Des hoodies, des T-shirts Salt… Toute une panoplie de goodies trône comme une brochette de trophées à la réception du siège social du numéro 3 de la téléphonie mobile suisse. Pour peu, on se croyait presque dans le stand de merchandising d’une grande star du rap. Au siègle social de Salt, tout le monde tutoie le chef. Depuis que Pascal Grieder est à la tête de l’opérateur de télécommunications, celui qui s’appelait anciennement Orange est passé à la vitesse supérieure.
Mais le CEO n’est pas pour autant complètement détendu, contrairement à ce qu’il prétendra lors de notre interview.
Monsieur Grieder, pourquoi le déploiement du réseau 5G ultra-rapide en Suisse est-il au point mort? Salt paraît aussi avoir en retard…
Nous avons en effet un retard de 3200 demandes pour de nouvelles antennes en Suisse, car la population s’est opposée à leur construction. Mais aujourd’hui, nous pouvons traiter autant de demandes que de nouvelles oppositions dans un délai raisonnable.
Salt a-t-elle déjà suffisamment d’utilisateurs 5G?
Dans nos abonnements, nous ne faisons aucune distinction entre 4G et 5G. En Suisse, tous opérateurs confondus, plus d’un million de clients possèdent des appareils compatibles 5G et pourraient profiter d’une bande passante nettement plus large. C’est-à-dire de connexions plus stables et plus rapides avec des temps de réaction plus courts.
L’avenir s’annonce donc radieux.
Non. Au contraire, je dois même tirer la sonnette d’alarme. La Suisse risque de perdre de la vitesse dans le domaine de la téléphonie mobile si la 5G ne se met pas à avancer rapidement.
Est-ce si grave si les doutes de certaines parties de la population sont pris au sérieux?
Je comprends leurs hésitations, et même certaines craintes. Mais je ne peux pas tout entendre. Les résultats des études scientifiques sont extrêmement clairs: le rayonnement de la téléphonie mobile est largement inoffensif. Si l’on ne fait pas confiance aux faits, il faut se rappeler que 90% des rayons auxquels nous sommes exposés provient du téléphone portable lui-même.
Vous vous adressez là aux opposants aux antennes?
Si nous voulons être moins exposés aux rayons, il ne nous sert à rien de réduire le nombre d’antennes. Au contraire: si nous les réduisions, les téléphones portables devraient alors émettre plus d’ondes pour capter le réseau de l’antenne suivante. Si l’on veut moins de rayonnement, il faut donc absolument soutenir le développement de la 5G au lieu de l’empêcher.
Que voulez-vous dire?
Je vais vous donner un exemple. Une antenne 4G irradie toute la maison. Mais les antennes de téléphonie mobile 5G sont plus efficaces et entraînent des valeurs de rayonnement plus faibles que les antennes conventionnelles, car elles localisent et ciblent de manière très ciblée les téléphones portables compatibles 5G dans la maison.
Demandez-vous le soutien du nouveau chef du DETEC, Albert Rösti?
Compte tenu de la clarté des faits, je souhaiterais que les politiques prennent position de manière plus claire et qu’ils communiquent mieux sur les avantages de la 5G.
Un soutien sera également nécessaire pour que vous puissiez progresser avec l’offre de réseau fixe. Rappelons qu’elle n’atteint aujourd’hui qu’un tiers des ménages.
Cela s’explique par le fait que, pour le réseau fixe, nous misons exclusivement sur des partenariats de fibre optique et ne construisons pas notre propre réseau. La Commission de la concurrence (COMCO) avait freiné notre partenaire Swisscom dans ce domaine. Aujourd’hui, le développement reprend. Nous pourrons proposer notre produit dans toute la Suisse d’ici à 2025, avec le soutien de solutions 5G et de la fibre optique.
Quelle est la couverture en fibre optique possible au niveau national?
Tous fournisseurs confondus, nous avons aujourd’hui près de 2 millions de foyers. D’ici à 2025, il y en aura un million de plus, et en 2030, 4 millions d’immeubles sur cinq en Suisse devraient être équipés de la fibre optique.
Il y a quelques jours, Salt a mis fin aux MMS. Les SMS sont-ils également sur le point de disparaître?
Le recul des utilisateurs de SMS n’est pas aussi important que celui du service de messagerie multimédia.
Mais tout le monde utilise de toute façon WhatsApp, Threema et d’autres services de messagerie. À quoi peuvent-ils encore servir?
Le SMS joue un rôle important et croissant dans la connexion à double authentification, par exemple pour les comptes personnels dans les boutiques en ligne, l’e-banking ou les caisses maladie. C’est-à-dire que vous recevez par SMS un code qui est nécessaire pour l’autorisation. Une suppression n’est donc pas prévue.
Vos trois enfants ont déjà tous un téléphone portable?
Mes enfants ont entre 10 et 14 ans. Ils possèdent tous un modèle ancien de téléphone. Ils l’utilisent principalement pour WhatsApp et peut-être Facetime, car ces applications leur permettent d’envoyer des emojis animés.
