Elle est enfin là! Après des semaines de canicule intense, la pluie a fait son grand retour en Suisse. De forts orages se sont déjà abattus mercredi soir, et d’autres sont attendus jeudi et vendredi. Serait-ce enfin un moment de répit durant cette période de sécheresse historique? Pas vraiment.
Pour cause, les sols sont asséchés. Ils ne sont tout simplement plus capables d’absorber l’eau, ce qui peut provoquer d’importantes inondations. Rien que dans le canton de Bâle-Ville, les pompiers ont dû intervenir plus de 115 fois pour des inondations mercredi soir.
La couverture végétale est morte
La végétation jaunie. Les sols se craquellent. Interviewé par «Ouest-France», Jérôme Lecou est prévisionniste chez Météo France. Il explique qu'«une partie du couvert végétal est morte et n’absorbe plus l’eau. Et puis les terres durcissent, la structure du sol change, et au lieu d’avoir quelque chose de meuble, on a une surface dure.»
Une croûte se forme, rendant la terre pratiquement imperméable. L’eau ne peut pas s’infiltrer lorsque les précipitations sont diluviennes. «L’eau ruisselle à la surface et provoque des inondations», précise Peter Molnar, enseignant en gestion des ressources en eau à l’école polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) au journal heidi.news. Une expérience didactique menée par le chercheur Rob Thompson de l’Université de Reading au Royaume-Uni illustre parfaitement le problème.
«Le drainage ne suffit plus»
Un véritable cercle vicieux… Alors que le manque de pluie dû au réchauffement climatique cause une sécheresse historique augmentant ainsi les risques d’incendies, les orages, tant attendus, provoquent des inondations importantes.
Les villes sont particulièrement concernées par cette problématique. L’imperméabilité des sols provoque des inondations incontrôlables, comme à Paris ou à Séoul récemment. Peter Molnar en explique la raison à heidi.news: «L’eau qui s’accumule est présente en si grande quantité que le système de drainage n’est plus en mesure de l’évacuer.»
Inondations et crues attendues
Il existe deux types d’inondations: «Lorsque les sols sont gorgés d’eau en raison des pluies persistantes, on parle alors d’inondation statique. Mais cette année, on risque davantage de rencontrer des inondations dites dynamiques, avec un fort et rapide déversement d’eau par des orages sur un sol sec, incapable de l’absorber», détaille Stuart Lane, professeur à l’Institut des dynamiques à la surface terrestre à l’université de Lausanne pour le média spécialisé romand.
Et le réchauffement climatique n’améliore pas la situation. Pour Peter Molnar, les sécheresses et les précipitations vont devenir de plus en plus intenses, «car plus l’air est chaud, plus il emmagasine l’humidité. En même temps, il y a plus de vapeur d’eau à disposition et la Suisse n’échappe pas à cette tendance. On sait qu’elle sera de plus en plus affectée par la sécheresse.» Il fait un constat inquiétant: «Ces facteurs combinés augmentent la probabilité d’avoir des inondations.»
Pluies nettement insuffisantes
Les précipitations ont été intenses mercredi soir: plus de 50,1 millimètres sont tombés à Vevey. Une limite dangereuse à ne pas dépasser dans des conditions de sécheresse, avance Olivier Duding, météorologue chez MétéoSuisse. Interviewé par la RTS, il affirme: «Il ne faut pas que cette eau tombe trop rapidement. Si on a 50 millimètres de pluie en un jour, ce ne sera pas bon, car cette eau va ruisseler et elle sera inefficace pour alimenter les nappes phréatiques.»
Même s’il manque près de 200 millimètres de précipitations sur la Suisse romande, les orages annoncés ne vont pas suffire à rétablir la situation. Selon Stuart Lane, «il faudrait plusieurs mois de précipitations continues pour compenser ce manque. D’autant plus que la densité de la végétation, qui retient les pluies, a fortement diminué.»
Il faut maintenir les sols humides
La seule solution pour que les sols asséchés puissent capter l’eau, c’est «qu’ils soient arrosés lentement et régulièrement», selon Jérôme Lecou. Les terres doivent être maintenues dans un état humide, notamment en renaturalisant les rives des cours d’eau. Les spécialistes sont unanimes: il faut agir sur la résilience des sols et l’aménagement de l’environnement.
Il manque de zones dites «tampons». Pour Peter Molnar, «ce qui fonctionne pour la prévention de la sécheresse, fonctionne aussi pour limiter le risque d’inondations. Plutôt que d’évacuer l’eau, il faut s’assurer que celle-ci puisse s’infiltrer dans le sol et ainsi rester dans l’écosystème. Par exemple en créant des espaces verts ou en favorisant des sols perméables.»
Mais même si tous ces changements sont mis en place, réduire notre consommation d’or bleu reste inévitable, selon Stuart Lane. «Mais cela pose des questions politiquement sensibles sur la gestion de l’eau.»