Sabine Glauser, députée verte au Grand Conseil vaudois
«J'ai vécu sans smartphone jusqu'à ce printemps»

Alors que 64% des Romands se demandent s’ils ne seraient pas plus heureux sans portable, Sabine Glauser a réellement vécu cette réalité: la députée vaudoise de 44 ans s’est passée de smartphone jusqu’à ce printemps. Elle nous raconte ce mode de vie sans «scrolling».
Publié: 27.12.2024 à 19:34 heures
Sabine Glauser, députée verte au Grand Conseil vaudois, s'est passée de smartphone jusqu'au printemps 2024. Elle nous raconte ce quotidien «déconnecté».
Photo: Brigitte Besson/Les Vert-e-s
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

La dernière cabine téléphonique d’Yverdon-les-Bains, Sabine Glauser la regrette encore. Mise hors service en 2019, l’installation lui servait régulièrement à appeler son mari, lorsqu’elle prenait le train pour rentrer à Champvent: «Quand il faisait mauvais, il venait me chercher à la gare, m’épargnant les trente minutes de marche jusqu’à la maison», se souvient-elle. 

Sans cabine et sans portable, la députée verte au Grand Conseil vaudois a donc été contrainte de braver les éléments pendant près de cinq ans. Aujourd’hui, tout est un peu différent. Car en mars 2024, après une longue résistance, la Chavannaise a finalement consenti à acquérir un iPhone: «Je ressentais pas mal de pression, venant autant du monde politique que du milieu
associatif, raconte-t-elle. Et surtout, comme je m’apprêtais à participer au championnat suisse de claquettes, j’avais besoin d’avoir accès aux vidéos et aux informations diffusées via un groupe WhatsApp, pour m’entraîner.»

L’idée de vivre sans smartphone jusqu’à l’âge de quarante ans semble inimaginable pour de nombreuses personnes. Or, d’après notre grand sondage réalisé avec M.I.S Trends, 64% des Romandes et Romands se demandent («parfois» ou «souvent») s’ils ne seraient pas plus heureux sans téléphone portable. Rares sont les personnes qui connaissent la réponse, puisque 61% des sondés n’ont jamais pensé à se débarrasser de l’objet. 

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Je me dis souvent que j’avais raison de résister au smartphone pendant tout ce temps. Maintenant que j’en ai un, je le regarde tout le temps
Sabine Glauser, députée Verte au Grand Conseil vaudois
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Mais si vous vous demandez quand même à quoi ressemblerait une existence à l’écart du «scrolling», Sabine Glauser est l’une des rares personnes pouvant vous décrire son expérience. Elle a accepté de nous la partager, cet automne.

Pas de réseaux sociaux, mais quelques jeux vidéos

«Je me dis souvent que j’avais raison de résister au smartphone pendant tout ce temps, affirme la députée. Maintenant que j’en ai un, je le regarde tout le temps! Tous ces outils, toute cette facilité, me fascinent. Je savais que je risquais d’être happée par cet univers et cela s’est complètement vérifié.» 

Les réseaux sociaux de type Instagram ou Facebook n’ont toutefois jamais élu domicile sur son écran: à l’exception de WhatsApp (qu’elle hésite d’ailleurs à désinstaller car «trop chronophage»), Sabine Glauser utilise surtout l’appareil photo ou des applications de dictionnaires numériques qui lui servent pour les cours à la maison dispensés à ses enfants. 

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Quand je lis dans le train, beaucoup de personnes m’interpellent pour m’interroger quant à l’ouvrage. Cela permet d’ouvrir la discussion, c’est très intéressant.
Sabine Glauser, députée Verte au Grand Conseil vaudois
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«Dans notre famille, personne n’a d’abonnement haut-débit, donc il faut forcément du Wi-Fi pour regarder des vidéos ou jouer à des jeux, ajoute-t-elle. Mais les enfants enclenchent désormais eux-mêmes la connexion, la gestion familiale n’est pas toujours facile!»

«Je vais vers les gens!»

En tant que députée, comment reste-t-on connectée à la population suisse, lorsqu’on n’utilise pas les plateformes sur lesquelles se trouvent les citoyennes et citoyens? Sabine Glauser baisse la voix, faisant mine d’énoncer un secret inavouable: «En fait, je vais vers les gens!»

Elle rit, mais il ne s’agit pas d’une blague pour autant! «Quand je lis dans le train, beaucoup de personnes m’interpellent pour m’interroger quant à l’ouvrage, constate-t-elle. Cela permet d’ouvrir la discussion, c’est très intéressant! Je pense qu’en parlant réellement avec les autres, on a accès à des choses plus profondes, à une certaine fragilité humaine qu’on ne partage pas forcément sur les réseaux sociaux, à mon sens.»

