Drame en Tanzanie
Cette Vaudoise a survécu miraculeusement à un effroyable accident

Joële Zeller, 51 ans, fait partie des 8 survivants du tragique accident de bus survenu en Tanzanie, le 24 février. La Vaudoise originaire de Mathod nous a accueillis dans son domicile pour retracer l’immense chemin parcouru depuis le drame.
Publié: 10.05.2024 à 00:00 heures
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Dernière mise à jour: 10.05.2024 à 09:47 heures
Le 24 février 2024, un camion lourdement chargé a percuté plusieurs véhicule, dont le bus scolaire de Joële Zeller et son groupe. Vingt-cinq personnes ont perdu la vie dans le drame.
Photo: DR/Portrait:Darrin Vanselow
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

«Regarde-moi, Maman… Ouf, tu n’as pas perdu tes étoiles dans les yeux!» C’est sur ces paroles que Maé, l’une des filles de Joële Zeller, a compris qu’elle avait retrouvé sa mère. Avec douze côtes brisées, deux fissures au bassin, un hémothorax, un pneumothorax et un hématome cérébral... mais bien en vie, tirée d’affaires et de retour en Suisse, quelques jours après l’accident qui a manqué de l’arracher à sa famille.

C’est dans cette chambre d’hôpital, entre les murs du CHUV de Lausanne, que Joële a retrouvé ses proches et repris ses esprits, après le coma, l’intubation, le rapatriement, les émotions en vrac, le choc, les premiers pas titubants du lit jusqu’au fauteuil… C’est là que ses cinq enfants et son mari l’ont vue se réveiller, qu’elle a été rafistolée par quatre chirurgiens et que les effets de la morphine se sont finalement estompés, la rendant à elle-même. C’est là que Maé lui a lavé les cheveux avec tendresse, en extirpant des morceaux de terre africaine, vestiges tangibles d’un drame indescriptible.

Trois mois se sont écoulés depuis. La vie a insolemment repris son cours, laissant l’inoubliable chaos dans son sillage. Aujourd’hui, Joële a quitté l’hôpital, marche 2 à 5 kilomètres par jour, reprend le volant et est sevrée de morphine, malgré la douleur constante qui accable son flanc gauche et l’oblige, pour l’instant, à maintenir un rythme plus lent. Il lui faudra encore du temps pour que les muscles et les nerfs recousus durant l’opération se ressoudent, mais elle guérira: la Vaudoise de 51 ans est une miraculée, ainsi que ne cesse de le lui rappeler son physiothérapeute.

En raison d'un problème de freins, le camion a percuté le bus scolaire de Joële et son groupe, ainsi que plusieurs voitures et un van, causant 25 morts au total.
Photo: DR

«C’est notre bus, là-dessous!»

Car en ce 24 février 2024, sur les routes poussiéreuses d’Arusha, en Tanzanie, Joële Zeller s’est assise tout au fond du bus. Sans arrière-pensée, juste parce qu’il fallait bien s’asseoir quelque part pour regagner l’hébergement, après une magnifique journée passée avec ses 35 camarades de Master. Le groupe d’étudiants internationaux, issu d’une organisation chrétienne nommée «Jeunesse en Mission», profitait d’un voyage universitaire de quinze jours avant de replonger dans les bouquins: «Nous rentrions d’une visite dans un village Maasai, précise Joële. On a pu discuter avec ces personnes, manger à leurs côtés… c’était superbe! Puis, au moment de rentrer, on s’est tous assis dans les deux cars qui allaient nous ramener au logement. Mon mari était dans l’un des véhicules, moi dans l’autre. Je me rappelle avoir envoyé un message à ma fille aînée, depuis mon siège. C’est mon dernier souvenir avant d’ouvrir les yeux aux soins intensifs, à Lausanne, une semaine plus tard.»

Entre ces deux instants, le destin s’est déchaîné. Alors que le premier bus filait en tête, un camion lourdement chargé a percuté le second, suite à un problème de freins. Le car a été complètement éventré, à l’exception de l’arrière, tandis que plusieurs autres voitures étaient également entraînées dans le tumulte. «Mon mari a eu l’impression qu’une grue s’était écrasée sur la route, poursuit Joële. Il est descendu avec les autres, dans l’idée d’apporter de l’aide aux accidentés. Puis, le coresponsable du Master a compris. Il s’est exclamé ‘C’est notre bus, là-dessous’.»

Ces terribles mots resteront probablement ancrés dans les souvenirs de Guy Zeller. «Mon mari a été un peu épargné de l’horreur de la scène, car il a uniquement pensé à me retrouver, à s’assurer que j’étais en vie. Il m’a retrouvée allongée au sol, répétant que j’avais mal.»

