500 milliards de dollars pour l’intelligence artificielle (IA). Sur la table. Maintenant. Au lendemain de son investiture, Donald Trump a frappé fort le 21 janvier, depuis la Maison-Blanche où il recevait les PDG des géants OpenAI (Sam Altman), de Softbank (Masayoshi Son, Japon) et d’Oracle (Larry Ellison).
Tous trois vont investir dans une coentreprise baptisée Stargate, a déclaré le nouveau Président. Une nouvelle preuve de l’avance irrattrapable des États-Unis dans ce domaine crucial? Pas sûr du tout, répond à Blick l’expert Jovan Kurbalija, directeur du laboratoire spécialisé Diplofoundation, basé à Genève et soutenu par la Confédération.
500 milliards de dollars mis sur la table par une coalition de géants américains et japonais de la tech pour l’intelligence artificielle, cela veut dire que les Etats Unis vont prendre une colossale avance?
Pas nécessairement. Pour moi qui suis de près ces questions avec l’équipe genevoise de Diplofoundation, cette annonce fracassante du 22 janvier dans le bureau ovale n’est d’ailleurs pas la plus importante cette semaine, sur le front de l’intelligence artificielle. Le choc, ces jours-ci, vient plutôt de Chine où DeepSeek, une petite startup chinoise basée à Hangzhou, a lancé une plateforme d’IA surpassant les performances d’OpenAI… pour 3% du coût de développement des géants! Pour mesurer l’impact, imaginez acheter un iPhone à 30 euros au lieu de 1 000. C’est le niveau de disruption en cours. 500 milliards de dollars, ça fait «boum» devant les caméras au lendemain de l’investiture de Trump, avec quelques magnats de la tech présents à la Maison-Blanche. Mais pendant ce temps…
Donc Donald Trump mise sur l’effet d’annonce, juste avant son intervention à Davos?
Focaliser sur le montant d’argent investi est assez typique de l’ancien monde qu’incarne Donald Trump. Or aujourd’hui, en matière d’intelligence artificielle, le mantra «le plus gros est mieux» s’effondre. Nous en sommes au contraire à l’ère du «plus petit, plus intelligent, moins cher». On le voit bien au Forum de Davos et sur les marchés mondiaux: les investisseurs tremblent. Les budgets pharaoniques ne garantissent plus des technologies supérieures et des modèles d’affaires viables. Inonder les marchés de puces ne résoudra pas le vrai problème: la transformation des organisations et des secteurs obsolètes de nos économies. La clé? C’est d’activer le savoir, pas juste d’accumuler des milliards et des algorithmes.
Les Européens ont quand même de sérieuses raisons d’être inquiets. N’ont-ils pas déjà perdu cette bataille de l’IA, après celles des plateformes?
Paniquer face au retard européen? Pas encore. On se calme. Copier les frénésies financières américaines serait une erreur fatale. L’atout maître de l’Union européenne est de posséder une grande partie du «soft power de l’IA», ce qui permet à l’intelligence artificielle de fonctionner et d’être efficace: la connaissance. Il faut libérer l’innovation locale (universités, start-up) et exploiter les réserves de données sous-utilisées (santé, énergie verte, industrie). Oubliez l’accumulation de puces NVIDIA: l’enjeu est d’intégrer l’IA dans le tissu social. Bruxelles saura-t-elle financer malin, et pas seulement répondre aux annonces de Trump? Il faut l’espérer. L’avenir de notre continent en dépend.
Elon Musk a critiqué l’annonce de ce plan à 500 milliards de dollars. Est-il aujourd’hui un acteur majeur de l’intelligence artificielle?
Pas encore. Mais attention à Elon Musk: s’il parvient à exploiter son pouvoir politique au sein de l’administration Trump pour siphonner les données mondiales, sans aucuns scrupules en matière de conflit d’intérêts, tout pourrait basculer. Je le répète: la vraie bataille mondiale de l’IA ne se jouera pas dans les serveurs, mais dans le contrôle de l’or noir du XXIe siècle: le savoir collectif. Elon Musk, en maître disrupteur, peut en faire son arme absolue.
Comment les Européens peuvent l’en empêcher?
Avec un kit de survie impératif: Allier régulation de fer et innovation de velours. L’Union européenne doit booster le financement de l’IA «Made in Europe», tout en verrouillant ses données via son Règlement de protection des données et son «AI Act». Priorités: des hubs d’IA éthique, des algorithmes verts, une IA industrielle adaptée aux PME. L’objectif? Devenir l’arbitre et le challenger dans un monde dominé par les géants américains et chinois. L’heure n’est plus aux paris financiers, mais aux paris intelligents. C’est là que Donald Trump, président obsédé par le rapport de force, se trompe lourdement.
A lire: Digital Watch, la lettre d’information de Diplofoundation