Dans «Le loup de Wall Street», Leonardo DiCaprio a immortalisé l’image du banquier avide et sans conscience qui pense que le monde lui appartient. À Zurich aussi, certains représentants de la place financière rêvent d’une vie de luxe digne d’un film, avec prostituées, cocaïne et grosses cylindrées.
Le président du conseil d’administration de l’UBS, Colm Kelleher, n’a eu besoin que de dix jours pour présenter un nouveau CEO après le rachat de Credit Suisse (CS), qualifié de rachat du siècle. Sans sourciller, il a renvoyé Ralph Hamers aux Pays-Bas et a fait venir à sa place le Tessinois Sergio Ermotti – comme ancien et nouveau chef du groupe. Colm Kelleher a justifié ce changement en expliquant qu’avec Sergio Ermotti, «nous avions le sentiment d’avoir un meilleur cheval».
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Un bon choix pour la fusion
À Berne, des poids lourds politiques de gauche à droite se montrent impressionnés par l’action déterminée de Colm Kelleher. Mais aussi par le calme qui se dégage de ce vétéran irlandais de Wall Street, qui voulait autrefois devenir professeur d’histoire. Pour une fois, tout le monde est d’accord: Sergio Ermotti est un bon choix pour la fusion des deux grandes banques – dans la «lutte entre Berne et la banque aux 5 milliards d’euros». Cette nomination est même un coup de génie.
«Avec la nomination de Sergio Ermotti, Colm Kelleher montre qu’il prend au sérieux les grandes inquiétudes de la politique suisse concernant la nouvelle banque XXL», estime un politicien de haut rang du Centre. Un socialiste de premier plan abonde dans ce sens et estime que «Colm Kelleher a manifestement compris que le plus grand danger pour la nouvelle UBS vient de la Suisse».
Le banquier de premier plan ne peut pas ignorer ce que la reprise de CS a déclenché dans la Berne fédérale: le PS et les Vert-e-s appellent à un corset serré pour la seule grande banque restante, les bourgeois rivalisent, eux aussi, d’idées pour apprivoiser la nouvelle méga structure.
Séparation des activités bancaires
Le président du PLR, Thierry Burkart, a fait sensation en demandant que l’UBS continue à gérer le secteur domestique de CS en tant que banque indépendante. Le président du Centre, Gerhard Pfister, a quant à lui annoncé à Blick qu’il était désormais favorable à un ratio de fonds propres de 20%.
Quant à l’UDC, elle a même présenté dans un communiqué un système de séparation des banques, c’est-à-dire la séparation des activités bancaires d’investissement à haut risque des autres activités bancaires. Cette revendication n’est pas nouvelle. Déjà après la crise financière de 2008, lorsque la Confédération a dû sauver l’UBS, l’UDC a insisté – en accord avec le PS et les Vert-e-s – pour que la banque d’investissement soit séparée des fonctions d’importance systémique. Au Conseil national, ces efforts ont trouvé une majorité. Mais au Conseil des États, la supériorité du PDC et du PLR a empêché l’adoption de telles dispositions.
Crainte une «alliance contre-nature»
Aujourd’hui, l’UBS doit à nouveau craindre une «alliance contre-nature» entre la gauche et l’UDC. Avec Sergio Ermotti, ce danger n’est certes pas écarté, mais le banquier de haut niveau, qui dispose d’un excellent réseau, devrait au moins réduire la probabilité de prescriptions étendues.
Un membre du comité directeur du PS en est convaincu. «Sergio Ermotti doit ramener les bourgeois à la raison.» Un membre du comité directeur du PLR reconnaît quant à lui en Colm Kelleher un «fin tacticien» et suppose que le nouveau CEO doit empêcher une nouvelle alliance droite-gauche sur les questions de réglementation bancaire. «Sergio Ermotti a, comme chacun sait, de très bons rapports avec l’UDC.»
La proximité de l’UDC avec le nouveau et l’ancien patron de l’UBS n’est pas inventée de toutes pièces par son adversaire politique, mais est un fait bien documenté. Le financier néolibéral Tito Tettamanti s’enthousiasmait déjà en 2011, lorsque Sergio Ermotti a été appelé pour la première fois à la tête de l’UBS, que son collègue cantonal était «un capitaliste avec le cœur au bon endroit».
