Christophe Racine est fatigué mais heureux. «J’ai dix heures de vol dans les jambes, en plus du jet-lag», s’excuse le médecin en même temps qu’il sourit. Le verbe est bien choisi. Il s’apprête à nous raconter une très belle histoire: ces derniers jours, le plasticien a sauvé le destin d’une jeune fille de 17 ans à Douala, au Cameroun. «Le travail de toute une équipe», tempère le Neuchâtelois, qui refuse de tirer la couverture à lui.
Sauver une vie, vraiment? Après tout, l’opération subie par Audrey jeudi dernier ne visait «qu’à» corriger une hypertrophie mammaire. Une intervention de routine, comme le chirurgien esthétique en a réalisé des centaines. Mais ce cas est hors du commun.
D’abord parce que les seins de la jeune fille bientôt majeure étaient énormes: cinq kilos de chaque côté. Du jamais-vu, même de mémoire de Christophe Racine. Mais surtout parce que ce handicap a eu d’énormes conséquences depuis l’adolescence pour Audrey.
On parle d'hypertrophie dès que chaque sein pèse plus de 600 à 700 grammes. Cette pathologie est le plus souvent d'origine génétique. Le sein se compose de peau, de graisse et de la glande mammaire. Dans le cas d'une hypertrophie mammaire, c'est la glande qui est hypertrophiée.
Elle est souvent responsable d'une gêne esthétique et fonctionnelle, en plus de douleurs (dos, nuque, entre autres) pouvant représenter un vrai handicap comme dans le cas d'Audrey.
On parle d'hypertrophie dès que chaque sein pèse plus de 600 à 700 grammes. Cette pathologie est le plus souvent d'origine génétique. Le sein se compose de peau, de graisse et de la glande mammaire. Dans le cas d'une hypertrophie mammaire, c'est la glande qui est hypertrophiée.
Elle est souvent responsable d'une gêne esthétique et fonctionnelle, en plus de douleurs (dos, nuque, entre autres) pouvant représenter un vrai handicap comme dans le cas d'Audrey.
Exclue de l’école
Rembobinons. Dès 12 ans, la jeune fille voit ses seins pousser. Ils ne s’arrêteront jamais de grandir (lire encadré ci-dessous). Sa poitrine devient vite imposante, elle commence à avoir des problèmes de dos et de la peine à marcher. Aux handicaps physiques s’ajoute l’isolement social: la Camerounaise ne peut même plus aller à l’école.
Elle passe son temps à pleurer à la maison, seule. «Dans les pays industrialisés, on ne connaît pas de tels cas parce que les choses sont prises en charge très vite, explique Christophe Racine. Dans la réalité de l’Afrique centrale, tout est différent…» Malgré la présence d’hôpitaux capables d’opérer, la famille d’Audrey est incapable de financer une telle intervention. La situation est désespérée.
Début 2020, son mal-être est évoqué dans une émission de la télévision camerounaise, «Regard Social», qui s’intéresse à des gens ayant besoin d’aide. Par les joies du bouche-à-oreille, son histoire est portée à la connaissance de médecins suisses alors présents au Cameroun pour une autre mission. La décision est immédiate: il faut la faire venir en Suisse et l’opérer. Bénévolement.
Déjà compliqué, ce défi est hélas entravé par le Covid. La pandémie a «gelé» la situation durant une année. Résultat, l’opération n’a pu avoir lieu que ce jeudi… au Cameroun, à la clinique de l’aéroport de Douala. Délivrer Audrey de son imposant fardeau fut un geste de routine pour Christophe Racine — «je ne suis pas un cow-boy qui vient tester des choses en Afrique, il est important de le relever». Mais le défi logistique a été énorme.
18 mois de préparation, 250 kg de matériel
Pour mener à bien ce projet, une équipe de professionnels a été formée. Tous travaillent en Suisse, mais deux sont Camerounais. Comme le neurochirurgien Yves Yamgoué, arrivé au CHUV en avril 2010 et formé au pays. Après son passage à Lausanne et à l’Hôpital du Valais, il vit aujourd’hui dans «la plus belle ville de Suisse»: La Chaux-de-Fonds. «Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’UNESCO», plaisante le médecin, dont la présence sur place a été précieuse.
Si les deux docteurs rigolent aujourd’hui, l’atmosphère était plus tendue au moment d’organiser méticuleusement le voyage. L’opération (au sens large) a nécessité dix-huit mois de préparation, explique le second nommé. Deux mois avant leur périple les réunions avec tous les corps de métier se sont multipliées. «Nous avons également eu besoin de l’aide de médecins locaux pour tester le matériel.»
Les machines servant à la coagulation et à l’aspiration, par exemple, sont trop lourdes pour être transportées. «La chirurgie plastique ne requiert pas beaucoup d’appareils, mais il est primordial que ceux-ci marchent parfaitement», poursuit Christophe Racine. Il faut dire que l’équipe avait déjà les bras très chargés: 250 kg de matériel ont été acheminés au Cameroun. «Tout n’a pas été utilisé pour l’opération d’Audrey. L’excédent a été laissé à l’hôpital, qui a bien besoin d’un tel équipement. Quatre autres interventions sont planifiées.»
