Des parlementaires demandent un changement de cap: la Suisse doit adapter sa politique à l’égard de Taïwan. Par 129 voix contre 43, le Conseil national avait pris les devants en septembre dernier, au grand dam du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Le Parlement avait alors approuvé une intervention de la Commission de politique extérieure qui demandait des mesures pour améliorer les relations avec Taïwan.
Le Conseil fédéral avait rejeté l’intervention et Ignazio Cassis avait argumenté devant la chambre haute que la Suisse reconnaissait déjà le caractère démocratique des autorités et de la société taïwanaises. Mais depuis 1950, la Suisse considère malgré tout que Taïwan appartient à la Chine. Ainsi, il est exclu de mener frontalement des relations politiques avec un pays non indépendant, a défendu le président de la Confédération.
Une claque pour le Conseil fédéral
Mais le Parlement a infligé une claque au gouvernement: le Conseil national a approuvé un approfondissement des relations avec Taïwan.
Le politicien Fabian Molina (PS), qui est en grande partie à l’origine du postulat, précise qu’il ne s’agit pas de nier soudainement l’appartenance de l’île à la Chine: «Il ne serait pas judicieux que la Suisse avance seule en reconnaissant Taïwan comme un Etat indépendant», affirme-t-il.
Une reconnaissance à moyen terme
Le politicien socialiste est bien inspiré de ne pas jeter de l’huile sur le feu, alors que la Chine montre les muscles après la visite de Nancy Pelosi à Taïwan. Il estime toutefois que la Suisse devrait «utiliser sa marge de manœuvre». Premièrement, le pays devrait améliorer et intensifier ses relations avec Taïwan. Deuxièmement, la Suisse devrait faire comprendre qu’une intervention militaire de la Chine sur l’île constituerait une violation grave du droit international, à laquelle la communauté internationale devrait réagir, à l’image de ce qu’elle fait dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Troisièmement enfin: «A moyen terme, la Suisse doit, avec d’autres pays, reconnaître Taïwan pour ce qu’elle est de facto: un Etat démocratique indépendant.»
Pas de soutien apporté à la Chine
Pour le chef du groupe parlementaire du Centre, Philipp Matthias Bregy, la non-reconnaissance de l’indépendance de Taïwan ne signifie pas «que nous nous rangeons unilatéralement du côté de la Chine». Pour lui, cela reflète davantage l’attitude réservée de la Suisse sur de telles questions, hors période de guerre.
Le politicien du Centre poursuit: «Je condamne les menaces militaires de la Chine pendant cette période de tensions, et a fortiori la menace d’utiliser la force contre Taïwan.» L’homme aurait toutefois souhaité que Nancy Pelosi fasse preuve de plus de tact diplomatique dans une situation déjà complexe sur le plan de la politique internationale.
Quoi qu’il en soit, pour Philipp Matthias Bregy, il est clair que «dans un monde de liberté, il doit être possible pour les représentants d’un Etat de visiter Taïwan». Même son de cloche chez Beat Flach, conseiller national vert libéral: «J’ai été plusieurs fois en contact avec des représentants de Taïwan. Les gens qui y vivent ne se sentent pas appartenir à la Chine.» C’est pourquoi il se prononce lui aussi en faveur d’un ajustement prudent et précis de la politique suisse à l’égard de l’île: «Je trouverais juste que l’on puisse garantir le statu quo actuel.»
Accord de libre-échange
Le conseiller national UDC Christian Imark est aussi favorable à des relations étroites avec Taïwan. Il nuance toutefois: «En tant que membre du groupe d’amitié parlementaire Suisse-Taïwan, je condamne la provocation de Nancy Pelosi à l’égard de la Chine, qui pourrait se révéler être un but contre son propre camp.» Et en tant qu’Etat neutre, «il est dans notre intérêt d’entretenir de bonnes relations amicales aussi bien avec la Chine qu’avec Taïwan», a-t-il ajouté.
Pour lui cependant, «le Conseil fédéral doit vérifier en permanence si sa position vis-à-vis de Taïwan est encore adéquate. Vu l’importance économique de l’île, il faudrait par exemple viser un accord de libre-échange – ce qui n’a pas été possible jusqu’à présent». Dans tous les cas, il faut veiller à ne pas froisser inutilement la Chine.
Échange avec des représentants des deux parties
L’élu UDC Roland Rino Büchel, qui s’était abstenu de voter sur le postulat en automne, trouve lui aussi inutile la visite de Nancy Pelosi à Taïwan. Et il s’oppose clairement à ce que la Suisse reconnaisse le pays. En charge de plusieurs dossiers en lien avec des ambassades, il échange pourtant avec le représentant de Taïwan malgré le fait que la Suisse ne reconnaisse pas officiellement cette fonction.
Des relations économiques et politiques existent depuis longtemps avec Taïwan. Dans le contexte actuel de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine et désormais des menaces de la Chine, la volonté du Parlement de faire des concessions au petit état sécessionniste s’est encore accrue.
(Adaptation par Thibault Gilgen)