L’homme, «la trentaine», en pantalon de training gris, lit un livre dans un train suisse. En chaussettes. Jusque-là, rien de bien perturbant, répondront les pendulaires à l’odorat le moins développé. Le vrai problème est ailleurs: l’usager tient dans sa main droite, à travers son pantalon, son pénis, visiblement en érection. Il se masturbe même, assez furtivement, comme le montre une vidéo, diffusée dans une story sur Instagram. Son visage n’apparaît nulle part.
À l’origine de la publication: Camille Spühler, qui a l’habitude de voyager entre Lausanne et Fribourg. La scène s’est déroulée mercredi 12 avril, entre 22h44 et 23h33.
«Au début, il avait juste sa main discrètement posée sur son entrejambe, raconte la victime à Blick. Genre, il était dans son salon et se grattait les couilles, même s’il n’avait pas l’air très concentré sur son bouquin. Il a remarqué une première fois que ça me dérangeait et a arrêté. Avant de recommencer. Et là, ça n’était plus discret du tout: il se masturbait vraiment devant moi. Je n’y croyais pas!» Stupeur.
«Je ne porterai pas plainte»
Il lui faut un certain temps pour réaliser ce qui est en train de se passer. «Ce n’est qu’au bout de vingt minutes que j’ai décidé de lui dire quelque chose. Je craignais sa réaction, j’avais peur qu’il me suive en descendant à Fribourg. Finalement, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai dit: 'Eh, ça va, là?!?'»
La suite? «Il n’a pas réagi tout de suite. J’ai dû insister. Puis, il m’a répondu: 'Quoi? Pardon, est-ce que je fais trop de bruit en lisant mon livre?' Je ne l’ai pas vu descendre à Fribourg.»
À 29 ans, Camille Spühler ne portera ni traumatisme ni plainte. «Ça ne servirait pas à grand-chose, je ne sais pas qui est ce type. De toute façon, amener ces affaires devant la justice ne fait pas réellement changer ces comportements, qui font partie de la culture du viol et des violences sexistes et sexuelles. Ceci dit, je ne veux décourager personne d’aller à la police.»
Pas vraiment de l’exhibitionnisme
Ces actes ne sont poursuivis que sur plainte. Ils ne relèvent en outre pas forcément de l’exhibitionnisme, passible d’une peine pécuniaire. «Pour que l’exhibitionnisme soit retenu, il faut que l’individu montre sciemment ses organes génitaux dans le but d’être vu par une personne qui ne l’a pas souhaité, afin de ressentir du plaisir sexuel, note Anne-Claire Boudry, avocate lausannoise spécialisée dans l’aide et les conseils aux victimes d’infraction. Le cas présent pourrait, à mon avis, être analysé sous l’angle de l’article de loi qui réprime les désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel, punis d’une amende, puisque l’auteur ne dévoile pas son pénis.»
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Reste qu’un tel geste peut affecter la cible. «C’est une exposition non sollicitée, qui est inconvenante et choquante, appuie la femme de loi. Selon sa personnalité, la victime peut en ressortir perturbée psychologiquement.»
Peu de cas signalés en Suisse romande
Le nombre de plaintes déposées chaque année auprès des polices romandes, toutes contactées vendredi par Blick, est relativement faible. Entre 2018 et 2022, les forces de l’ordre neuchâteloises ont recensé huit cas de masturbation, «que ce soit par-dessus le pantalon ou à découvert», dans les transports publics du canton. À Fribourg, c’est un par an entre 2020 et 2022. Même statistique en terres jurassiennes pour 2022 et 2023.
La police cantonale vaudoise recense 12 infractions qualifiées d’exhibitionnisme ou considérées comme des désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel dans un wagon, dans un bus ou dans une gare en 2022, contre 17 en 2021. Les forces de l’ordre genevoises ont été saisies six fois en 2022, contre neuf en 2021 et 17 en 2020.
La majorité des scandales répertoriés ont eu lieu dans des trams, entre 15h et minuit. Le lundi est le jour de la semaine le moins touché. Tous les prédateurs sont des hommes, toutes les proies sont des femmes, adolescentes ou adultes. Les autorités valaisannes, elles, ne tiennent pas de «statistiques précises s’agissant de ces événements».
Ces chiffres correspondent-ils à la réalité? «Nous sommes conscients que nombre de ces infractions ne sont pas rapportées à la police et qu’en réalité ces chiffres doivent être plus importants», précise par exemple Christian Jeanmonod, inspecteur principal à la police neuchâteloise. Autre écueil, au vu du faible nombre d’infractions dénoncées: il est difficile d’établir si le phénomène est en augmentation ou en diminution.
Conseil des CFF: appeler la police des transports
Qu’en disent les CFF? L’ex-régie fédérale «ne communique pas de chiffres concernant les différents délits». Mais il arrive que son service juridique dépose une plainte pénale, précise Sabrina Schellenberg, porte-parole.
La compagnie conseille toutefois «à toute personne qui observe un tel comportement […] d’immédiatement informer la centrale d’intervention de la police des transports au 0800 117 117, écrit-elle. Ces derniers peuvent, s’ils en ont la possibilité, envoyer des policiers ou des agents de sécurité sur place pour interpeller le contrevenant.»
La police des transports peut aussi demander l’aide de la police locale. D’autre part, en cas de signalement, les CFF peuvent ainsi saisir préventivement «un éventuel matériel vidéo, qui peut être remis à l’autorité de poursuite pénale compétente en cas de dépôt de plainte».