaîtront.
«Mes premiers symptômes dépressifs sont apparus quand j’avais treize ou quatorze ans, nous raconte le jeune homme via Zoom. Ils se sont développés tout au long de mon adolescence, jusqu’à atteindre leur apogée en 2022. Je me faisais du mal presque tous les soirs, j’avais des pensées suicidaires. J’étais jeune et je n’ai pas réagi assez vite quand ça a commencé. Je n’avais plus de motivation, plus d’émotions, mon sens de l’humour s’était dissipé, j’essayais de m’améliorer, mais je n’y arrivais pas, ce qui créait une spirale destructrice… Je me sentais complètement seul, coincé dans un trou sur lequel il ne cessait de pleuvoir. Tout le monde me criait de grimper l’échelle pour remonter, mais je ne la voyais pas. J’étais dans le noir, aveuglé, incapable de voir la moindre porte de sortie. »
À cette époque, en plein Covid, Rami souffre énormément de l’isolement exigé par les mesures sanitaires: «J’étais seul avec mes pensées, bloqué dans ma propre tête, à ruminer. Je pense que ma dépression a commencé avant la pandémie, mais celle-ci n’a fait que l’aggraver. Le fait de perdre ma vie sociale, comme tant d’autres jeunes, m’a beaucoup affecté.» Dans son rapport publié en 2022 , l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) estimait effectivement que la détresse psychologique chez les enfants et les adolescents avait doublé depuis 2017, notamment en raison de la pandémie.
Le voyage salvateur
Espérant qu’une évasion puisse soulager son patient, la psychothérapeute du jeune homme lui propose alors d’interrompre ses études pour réaliser un voyage de deux mois. «J’ai quitté l’école pour faire le tour de l’Espagne avec mon père, raconte-t-il. Ce n’était pas facile, je prenais toujours des médicaments, mais c’est ainsi qu’a démarré le chemin vers la rémission.»
L’annonce de son départ n’a pas manqué de semer une immense confusion parmi les camarades de Rami, alors âgé de 16 ans: «Déjà avant la pandémie, j’étais devenu très doué pour cacher mon mal-être, je riais, je souriais, je voyais mes amis et faisais en sorte que personne ne le remarque. Quand ils ont appris que je partais, la moitié de mes connaissances m’ont écrit pour m’annoncer qu’elles n’avaient pas réalisé ce qui m’arrivait. C’est tellement important de prendre régulièrement des nouvelles des personnes qui vous entourent, même si elles ont l’air d’aller bien!»
Si vous vous inquiétez pour vous ou un-e de vos proches, contactez de manière confidentielle 24h/7j
147: La ligne d’aide pour les jeunes (147.ch)
143: La main tendue, ligne d’aide adultes (143.ch)
144: Les urgences médicales
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144: Les urgences médicales
«J’ai commencé à la voir, cette échelle!»
Depuis le cœur de l’Espagne, libéré de son quotidien, Rami commence à prendre soin de lui, se met au sport et vise une alimentation équilibrée pour retrouver des forces: «Jour après jour, j’ai remarqué que ma première pensée, en me réveillant, ne tournait plus autour de l’envie que tout s’arrête. Certains jours, j'y repense, bien sûr, mais il y en a d’autres ou ces pensées n’émergent pas du tout. J’ai commencé à retrouver plus de couleurs dans ma vie, à ressentir à nouveau des émotions… C’était un processus lent, douloureux et jamais linéaire, mais j’ai progressivement commencé à la voir, cette échelle!»
«Si je peux aider une personne, mon rêve se réalisera»
Le besoin de voyager ne l’a pas quitté: sac sur le dos, Rami a pris le chemin de l’Asie, où il a rencontré de nombreuses personnes aux prises avec les mêmes difficultés. «La santé mentale n’est pas prise au sérieux dans certaines régions du monde, déplore-t-il. C’est tellement dommage, sachant qu’une des choses qui m’ont le plus aidé, c’est de sentir que je n’étais pas seul.»
Pour ancrer cette expérience dans sa peau, Rami décide de se faire tatouer un point-virgule ( semi-colon ), un symbole de solidarité envers les personnes qui souffrent de troubles mentaux comme la dépression. «Quand un auteur utilise le point-virgule dans un texte, il aurait très bien pu achever sa phrase à cet endroit-là, explique le jeune homme. Mais en l’occurrence, avec ce symbole, il ne le fait pas. Il continue sa phrase, tout comme j’ai continué à vivre.» Dès que Rami aperçoit le même signe sur un t-shirt, un tattoo ou sur Internet, il se sent immédiatement soutenu: «J’ai toujours eu du mal à me lier aux autres et le point-virgule me permet de me sentir connecté à eux sans avoir recours à des mots.»
Encouragé par son envie d’aider autrui, le jeune homme se lance dans la création d’une plateforme nommée «Seek the horizon». Compilant des numéros d’urgence, des recettes et des idées d’exercices sportifs destinés à des personnes touchées par des symptômes dépressifs, elle possède aussi un forum permettant aux utilisateurs de s’envoyer du soutien. «Je ne suis pas psychologue, donc j’ai surtout voulu créer une communauté, reconnait le jeune homme. Je recommande à tout le monde d’aller voir un professionnel, cela peut vraiment tout changer. Mais si, grâce à cette plateforme, je peux aider une seule personne, alors j’aurai réalisé mon rêve.»
Malgré les séquelles de ce qu’il a traversé, Rami a choisi de regarder devant lui: «Je porterai le fardeau de cette expérience toute ma vie, mais j’aimerais vous dire qu’on peut en sortir. Même quand l’obscurité semble absolue, on peut retrouver la lumière.»
L’avis de «Stop Suicide»
«Le point-virgule est un symbole très utilisé et parlant pour beaucoup de personnes, c'est notamment le symbole de Papageno France, un programme de prévention du suicide, confirme Alyzée Haahtio, responsable recherche de fonds et médias chez l’organisation Stop Suicide. Le site internet évoqué est également une bonne initiative, une source de lien, de communauté et de reconnaissance de la souffrance. Ces initiatives sont précieuses et viennent compléter d'autres formes d'accompagnement, comme l’expertise professionnelle ou les organismes associatifs, en permettant à chaque personne de se sentir entendue et comprise dans son cheminement. Ensemble, elles forment un réseau de soutien qui peut faire la différence.»