Cette opération «suisse» sur sol étranger n’était pas anodine non plus sur le plan légal. Dès leur arrivée à Douala, les praticiens helvétiques ont dû montrer patte blanche. «En plus de toutes les certifications à remplir, la police sanitaire est venue inspecter l’endroit où l’on opérait. J’ai dû présenter tous mes diplômes», raconte le spécialiste.
Christophe Racine évoque l’immense respect mutuel avec le propriétaire de la clinique de l’aéroport, qui est également président de l’ordre des médecins du Cameroun. «J’ai été invité chez lui, j’ai rencontré sa famille… C’est davantage qu’une relation de confiance: c’est une amitié très forte. Malgré tout, la loi prévoit l’emprisonnement en cas de grosse complication, donc ce n’est jamais anodin.»
Opérer en Afrique par rapport à la Suisse, est-ce un monde de différence? «Pas vraiment, rétorque Christophe Racine. C'est ce que je trouve extrêmement beau dans notre métier: c'est le même corps sur tous les continents, on peut arriver dans un endroit complètement inconnu et exercer son métier.»
Le chirurgien plasticien note toutefois que les exigences divergent beaucoup. Pour le Neuchâtelois, «la voie correcte se trouve probablement entre les deux». «J'en ai discuté avec notre instrumentiste (infirmier spécialisé, ndlr.). Nous nous sommes lamentés des exigences qui n'arrêtent pas de croître en Suisse, avec des normes ISO à n'en plus finir. On a franchi un stade où les interventions deviennent compliquées par toutes les contraintes, qui ne sont d'ailleurs pas étrangères à l'augmentation des coûts de la santé...»
Le docteur Racine note néanmoins que le Cameroun a encore du pain sur la planche pour arriver à d'excellentes conditions. «Nous avons beaucoup discuté avec le patron de la clinique. On va pouvoir continuer à collaborer, les aider à apporter des améliorations», se réjouit le Neuchâtelois.
Opérer en Afrique par rapport à la Suisse, est-ce un monde de différence? «Pas vraiment, rétorque Christophe Racine. C'est ce que je trouve extrêmement beau dans notre métier: c'est le même corps sur tous les continents, on peut arriver dans un endroit complètement inconnu et exercer son métier.»
Le chirurgien plasticien note toutefois que les exigences divergent beaucoup. Pour le Neuchâtelois, «la voie correcte se trouve probablement entre les deux». «J'en ai discuté avec notre instrumentiste (infirmier spécialisé, ndlr.). Nous nous sommes lamentés des exigences qui n'arrêtent pas de croître en Suisse, avec des normes ISO à n'en plus finir. On a franchi un stade où les interventions deviennent compliquées par toutes les contraintes, qui ne sont d'ailleurs pas étrangères à l'augmentation des coûts de la santé...»
Le docteur Racine note néanmoins que le Cameroun a encore du pain sur la planche pour arriver à d'excellentes conditions. «Nous avons beaucoup discuté avec le patron de la clinique. On va pouvoir continuer à collaborer, les aider à apporter des améliorations», se réjouit le Neuchâtelois.
Rendre la situation pérenne
Fort heureusement, tout s’est magnifiquement déroulé. Le visage de la très timide Audrey s’est éclairé dès son réveil lorsqu’elle a découvert son nouveau corps. L’aboutissement «extrêmement émouvant» d’une aventure, qui fera l’objet d’un reportage de la chaîne de télévision à son origine. «J’ai fait attention de demander un droit de regard sur les images afin de préserver l’intimité de la jeune femme», assure Christophe Racine.
Alors que les patients convalescents d’une telle opération restent deux à trois jours à l’hôpital en Suisse, Audrey, qui habite loin de Douala, restera sous bonne surveillance jusqu’à la fin de cette semaine avant de retrouver sa famille, puis — enfin! — l’école.
L’équipe médicale, elle, en est quitte avec des souvenirs pour toute la vie, en particulier pour Pascal Locatelli et Christophe Racine. Tous deux ont vécu l’aventure en famille. Le premier, directeur de la clinique privée où opère le second, a été accompagné de son fils, anesthésiste, tandis que la fille de Christophe Racine, qui se destine à la médecine, a pu accompagner la délégation.
«Nous transmettons le virus, le bon cette fois.» Il utilise le même terme pour évoquer ce que lui inspire l’Afrique. «Il suffit d’y aller une fois pour avoir immédiatement envie d’y retourner. La chaleur humaine est aussi impressionnante que météorologique», s’enthousiasme Christophe Racine, «le coeur immense» par l’opération qu’il vient de réaliser.
L’objectif de tous les participants est de mettre en place une collaboration plus pérenne. «Nous en sommes déjà la troisième ou quatrième mission, se réjouit Yves Yamgoué. C’est une belle collaboration Nord-Sud entre professionnels de la Santé, en plus de la dimension humanitaire.»