Et tout ce temps libre, qu’elle ne consacre pas à scroller, qu’en fait-elle? La Chavannaise énumère ses passions: les claquettes, la lecture, le piano, le chant, l’association cantonale d’école à la maison, les cours qu’elle prépare pour ses enfants… «Par contre, j’ai abandonné mon potager par manque de temps et excès de limaces», concède-t-elle toutefois.

Comment s’organise-t-on, sans smartphone?

Avant d’acheter son iPhone, Sabine Glauser s’appuyait sur une série d’habitudes qui lui permettaient de s’organiser sans les Maps ou l’application CFF. «J’ai la chance d’avoir un abonnement général, donc quand je loupe un train, je peux juste prendre le suivant, explique l’élue vaudoise. Et pour me repérer dans l’espace, j’allais sur Open Street Map depuis mon ordinateur, à la maison, je prévoyais mon itinéraire et je l’imprimais.» Les informations concernant l’actualité lui parvenaient surtout via les journaux imprimés… et c’est encore le cas aujourd’hui. 

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Dans un village voisin au mien, une personne électrohypersensible s’est donné la mort car elle ne supportait plus de vivre dans sa cave.
Sabine Glauser, députée Verte au Grand Conseil vaudois
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Dans le cadre de ses activités politiques, elle utilisait essentiellement son ordinateur portable, ainsi que des versions papier des documents les plus importants. Preuve que, lorsqu’on le veut vraiment, on peut s’habituer à fonctionner différemment. «Maintenant, il m’arrive de me demander comment je faisais avant d’avoir un smartphone», admet toutefois la Vaudoise. 

Une interpellation pour les électrohypersensibles

D’ailleurs ses réflexions sur l’utilisation du numérique se retrouvent aussi dans son activité politique. Le 3 septembre, la Verte déposait une interpellation intitulée «Personnes électrohypersensibles, sacrifiées au nom du progrès — quelles solutions?», qui devrait recevoir une réponse du Grand Conseil ces prochains jours. 

«Quand j’ai été élue, une personne m’a envoyé une lettre anonyme pour me parler de ses souffrances, soulignant qu’elle avait l’impression d’être un fantôme. Cela m’a interpellée, j’ai cherché à rencontrer des individus hypersensibles, afin de comprendre ce qu’ils traversent.» Encore dépourvue de smartphone à cette époque, elle pouvait effectivement les approcher sans leur causer d’inconfort. Depuis, cette cause lui tient à cœur. 

«Dans un village voisin au mien, une personne s’est donné la mort car elle ne supportait plus de vivre dans sa cave, déplore-t-elle. Cela me scandalise que des personnes vivent si esseulées, je voudrais que les scientifiques s’y intéressent.»

Aucun jugement envers les personnes qui «scrollent»

Bien qu’elle ne se laisse pas happer par les mêmes habitudes que la plupart des détenteurs de smartphones, Sabine Glauser n’est pas dans le jugement: «Je comprends totalement qu’on puisse devenir accro, c’est difficile d’y résister! Mais je pense que ce modèle numérique nous fait perdre le contrôle de notre consommation énergétique et de ressources… Et cela me fascine autant que cela m’inquiète.» 

Alors, pour accueillir les outils numériques tout en gardant une certaine mesure, la députée a inventé sa propre manière de fonctionner: «Quand j’ai commencé l’école à la maison, j’ai acheté le jeu Minecraft sur la Wii, pour accompagner les cours d’allemand. Mes enfants ont beaucoup appris, mais je constatais qu’ils avaient sans cesse envie d’allumer la console. J’en avais un peu marre d’être constamment devant cet écran, alors je me suis lancée dans la création d’un jeu basé sur l’univers d’Harry Potter, qui m’a demandé des heures de travail.» En d’autres termes, une application de graphisme numérique sur son ordinateur lui a permis d’imaginer une stratégie pour éloigner ses enfants de la console.

«Je pense que je mise beaucoup sur la prudence, mais je me sens bien avec cette manière de fonctionner, résume-t-elle. Tous ces outils sont incroyables, mais c’est le côté éthique, le risque de céder à la paresse, qui me dérange. Est-ce que pour avoir accès à ces inventions géniales, il faut forcément tout télécharger et tomber dans le côté 'gadget'?» 

Nous n’aurons pas la réponse aujourd’hui. Mais une chose est sûre: le smartphone de Sabine Glauser n’a pas fait la moindre apparition durant tout l’entretien, pourtant passablement long. En 2024, cela tient quasiment du miracle. 

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