«Je l’ai revécu comme si c’était réel»

D’après ce qu’on lui a rapporté, des témoins ont extirpé Joële des décombres, tandis qu’elle gémissait de douleur, les cheveux maculés de sang. Elle a été transportée sur un pagne jusqu’à une voiture privée, alertée en catastrophe, dont les conducteurs l’ont menée aux urgences: «C’est comme cela en Tanzanie, tout le monde apporte de l’aide. Une foule incroyable s’est rassemblée sur le lieu de l’accident, les gens prenaient des portes de maison pour en faire des brancards, arrêtaient les voitures qui passaient pour leur confier des blessés... Les responsables du groupe ont mis des heures à nous retrouver, car nous avions été envoyés dans plusieurs hôpitaux différents.»

Vingt-cinq personnes, dont 10 membres du Master, ont perdu la vie dans le drame et les huit rescapés du bus scolaire ont été gravement blessés. Pendant trois jours, Joële a vacillé entre la vie et la mort. «J’ai été transportée d’Arusha à Dar es Salaam, puis la Rega m’a ramenée en Suisse. Je suis arrivée le vendredi, je me suis réveillée le samedi et j’ai été opérée le lundi. J’avais mal partout, j’étais dans les choux. Je me souviens surtout des émotions intenses, du soulagement de revoir ma famille.»

Toujours incapable de reconstituer les événements, Joële a finalement accepté qu’on lui raconte l’accident, le lendemain de l’opération: «Je suis quelqu’un de très émotif, mais là, je n’ai eu aucune réaction, s’étonne-t-elle. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a glissé dessus, je n’arrivais pas à encaisser. Cette nuit-là, j’ai revécu l’accident en rêve, comme si c’était réel. J’ai vu ma chambre soudainement envahie d’Africains affolés, qui hurlaient, essayaient de me tirer par les bras. J’ai mis quelques instants à me rappeler que j’étais de retour en Suisse.»

Dès son réveil au CHUV, Maé, l'une des filles de Joële Zeller, lui a lavé les cheveux pour la première fois depuis l'accident.
Photo: DR

«Je ne saurai jamais pourquoi»

Comment se relève-t-on, après un tel chagrin? Joële souligne avant tout l’immense soutien qu’elle a reçu: «L’une de mes filles a créé un groupe WhatsApp dans lequel elle proposait de donner de mes nouvelles à nos proches. Plus de 1250 personnes se sont inscrites, elles ont atteint la limite autorisée par l’application. Nous sommes bien connus dans notre mouvement et actifs depuis 26 ans pour apporter de l’aide aux jeunes et aux familles sur plusieurs continents. Des milliers de personnes ont prié pour nous. À aucun moment, je ne me suis sentie seule.»

Face au deuil, à la douleur, au bouleversement, en veut-elle à Dieu, de ne pas l’avoir protégée de ce drame? «Je n’ai ressenti aucune colère. Quand j’ai repris connaissance, il m’est immédiatement venu en tête que Dieu est bon, qu’il n’a pas orchestré l’accident même s’il l’a permis. Et qu’il m’aidera à transformer la douleur en un apprentissage. J’aurais pu me recroqueviller sur moi-même, j’aurais pu adopter une posture de victime. Mais j’ai choisi d’apprendre de cette épreuve, même si je ne la souhaite à personne. J’ai choisi de me battre pour la vie.»

Juste après l'opération, au sein du CHUV, le physiothérapeute a encouragé Joële à marcher: «Debout, Madame Zeller!», l'encourageait-il.
Photo: DR

Avec courage et résilience, Joële accepte que le «pourquoi» ne trouvera sans doute jamais de réponse: «Cette question va me prendre trop d’énergie si je la laisse me consumer, soupire-t-elle. Par contre, il y a un autre ‘pourquoi’ que je trouve bien plus difficile à gérer: l’un de nos amis avait failli renoncer à venir en Tanzanie, pour des raisons financières. Nous lui avons alors proposé de l’aider. Il est arrivé la veille de l’accident. Et il est décédé. C’est impossible de ne pas se dire que sa mort est survenue par notre faute. Mais je me suis interdit d’entrer sur ce terrain, de ne pas penser à cela, car sinon je ne m’en sortirais pas. On ne saura jamais pourquoi c’est arrivé et il faut l’accepter.»

Alors que le printemps éclot et qu’elle reprend des forces, Joële s’impatiente de retrouver son énergie et de pouvoir courir, comme avant. À son doigt brille une nouvelle bague, achetée pour marquer ce terrible chapitre: «Elle représente mon alliance avec la vie. On y voit plein de cœurs, qui symbolisent les personnes que j’ai perdues, mais qui restent avec moi, ainsi que les personnes que je vais encore pouvoir aimer. C’est une bague colorée et un peu extravagante, elle me ressemble.» Le temps qui lui a été rendu, Joële refuse d’en perdre la moindre seconde. Hors de question d’avoir peur! Elle se réjouit follement de vivre, encore plus fort qu’avant. Bientôt, elle retournera en Afrique. Et lorsqu’elle parle de ses projets, les étoiles dans ses yeux sont encore plus visibles.

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