Selon vous, quel est l’âge idéal pour commencer à utiliser un téléphone portable?
Pour moi, le chiffre n’a pas d’importance. Ce qui compte est l’utilisation que les enfants font de l’appareil. Par exemple, il peut tout à faire servir à faire des jeux.
Mais rares sont ceux qui s’en tiennent là…
En effet. C’est pourquoi j’ai essayé d’activer tous les mécanismes de protection disponibles. Mais dans le cas de mes enfants, ils sont très doués pour les contourner. C’est pourquoi il s’agit d’un bras de fer constant pour imposer mes restrictions.
Combien de temps vos enfants passent-ils chaque jour sur leur téléphone portable?
Je dirais au moins une heure.
Et qu’en est-il de votre temps d’écran personnel?
Environ quatre heures par jour. Dans mon cas, le téléphone est avant tout un outil de communication.
Non seulement nous passons plus de temps sur notre téléphone portable, mais nous restons aussi toujours chez le même opérateur, même si on le trouve trop cher. Pourquoi beaucoup sont-ils si réfractaires au changement?
Cette inertie est en effet bien plus grande en Suisse qu’à l’étranger. Mais ce n’est pas inhérent aux télécoms: les banques, les caisses maladie et autres assureurs connaissent la même situation. L’une des raisons pourrait être que la Suisse est un îlot de prospérité. La plupart des gens se portent bien. La réduction des coûts ne suffit donc pas à inciter la majorité à changer. Si le client est plus ou moins satisfait, il est prêt à payer le double, voire plus.
Les lecteurs de Blick accusent les opérateurs de saigner leur compte chaque mois. Les critiquent-ils à juste titre?
En comparaison avec l’étranger, nous ne sommes pas du tout surtaxés, même pour les offres combinées, les opérateurs suisses peuvent rivaliser en termes de prix.
Mon fournisseur demande près de 120 francs par mois pour Internet, la télévision et le réseau fixe. C’est un prix exorbitant! Et ne me parlez surtout pas de la meilleure couverture réseau de Suisse...
Alors changez plutôt pour nous, nous sommes bien moins chers. Personne n’a fait autant que nous pour faire dévisser les prix. Et d’ailleurs: la couverture réseau est effectivement excellente dans notre pays. Salt aussi s’est fortement amélioré et atteint désormais une valeur de 99,9% de couverture dans la téléphonie mobile.
Swisscom et Sunrise/UPC forment pratiquement un duopole, c’est-à-dire qu’ils gouvernent presque seuls le marché. En comparaison, Salt peut quasiment sembler être un outsider. Comment votre entreprise compte-t-elle sortir son épingle du jeu?
Je ne parlerais pas de duopole. Salt a une taille tout à fait respectable. Nous avons aujourd’hui plus d’un million et demi de clients, dont de plus en plus d’entreprises, et réalisons un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de francs par an. Nous ne sommes pas le petit frère de Swisscom et de Sunrise.
Mais le marché des télécommunications est saturé. Le seul moyen de s'y développer est aujourd’hui d’acheter ou de prendre la part des autres.
N’oubliez pas l’immigration et la croissance démographique. Mais bien sûr, nous voulons aussi continuer à gagner des parts de marché. Ces dernières années, nous avons beaucoup investi dans la qualité et le service. Cela commence à porter ses fruits.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie?
Nous publierons nos résultats fin mars. Mais je peux déjà vous dire que nous avons connu une très belle croissance, tant au niveau du chiffre d’affaires que du bénéfice et des clients, et ce, au cours des trois premiers trimestres. La plupart du temps, nous nous en sommes même mieux sortis que la moyenne de la branche.
Mais vous n’avancez pas du tout en ce qui concerne le quota de femmes, pour lequel vous vous êtes publiquement prononcé il y a deux ans.
Nous avons une proportion de femmes de près de 30% sur un total de plus de 1000 collaborateurs en Suisse. C’est bien plus élevé que la moyenne de la branche, qui est de 17%.
Mais dans votre direction, sur neuf personnes, il n’y a aujourd’hui encore qu’une seule femme.
Vous avez visé juste. Nous avons définitivement trop peu de femmes au sein de la direction. Malheureusement. C’est quelque chose que nous pourrons corriger lors des prochaines nominations.
Parlons salaire. Hommes et femmes sont-ils logés à la même enseigne?
Oui. Nous l’avons fait confirmer par une entreprise indépendante.
Que pensez-vous de la transparence des salaires, une pratique qui commence à convaincre de premières entreprises suisses?
J’ai également suivi cette évolution. Mais très honnêtement, je ne vois pas trop l’avantage de rendre les salaires transparents.
Vous pourriez être perçu comme un employeur équitable, qui donne l’exemple d’une culture de la confiance...
J’espère que les gens viennent chez nous parce qu’ils apprécient notre environnement de travail et l’entreprise.
Dans ce cas, le montant que vous gagnez reste aussi un secret?
C’est exact. Mon salaire n’est pas d’intérêt public. De même, je ne mettrai pas de photos de famille sur notre site web professionnel.