Les inquiétudes autour de l'IA ont contaminé une large partie des places financières lundi face à la montée en puissance d'un modèle chinois d'agent conversationnel à moindre coût qui a fait dévisser le cours des mastodontes de la tech. A Wall Street, l'indice Nasdaq, à dominante technologique, a chuté de 3,07%, le S&P 500 a lâché 1,46% tandis que le Dow Jones a résisté, à +0,65%.
En Europe, Paris a perdu 0,27%, Francfort 0,53% et Amsterdam 0,72%. Londres est restée à l'équilibre (+0,02%), tout comme Milan (-0,03%). Les marchés ont été minés par des informations selon lesquelles l'agent conversationnel de la start-up chinoise DeepSeek serait performant tout en fonctionnant sur des puces à capacité réduite, au risque de bousculer la domination des groupes américains du secteur.
Plombé par cette option possiblement plus rentable, Nvidia, géant américain des semi-conducteurs fournissant les puces nécessaires au développement de l'intelligence artificielle, a sombré de 16,97% à New York, à 118,42 dollars. Au cours de la séance, l'entreprise a perdu 589 milliards de dollars de capitalisation boursière, l'une des pires pertes de l'histoire selon la presse américaine.
Une «réaction instinctive»
Le champion américain des puces a également perdu sa place de première capitalisation mondiale, derrière Apple et Microsoft. Plusieurs autres géants américains de la tech, qui ont investi des milliards de dollars dans le développement de l'intelligence artificielle, ont aussi chuté, à l'image de Microsoft (-2,14%) et Alphabet (-4,20%).
Il y a eu de la part du marché une «réaction instinctive face à quelque chose de nouveau», assure à l'AFP Art Hogan, de B. Riley Wealth Management. Selon lui, «il s'agit en quelque sorte de tirer d'abord et de poser des questions ensuite».
La sortie de R1, le dernier modèle de la start-up chinoise DeepSeek, a initialement reçu une attention limitée aux Etats-Unis, éclipsée par l'investiture de Donald Trump. Mais ce week-end, DeepSeek est devenue l'application gratuite la plus téléchargée sur la boutique en ligne d'Apple aux Etats-Unis, supplantant ChatGPT, le chatbot d'OpenAI qui a lancé la course à l'IA générative fin 2022.
Un «avertissement» pour les Etats-Unis, selon Trump
Amené à réagir sur ce vent de panique qui s'est emparé de Wall Street, Donald Trump a jugé lundi que le succès de DeepSeek constituait un «avertissement» pour les Etats-Unis. «J'espère que le lancement de l'intelligence artificielle (IA) DeepSeek par une société chinoise sera un avertissement pour nos industriels et leur rappellera qu'il faut rester très concentrés sur la concurrence pour gagner», a dit le président américain, s'exprimant devant des élus du Parti républicain en Floride.
Le nouveau président des Etats-Unis a également dit espérer que le choc suscité par l'application chinoise sera «positif» pour les entreprises américaines, forcées de se remettre en question sur leurs investissements faramineux, notamment dans les puces de pointe de Nvidia. «Cela pourrait être positif», a-t-il dit. «Au lieu de dépenser des milliards et des milliards, vous dépenserez moins et avec un peu de chance vous parviendrez à la même solution».
Avance des Etats-Unis surestimée?
Selon une publication de DeepSeek détaillant son développement, son modèle n'a été entraîné qu'avec une fraction des puces utilisées par ses concurrents occidentaux. Or, nombre d'analystes pensaient que l'avantage des Etats-Unis en matière de production de puces hautes performances, ainsi que leur capacité à limiter l'accès de la Chine à cette technologie, garantirait leur domination en matière d'IA.
«La nouvelle est potentiellement très significative» et «tout d'un coup, le marché prend un virage dans sa thèse d'investissement» dans le secteur de l'IA, commente Raphaël Thuin, directeur des stratégies de marchés de Tikehau Capital. D'autant que DeepSeek a déclaré n'avoir dépensé que 5,6 millions pour développer son modèle, ce qui interroge les investisseurs sur les milliards dépensés par les groupes américains dans l'intelligence artificielle ces dernières années.
La branche des semi-conducteurs à la peine
«La baisse des coûts est une bonne nouvelle sur la tendance long terme de l'IA. En revanche, cela interroge sur la valorisation et le positionnement qui entoure la tech américaine», ajoute Raphaël Thuin. La sortie du dernier modèle de DeepSeek coïncide par ailleurs avec la période de résultats d'entreprises: les données de Microsoft, Meta, Tesla et Apple sont attendues cette semaine.
«Tout ce qui a bénéficié de l'essor de l'IA ces derniers temps a connu une journée difficile aujourd'hui», commente auprès de l'AFP Karl Healing, de LBBW. La branche des semi-conducteurs, dont une grande partie de la croissance est liée à la demande pour l'IA en puces électroniques, a souffert.
Les titres du secteur énergétique plongent aussi
A Amsterdam, ASML a chuté de 7,01%, ASM de 12,15%, BE Semiconductor Industries de 8,17%. Soitec a reculé de 1,06% à Paris et Infineon de 1,91% à Francfort. A Wall Street, Broadcom a dévissé de 17,07%, AMD a lâché 6,37%, Micron a décroché de 11,53% et Marvell Technology a sombré de 11,71%.
Les titres du secteur énergétique se sont écroulés également à New York, DeepSeek remettant en question les besoins en énergie pour le développement de l'IA. Constellation Energy (-20,85%), Vistra Corp (-28,27%), Talen Energy (-21,59%) et GE Vernova (-21,52%) ont sombré.
Dans ce contexte de forte incertitude, les obligations d'Etat, valeurs refuges, étaient demandées, ce qui fait reculer leurs taux d'intérêt. L'emprunt américain atteignait 4,54% vers 22h50 GMT, contre 4,62% la veille en clôture.