L’éditeur zurichois Tamedia, renommé TX Group en 2020, a beaucoup fait parler de lui depuis ce 27 août avec l’annonce de 290 suppressions de postes. Depuis l'achat d'Edipresse en 2011, TX Group aura annoncé quasi chaque année des restructurations ou plans d’économies. Mais ce que l’on sait moins, c’est que malgré ces coupes systématiques, les chiffres de l’éditeur de «24Heures», de «La Tribune de Genève», de «20 Minutes» et du «Tages Anzeiger» n’ont fait que stagner au fil des ans.
Les restructurations n’ont pas profité aux investisseurs
Mauvaise nouvelle pour les actionnaires, les restructurations successives ne se sont pas traduites par une hausse de l’action TX Group à la bourse suisse: la dernière en date a même été suivie d’une chute de 10% de l’action en deux séances.
L’action TX Group est passée de 160 à 143 francs entre le 27 et le 29 août
Même constat sur le long terme: depuis son entrée en bourse le 2 octobre 2000, soit sur 24 ans, la trajectoire de l’action n’a pas connu d’appréciation, stagnant dans une fourchette entre 100 et 200 francs.
Cours de TX Group depuis son entrée en bourse le 2 octobre 2000
Là où les 24 années écoulées ont vu des entreprises suisses comme Logitech ou Sonova quintupler leur valeur en bourse, l’action de TX Group a quant à elle perdu 45% entre sa première clôture (261 frs) et son prix au 30 août (143 frs). La valeur boursière de l'entreprise a chuté de 2,6 milliards à l’époque à 1,5 milliard aujourd'hui, ce qui n’est pas pour arranger les actionnaires majoritaires, la famille Conninx, qui possède 73,44% du capital, et dont fait partie Pietro Supino, le président du Conseil d’administration.
Le chiffre d’affaires fait du surplace
Tout comme le cours de l’action, le chiffre d'affaires de l’éditeur n'a pas connu d’avancée significative depuis 10 ans: il oscille, année après année, autour des 1 milliard de francs, et il est même passé sous cette barre depuis 2020. Comment l’expliquer? Par le déclin structurel des médias, abondamment relaté dans la presse.
Or simultanément, TX Group a massivement investi dans les plateformes de petites annonces, comme Homegate.ch, ricardo.ch et jobs.ch. Cette stratégie devait propulser la croissance. TX Group a voulu opérer un véritable pivot et se rebrander pour devenir un groupe technologique. D’où le nouveau nom «TX» pour Technology Exchange adopté en 2019. Mais ces plateformes n’ont pas provoqué l’envolée espérée.
Médias payants: 44% des revenus
A ce jour, les médias payants de TX Group rapportent la plus grosse part du chiffre d’affaires, soit 450 millions de francs en 2023. C’est 30% de moins qu’il y a 7 ans, mais cette division reste la plus importante du groupe, même si elle est déficitaire. Avec «20 Minutes» (qui est rentable et séparé des titres payants), l’activité des médias dans son ensemble pèse même 55% des revenus.
TX Group reste donc un groupe de médias. Cela peut surprendre quand on sait que ce segment a été le parent pauvre du groupe. Comme évoqué plus haut, ce sont les sites de petites annonces qui ont été les fers de lance de la croissance. En 20 ans, le groupe a acquis, en tout ou en partie, des sites comme Homegate.ch en 2004, Search.ch en 2009, Doodle en 2011, Immostreet et Jobs.ch en 2012, Ricardo.ch, tutti.ch et Car4you.ch en 2015.
Les petites annonces restent… petites
Ces sites ont nécessité des investissements informatiques massifs pour se maintenir à jour et être performants pour les utilisateurs et les annonceurs. Leur croissance a été bonne, mais n’a pas été fulgurante, si on la compare aux réussites phénoménales qu’a réservé aux investisseurs le secteur tech américain par exemple, ces deux dernières décennies. En cause, la taille du marché suisse. Ces plateformes numériques ont rapidement atteint leur plein potentiel.
Fin 2021, TX Group a mis en commun ses sites phares – Homegate.ch, Ricardo.ch, tutti et car4you – avec Scout24 Suisse, dans le cadre d’un joint-venture, et n’en possède plus que 31%. En raison de redondances, ces sites ont subi à leur tour des restructurations avec 70 licenciements en 2022. TX Group envisage désormais la mise en bourse de cette participation dans un avenir proche.
