Succession de scandales
Comment rater sa sortie: la leçon magistrale de Viola Amherd

Fuites, audits, démissions, tensions: le départ de la conseillère fédérale se passe dans des conditions aussi pénibles que l’auront été ses 6 années à la tête du Département de la Défense. Que cachent ces crises à répétition? Prise de hauteur.
Publié: 01.03.2025 à 11:15 heures
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Dernière mise à jour: 01.03.2025 à 18:12 heures
Viola Amherd, conseillère fédérale démissionnaire, peine à répondre à la crise qui secoue le DDPS.
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

La conseillère fédérale démissionnaire, Viola Amherd, affiche un déni face à la crise profonde qui frappe le Département fédéral de la Défense (DDPS). Elle multiplie les erreurs de communication, refuse de prendre des responsabilités pour les couacs (récents et moins récents) et tente de rassurer, sans convaincre. 

Si bien que, même après avoir annoncé sa démission, Viola Amherd semble vouée à rater ses derniers jours dans cette fonction, qui l’aura vue glisser d’une peau de banane à l’autre. Le petit monde de la défense fédérale passe en effet par une véritable phase de décomposition, après six années houleuses sous la direction de la centriste valaisanne. 

Des années jalonnées de critiques: celles autour de l’acquisition des F-35, de l’achat de drones israéliens, ou de la vente de chars Leopard par Ruag. Dans cette entreprise de la Confédération, les problèmes récurrents de gestion ont vu cinq directeurs généraux se succéder au cours des 6 ans de Viola Amherd. Intervenue le 15 janvier, sa démission, qui avait surpris son propre parti, avait été abrupte. Mais depuis, on a compris que ce n’était là que l’arbre qui cachait la forêt. 

Démissions en cascade mal expliquées

C’est à une déferlante de démissions de haut vol qu’on assiste, depuis l’annonce de Viola Amherd. Après la démission en janvier de Darko Savic, chef des acquisitions à l'Office fédéral de l'armement (Armassuisse), qui a été responsable des F-35, et celle le 21 février du chef des Forces aériennes, Peter Merz, ce sont celles du chef de l'armée et des services de renseignement qui ont défrayé la chronique. 

Face à cette série noire qui s’intensifie après son départ, il n’y a pas eu d’explications convaincantes de la cheffe du Département. Mais il y a eu, encore, des couacs de communication. Echouant à anticiper le risque de fuite de l’information, son département a annoncé sur l’intranet les deux dernières démissions le 25 février. Cela fuite prématurément dans la «NZZ» et à la TV alémanique. La situation est si gênante pour la cheffe du DDPS qu’elle se soustrait aux médias ce jour-là par une porte dérobée des toilettes pour hommes au Palais fédéral. Tout un symbole. 

Absence d'autocritique

Le 26 février, Viola Amherd se dérobe cette fois derrière l’argument des «procédures internes respectées». Sauf qu’au vu de l’importance de ces démissions, le bon sens dictait de les communiquer rapidement au lieu d’attendre un mois. Mais rien n’est de la faute de Viola Amherd.

Sans reconnaître un souci de communication, la patronne du DDPS a blâmé les «indiscrétions» et traqué une «taupe». Cet épisode trahit surtout le contexte d’une crise dans son département, qu’elle veut cacher sous le tapis. Les raisons de ces démissions, Viola Amherd ne les abordera sans doute jamais. 

Un grand ménage a lieu

L’explication de fond, c’est qu’un grand ménage est en train d’avoir lieu. Les profils qu’a recrutés la Valaisanne partent dans son sillage. Force est de le reconnaître, entre Viola Amherd et le monde de la défense, la mayonnaise n’a jamais pris. De grandes différences culturelles se sont fait jour. Ses recrutements ont été vus comme des erreurs de casting. Beaucoup le disent en privé, mais de plus en plus bruyamment. 

Trop de wokisme, trop de progressisme, une culture en décalage avec celle de l’armée, aux priorités et orientations à mille lieues, surtout depuis que la guerre en Ukraine a bouleversé la politique helvétique. Tandis que Viola Amherd cherche à rassurer en faisant passer les récents départs pour des faits ordinaires sans cause systémique, la réalité est qu’on assiste au rejet des choix d’Amherd des dernières années. 

Privés de soutien

C’est dans ce contexte que le chef du renseignement Christian Dussey et le chef de l’armée Thomas Süssli, deux de ses recrues, partent avec elle. Le diplomate Christian Dussey est un profil très différent de son prédécesseur plus traditionnel, l’officier Jean-Philippe Gaudin, qui avait dirigé le renseignement de 2018 à 2021 et qui était un proche de Guy Parmelin.

