C'est la panique aux Etats-Unis. Les actions des géants de la tech de la Silicon Valley, que l'on croyait inébranlables, ont dégringolé lundi: l'indice boursier Nasdaq a chuté de plus de 3%. Et les conséquences sont colossales: le soir même, la valeur des entreprises de la technologie a diminué d'un billion de dollars.
Avec une baisse enregistrée à 17%, Nvidia a perdu à elle seule 600 milliards de dollars de valeur boursière – c'est la plus grande perte individuelle de tous les temps. «Dans un environnement où les valorisations sont déjà élevées, il suffit souvent d'une étincelle d'incertitude pour déclencher des mouvements de cours forts comme celui-ci», explique Roman Przibylla, expert en investissement chez Maverix Securities.
Certains observateurs du marché font déjà des pronostics très négatifs et s'attendent à l'éclatement de la bulle de l'Intelligence artificielle (IA). La situation est-elle aussi grave qu'il n'y paraît? A quelles conséquences faut-il s'attendre pour la Bourse suisse? Point de situation.
Pourquoi les actions tech ont-elles autant chuté aux Etats-Unis lundi?
La chute s'explique par le fait que l'on a découvert que les logiciels d'intelligence artificielle pouvaient être entraînés avec beaucoup moins de puissance de calcul qu'on ne le pensait jusqu'à présent. C'est pourquoi Nvidia, qui fournit ses puissantes puces au secteur de l'IA, a perdu énormément d'argent.
La start-up chinoise Deepseek aurait construit son nouveau modèle d'IA avec des systèmes de puces Nvidia allégés. Coût déclaré: 5,6 millions de dollars. A titre de comparaison, les leaders américains comme Open AI, Meta ou Microsoft ont dépensé entre 100 millions et 1 milliard de dollars pour leurs outils d'IA.
La nouvelle concurrence chinoise joue désormais un rôle prépondérant dans le marché de l'IA: «Les bénéfices élevés du secteur attirent les concurrents et poussent à l'innovation. Mais ce sont précisément ces innovations qui peuvent réduire les bénéfices des acteurs du marché établis, voire les faire disparaître», explique dans une analyse publiée mardi Johannes von Mandach, économiste chez Wellershoff & Partners. En d'autres termes, les marchés financiers américains ont compris que l'IA n'engendrera pas nécessairement une hausse durable des bénéfices des entreprises technologiques, ni du marché dans son ensemble.
Quel est le rôle de Donald Trump dans tout ça?
Peu après son entrée en fonction, le président américain Donald Trump a annoncé un investissement massif dans le secteur de l'IA. «Au moins 500 milliards de dollars» y seront injectés au cours des prochaines années. Parallèlement, il existe depuis longtemps des restrictions américaines à l'exportation pour la Chine, son principal concurrent. Par exemple, Nvidia peut uniquement lui vendre des puces informatiques moins performantes.
Le cas de Deepseek montre désormais que la stratégie du gouvernement américain est un échec. Trump pourrait réagir en interdisant davantage les exportations, mais cela aggraverait la situation des entreprises américaines de la chaîne d'approvisionnement en IA. Lundi, lors d'une rencontre devant des membres républicains du Congrès à Miami, Trump a qualifié le choc Deepseek de «rappel à l'ordre pour nos industries, à savoir que nous devons être hautement concentrés sur la concurrence pour gagner». Mais le président américain s'est plutôt montré optimiste, estimant que le séisme boursier pourrait également avoir un impact positif sur la Silicon Valley, qui serait contrainte d'innover en allégeant ses dépenses.
Quel est l'impact du séisme boursier américain sur la Suisse?
Alors que les chutes des géants américains de la technologie ont aussi secoué les bourses asiatiques et allemandes, les investisseurs se montrent plutôt sereins en Suisse. L'indice directeur local a clôturé lundi en hausse de 1,5%. Et il a aussi commencé la journée de mardi en hausse: à midi, le SMI avait gagné environ 1%, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis trois ans.
Pour l'instant, le fait que l'indice des 20 plus grandes entreprises cotées en bourse en Suisse comporte peu d'actions tech constitue un avantage indéniable, estime l'expert en placement Roman Przibylla. «Dans une telle phase, le SMI (Swiss Market Index) joue sa force d'indice défensif. Et tant que l'incertitude actuelle ne s'étend pas à d'autres secteurs de manière généralisée, je ne pense pas non plus que cela aura des répercussions négatives sur l'indice directeur suisse.»
Quelle est l'évolution à moyen terme des actions tech américaines?
La Silicon Valley est en pleine incertitude: son véritable défi n'est pas tant le coût de l'IA, mais la question de savoir si Google, Microsoft et d'autres géants de la tech parviendront à mettre en œuvre cette technologie révolutionnaire à grande échelle. S'ils échouent, la chute du cours se transformera alors en effondrement.
Mais Roman Przibylla se montre plutôt confiant: «A moyen terme, je vois toujours un potentiel pour les actions des entreprises technologiques américaines, car elles sont bien positionnées en termes d'innovation, d'économies d'échelle et de domination du marché.» La manière dont elles réagiront à l'émergence de la concurrence, notamment chinoise, sera déterminante. «Les investissements dans la recherche et le développement, les partenariats stratégiques et une mise à l'échelle conséquente de leurs solutions d'IA seront des moteurs essentiels pour garantir des avantages concurrentiels à long terme.»
La réaction – parfois impétueuse – des investisseurs face au nouveau modèle d'IA de Deepseek est le symbole de la volatilité des actions du secteur de la tech. Après tout, leurs valeurs boursières sont nourries par les attentes élevées que les investisseurs placent dans les entreprises. «En tant qu'investisseur, il faut aussi être capable d'accepter ces fluctuations. Il ne faut pas considérer la situation du marché uniquement à travers le prisme de certains événements», explique Roman Przibylla. Selon lui, la situation actuelle des cours offre l'occasion d'entrer à moindre coût ou de renforcer ses positions dans le marché, à condition d'être convaincu de la croissance à long terme.