Autrement dit, le groupe estime que ces sites ont atteint leur valeur maximale ou sont proches de l’atteindre (sinon il ne planifierait pas de les vendre aux investisseurs). Par ailleurs, TX Group garde 50% de JobCloud (qui inclut jobs.ch). Le tout est regroupé au sein de la division TX Markets.
Au final, cette division n’a jamais vraiment réussi à faire de l’ombre aux médias payants et n’a pas transformé TX Group en «tech» hautement valorisée sur la bourse suisse. TX Markets génère trois fois moins de chiffre d’affaires que les médias payants; la taille de cette activité et ses taux de croissance n’ont pas été de nature à transformer l’identité du groupe, à le faire pivoter de groupe de médias traditionnels à groupe technologique. Le cours boursier latéral du groupe reflète cet état de fait.
Si la rentabilité de la plupart des plateformes a été élevée, les journaux du groupe n’en ont jamais profité. En effet, TX Group a séparé cette activité digitale de celle des médias, alors que dans le passé les petites annonces imprimées ont toujours alimenté les revenus des journaux. Au demeurant, s’il est vrai que ces plateformes sont largement bénéficiaires, contrairement aux médias payants, la réalité comptable d’un groupe est plus compliquée.
Frais généraux: source de conflits récurrents
Un aspect important au sujet des finances du groupe, est que les médias payants, malgré leur image de boulets pour TX, contribuent largement aux frais généraux du groupe. En effet, chaque titre doit y consacrer une part non négligeable de son chiffre d’affaires. Ce poste peut inclure des coûts informatiques et de management, de service juridique, de ressources humaines ou des actions communes, en plus des frais de marketing.
La part que contribue chaque titre est censée varier en fonction des investissements consentis et de ce qu’il retire des services du groupe. Elle a pu dépasser 20% du revenu dans certains cas, mais le ratio varie fortement selon les titres et leurs besoins. Ces contributions aux frais généraux ont été une source de conflits récurrents entre les responsables des titres et le management au fil des ans. Au cœur des tensions: la clé de répartition des coûts. «Ce qui manque, selon une source informée, est une transparence sur la manière dont ces répartitions sont calculées, et sur le lien direct avec les activités des titres.»
Certains coûts sont perçus comme largement justifiés, comme les frais de remplacement du système de production éditoriale, qui sont affectés à tous les titres, d’autres sont perçus comme exagérés et contribuant à enfoncer les titres dans le rouge. «C’est le prix pour appartenir à un groupe, dit-on, mais c’est aussi le résultat de choix comptables», indique une source.
TX Group est en réalité une petite entreprise
Vu de Suisse romande, l’éditeur zurichois peut paraître imposant et tout-puissant, d’autant qu’il est le plus gros éditeur du pays. En réalité, une entreprise qui vaut 1,5 milliard en bourse fait partie des poids légers de la cote, quand on sait que Nestlé vaut 260 milliards et qu’UBS vaut 100 milliards. TX Group est trois fois plus petit qu’Adecco, le leader de travail temporaire, ou qu’Emmi, le producteur de produits laitiers. Cependant, il faut souligner que TX Group n’est actif que sur le marché suisse. À cette aune, il a souvent suscité l’admiration pour sa capacité à dégager 1 milliard de chiffre d’affaires sur un aussi petit marché.
Peu de valeur actionnariale
En conclusion, TX Group a voulu sortir de sa condition de groupe de média pour devenir une «tech», mais le revenu de TX Markets n’a pas pris l’ascenseur, car l’exploitation de plateformes de petites annonces n’avait pas le potentiel d’autres techs, ne serait-ce qu’en raison de la taille limitée du marché suisse. Le pari de TX Group sur les sites d’annonces n’aura donc pas permis de compenser le déclin des médias traditionnels ni de dépasser leur chiffre d’affaires.
C’est pourquoi TX Group n'a jamais acquis le statut de tech dont il rêvait, ni les valorisations boursières qui vont avec, malgré l’énergie mise à opérer ce pivot digital. Au final, TX a créé peu de valeur pour les actionnaires sur la durée, en dehors des transactions de vente d’activités lucratives (comme celle de local.ch à Swisscom en 2018) et ses distributions de dividendes. Sa faible valorisation en bourse reflète celle du secteur des médias en général, ses homologues français Altice, Bouygues ou Vivendi par exemple n’ayant pas davantage performé en bourse.