La publicité pour les produits végétaux dont le nom est tiré de denrées animales sera bientôt interdite en Valais, a décidé le Grand Conseil en décembre en votant une motion portée par le camp bourgeois. De quoi donner des idées aux députés vaudois. Et plus particulièrement à Nicolas Bolay, maître agriculteur de l’Union démocratique du centre (UDC), et à Marion Wahlen, vigneronne libérale- radicale (PLR).
Ces derniers viennent de déposer un texte similaire, signé par plus de 60 parlementaires. Surprise! Dans la liste des paraphes ultra-majoritairement de droite apparaît le nom de Vincent Keller, figure de proue de la gauche radicale et du Parti ouvrier et populaire (POP).
Celui qui est par ailleurs enseignant au gymnase a accepté d’être mis sur le gril par «L’illustré» au Petit Bœuf, véritable temple lausannois pour les viandards. Interview saignante du cador rouge autour d’un – exquis – filet bleu.
Vincent Keller, vous avez une dent contre les substituts végétariens aux produits carnés?
Non, aucunement. Comme je n’ai d’ailleurs aucune dent contre les personnes végétariennes ou véganes.
Alors pourquoi vouloir interdire les publicités pour ces produits qui utilisent le champ lexical de la boucherie?
Simplement parce que j’aimerais, lorsque l’on parle de steak, de saucisse ou de jambon, que l’on parle des bonnes choses. Il en va du respect que l’on doit aux personnes qui les produisent: les éleveurs et agriculteurs. Mais aussi aux personnes qui les transforment: les artisans et les restaurateurs.
Dézinguer les annonces commerciales sans pouvoir ne serait-ce qu’effleurer les emballages dans les rayons, est-ce que cela a du sens?
Pour aller au bout de la démarche, il faudrait effectivement pouvoir s’attaquer aux emballages et à la grande distribution. Mais toucher à la publicité, c’est déjà toucher au porte-monnaie de ces industriels et c’est loin d’être anecdotique. L’objectif est également de protéger le consommateur, qui a le droit de savoir ce qu’il achète sans devoir se méfier du charabia marketing. En lui vendant des steaks de soja, on le trompe.
N’est-ce pas prendre les consommateurs pour des idiots que d’imaginer qu’ils pourraient acheter un steak de soja par mégarde en pensant qu’il s’agit d’un steak de bœuf?
(Rires.) Vous avez raison, je ne pense pas qu’une personne ait déjà fait une telle confusion. Il n’empêche que les mots ont un sens. J’ai déjà goûté un steak de soja: c’est bon, aucun problème. Mais cela n’a rien à voir avec un vrai steak! Il ne faut pas être naïf: l’idée des commerciaux derrière ce flou publicitaire est uniquement de pousser encore et encore à la consommation. Vous pensez bien qu’ils ne veulent pas rediriger les gens vers des produits plus locaux ou plus qualitatifs. En signant la motion de la PLR Marion Wahlen et de l’UDC Nicolas Bolay, je veux lancer le débat et qu’on puisse se poser les bonnes questions.
Les bonnes questions?
La principale, à mes yeux, est celle de la souveraineté alimentaire. Il faut garantir à toutes les bourses des produits locaux et de qualité.
Cela sonne comme un vœu pieux.
Comme un vœu politique! L’Etat pourrait encore davantage soutenir les producteurs afin de favoriser les circuits courts. Tant que 100 grammes de poulet du Paraguay coûteront moins cher que trois salades d’ici dans nos étals, nous ne nous en sortirons pas. Je défends un modèle d’agriculture dans lequel les exploitations sont plus petites, mais plus proches des gens grâce à une multitude de marchés. Je suis peut-être un vieux con... Cette manière de faire me semble néanmoins plus juste que les méga-centres commerciaux qui nécessitent une voiture pour y accéder et qui font augmenter les prix avec leurs marges opaques.
D’après la Confédération, les Suisses consomment en moyenne près de 51 kilos de viande par an, soit trois fois la quantité recommandée. Les produits que vous attaquez ne sont-ils pas justement une bonne alternative pour la santé et pour la planète?
Je ne les attaque pas! Je ne veux juste pas qu’ils soient vendus en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas. Sur le fond maintenant, c’est exact, nous consommons trop de viande. Je suis moi-même d’avis qu’il faut consommer moins, mais mieux.
Combien de fois par semaine mangez-vous de la viande?
Deux ou trois fois, rarement plus. Je vais chez le boucher ou je m’approvisionne directement chez des producteurs, à l’instar de mon collègue député PLR Olivier Petermann. C’est faisable!
En Suisse et en Europe, la colère et le lobbying des producteurs de denrées carnées se font de plus en plus remarquer. Pourtant, factuellement, la viande est une sérieuse problématique pour la santé et pour l’environnement. Les pouvoirs publics peuvent-ils inlassablement continuer à ménager le chou et la chèvre?
Il est vrai que, d’un côté, la Confédération dépense de l’argent pour faire de la prévention afin de réduire la consommation de viande. De l’autre, elle subventionne via les paiements directs les éleveurs pour qu’ils en produisent. Cela peut sembler paradoxal. Mais je suis intimement convaincu que défendre et favoriser la production locale, c’est faire diminuer les importations et baisser les prix. Ce n’est pas contradictoire.
Quand vous voyez les plus de 1800 oppositions au projet d’abattoir pour la volaille de Micarna, à Saint-Aubin (FR), l’été dernier, vous ne vous dites pas que la population ne partage pas votre vision?
Il y a là un véritable paradoxe à régler: la majorité des gens veut consommer local. C’est un fait acquis. Cependant, pour consommer local, il faut produire local. Il n’y a pas d’alternative possible.
Cet article a été publié initialement dans le n°03 de L'illustré, paru en kiosque le 16 janvier 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°03 de L'illustré, paru en kiosque le 16 janvier 2025.