C’est également Tito Tettamanti qui a vendu la «Weltwoche» à son propriétaire actuel Roger Köppel. Ce dernier est aussi proche de Sergio Ermotti, comme le révèle le livre «In Badehosen nach Stalingrad» du journaliste Daniel Ryser. L’auteur y décrit comment le smartphone de Roger Köppel a sonné et comment le nom «Sergio Ermotti» est apparu sur l’écran. Roger Köppel se serait levé et aurait dit. «Hey, ciao, comment vas-tu?»
Sur le plan journalistique, le penseur de l’UDC n’a jamais caché que Sergio Ermotti était son banquier préféré. À l’été 2017 – avant les élections fédérales qui ont porté Ignazio Cassis au gouvernement – la Une de sa «Weltwoche» demandait à faire entrer «Sergio Ermotti au Conseil fédéral».
«Proximité avec l’UDC»
Sergio Ermotti est également en bons termes avec l’entrepreneur Peter Spuhler. Fin 2018, les deux hommes se sont livrés à un débat dans la «Handelszeitung», au cours duquel il n’y a toutefois guère eu de divergences d’opinions. Au lieu de cela, des politesses ont été échangées, et le futur CEO a déclaré, en s’adressant à l’ex-conseiller national de l’UDC: «Je regrette bien sûr que quelqu’un comme Peter, avec son expérience, ne siège pas au Conseil des États.»
Malgré tout, il ne veut rien savoir d’une «proximité avec l’UDC». Interrogé à ce sujet par la «Schweiz am Wochenende» en 2021, il a répondu: «Je ne suis pas membre d’un parti, je suis libéral et j’ai aussi tout une certaine fibre sociale.» Il y a certes des thèmes sur lesquels il peut être d’accord avec l’opinion de l’UDC. «Mais il peut aussi m’arriver d’être d’accord avec les socialistes, par exemple sur des questions de société.»
De son côté, l’UDC conteste une relation particulière avec le banquier le plus important du pays. «Je ne vois pas Ermotti comme étant particulièrement proche de l’UDC», déclare le conseiller national zurichois Thomas Matter à Blick. L’entrepreneur bancaire est d’avis qu’il a «au moins autant de points communs» avec le PLR ou le Centre.
Mais le fait est que Thomas Matter connaît Sergio Ermotti depuis aussi longtemps que n’importe qui d’autre dans la Berne fédérale. Il y a 30 ans, alors qu’ils travaillaient tous deux chez Merrill Lynch à Londres, le nouveau patron de l’UBS était même son chef. Plus tard, Sergio Ermotti l’a fait venir à Zurich.
Thomas Matter se défend néanmoins contre le soupçon que l’UDC pourrait se laisser influencer par Sergio Ermotti. «Ce n’est pas parce que l’on se connaît que l’on est toujours d’accord», souligne-t-il. Qu’il y ait ou non un Ermotti au poste de CEO de l’UBS, l’UDC maintient sa revendication: «Nous devons trouver une solution pour que chaque banque puisse faire faillite sans que l’État doive intervenir.»
Transfert dans un autre pays?
Il existe pour cela différentes possibilités, comme un système de séparation des banques ou la limitation du négoce pour compte propre. «Nous devons maintenant regarder et examiner toutes les options», poursuit Thomas Matter.
Le représentant de la place financière souligne à quel point il est sérieux en déclarant: «Si une banque n’est pas prête à adapter sa taille à l’économie suisse, elle devra, bon gré mal gré, se demander si un transfert de siège dans un pays plus grand aurait un sens.»
Ce sont des mots à l’aune desquels le parti le plus important du pays en termes d’électeurs sera jugé dans les prochains mois. Et la direction de l’UBS risque de ne pas aimer de telles déclarations. Les responsables de la nouvelle méga banque vont au contraire tout tenter pour convaincre l’UDC – et les autres partis – de renoncer à leurs projets de régulation.
Blick le sait. Ces derniers jours déjà, des représentants de haut rang de l’UBS ont contacté les présidents des partis bourgeois pour les «ramener à la raison». Un dîner par-ci par-là avec Sergio Ermotti devrait s’y ajouter prochainement.