Alors qu’il ne manquait pas d’ambition, Dussey se serait vu priver de moyens par sa cheffe. Thomas Süssli, quant à lui, n'avait pas un long passé de soldat derrière lui lorsqu’il a été nommé. Ayant bénéficié du soutien initial de la conseillère fédérale, il aurait été lâché par celle-ci lorsqu’il a réclamé plus de fonds pour l’armée. Il est désormais clair que les poulains de la ministre sortante ont fait les frais de sa politique. Le retour de manivelle se fait sentir, en prévision de la succession au Conseil fédéral. 

D’intouchable à déconsidérée

Au départ, Viola Amherd a bénéficié de l’approbation des médias pour ses valeurs progressistes, jugées bienvenues, et son rôle de femme pionnière à la tête de la Défense. Tout le monde a joué le jeu un temps. Beaucoup d’opinions négatives ont été réprimées, qui s’expriment aujourd’hui. Petit à petit, le lustre s’est érodé. La centriste a été critiquée pour avoir créé un nouveau secrétariat d’Etat, pour lequel elle a cherché à nommer une femme, la candidate Pälvi Pulli, dont le profil a été jugé inadéquat. 

La création même de ce secrétariat d’Etat semblait relever d’une tentative de s’entourer de civils sans expérience militaire, pour faire contrepoids à l’armée, car elle n’aurait été à l’aise pour traiter avec des officiers généraux ayant 30 ans de carrière. A l’interne, on lui a reproché de ne pas s’intéresser suffisamment à la politique de sécurité de la Suisse, domaine où on l’a jugée peu à l’aise. Aux attaques de l’UDC s’est ajoutée la désapprobation du PLR et du PS. 

Relations tendues avec KKS

Si Viola Amherd affirme, contre toute objectivité, que «le DDPS n'est pas en difficulté», ce n’est en tout cas pas sur Karin Keller-Sutter qu’elle aura pu compter au cours de son mandat semé d’embuches. La PLR Saint-Galloise lui aura mis des bâtons dans les roues sur les plus importants dossiers. Fervente partisane du frein à l’endettement, la ministre des Finances s’est battue contre l’augmentation du budget militaire, enfonçant davantage sa collègue face à ses administrés du militaire et de l’armement. 

Ruag en mauvaise posture

La conseillère fédérale démissionnaire prend aussi le blâme, qui n’est pas attribuable qu’à elle, loin de là, pour la mauvaise posture dans laquelle se trouve Ruag. Elle laisse en effet le fabricant d’armes de la Confédération affaibli. Le Contrôle des finances a taclé le DDPS ce 25 février encore pour sa gestion insatisfaisante de l’entreprise. 

Au départ, la grande erreur que reproche le secteur militaire, concernant Ruag, est adressée à Guy Parmelin. Il s’agit de la scission de Ruag en deux entités, l’une suisse, et l’autre internationale (vendue). Difficile, depuis lors, pour l’entité suisse de rester compétitive. Malgré cela, elle a pu maintenir une rentabilité. Sauf qu’en raison scandale de cyberattaque et de la scission, il lui est difficile de recréer les capacités perdues. 

Vient ensuite une deuxième erreur, imputable cette fois à Viola Amherd: elle aurait nommé des personnes par complaisance au sein du conseil d’administration de l’entreprise, et réduit les couloirs et passerelles qui existaient entre Ruag et l’armée. Le coup de grâce, pour Ruag, aura été le refus ce Conseil fédéral de réexporter le matériel de guerre suisse, qui a forcément fait du tort à l’entreprise, aujourd’hui boudée par les acheteurs européens. Pour réduire les coûts d’acquisition d’armes, la Suisse doit s’atteler à participer à des projets et programmes européens, et à fabriquer des composants pour des partenaires du continent, sans quoi les coûts de la défense helvétique vont fortement prendre l’ascenseur. 

Retour aux bonnes vieilles méthodes

Au final, Viola Amherd laisse derrière elle un vaste chantier pour quiconque devra reprendre en mains le département de la Défense. Peut-être que l’expérience d’un profil progressiste comme celui de la Valaisanne a souffert d’un mauvais timing. En tous les cas, on se dirige, avec les deux candidats en lice, Markus Ritter et Martin Pfister, vers des profils plus traditionnels aux bonnes vieilles méthodes. 

Il s’agira de regagner la confiance des généraux de l’armée, de renforcer les organes de gouvernance de Ruag, de doter la défense suisse et les services de renseignement de moyens appropriés, et de retrouver le chemin d’une coopération et de liens commerciaux étroits avec la défense européenne. Pas étonnant que les candidats ne se soient pas bousculés au portillon.

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